Cinéma : « Volubilis », éloge de l’antihéros

L’acteur-réalisateur marocain Faouzi Bensaïdi sort « Volubilis », son quatrième long-métrage. Portrait d’un artiste polyvalent.

Volubilis, un film décalé et sensible. © ASC distribution

Volubilis, un film décalé et sensible. © ASC distribution

Renaud de Rochebrune

Publié le 19 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

Son premier long-métrage, Mille Mois, a reçu le prix du premier film et le prix de la jeunesse dans la section Un certain regard, à Cannes, en 2003. What a Wonderful World (2006) et Volubilis (2017) ont été projetés à la Mostra de Venise… On pourrait donc penser que Faouzi Bensaïdi a toutes les raisons d’être confiant quant à l’accueil qui sera réservé à ce dernier film, qui sort en France le 19 septembre.

Pourtant, le réalisateur marocain se dit fort inquiet. Non qu’il se méfie outre mesure des critiques, mais il craint de ne pas trouver son public faute de salles. Il était prévu que Volubilis soit sur les écrans le 5 septembre, mais comme Sofia, de Meryem Benm’Barek, était programmée ce jour-là, « on a préféré repousser de quinze jours pour éviter un face-à-face qui n’aurait profité à aucun… et on s’est aperçu que 18 films sortiraient à cette date. Un record ! »

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Films d’auteur

Face à une telle concurrence, « beaucoup passeront à la trappe », commente-t-il, philosophe. On comprend ce désarroi quand on sait que Bensaïdi ne cherche pas à être prolifique : son avant-dernier film, Mort à vendre, date de 2011 et il n’a réalisé, depuis 2003, que quatre longs-­métrages. Trois ans entre le premier et le deuxième, six entre le troisième et le quatrième : cela signifie-t-il qu’il est de plus en plus difficile de monter des projets ?

« Les films d’auteur, qui ne relèvent pas d’une logique commerciale évidente, ont de plus en plus de mal à trouver des financements, les miens comme ceux des autres. Il faut donc plus de temps et d’énergie pour y arriver. Mais je suis moi-même responsable du ralentissement de mes réalisations. Trois ans entre deux films est sans doute mon rythme idéal. Alors que j’avais quasiment cessé d’être comédien, j’ai aussi repris goût à jouer, surtout dans les œuvres des autres. »

On a ainsi pu le voir dans des films de Jacques Audiard (Dheepan), Bertrand Bonello (Saint Laurent), Nadir Mokhnèche (Lola Pater) ou Sofia Djama (Les Bienheureux). « Je suis par ailleurs revenu au théâtre, en mettant en scène au Maroc une pièce un peu particulière qui s’appelait Histoire d’amour en 12 chansons, 3 repas et 1 baiser en 2008, puis un Shakespeare en 2014. J’ai même réalisé une exposition d’art expérimental dans une galerie de Rabat avec le “matériau” inutilisé de mon deuxième film. »

Volubilis, un film décalé et sensible. © ASC distribution

Volubilis, un film décalé et sensible. © ASC distribution

Faouzi Bensaïdi, jeune quinquagénaire, est un artiste multicarte : « Il y a des spécialistes et des généralistes, j’appartiens plutôt à la seconde catégorie. » Dès 12 ans, alors qu’il adorait « tous les spectacles, du cinéma au cirque », il était l’âme d’une troupe lycéenne qui présenta des pièces jusqu’à ce qu’il passe le bac et rejoigne une école d’art dramatique au Maroc, puis le Conservatoire de Paris.

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Remarqué à la fin des années 1990, grâce à deux courts-métrages – La Falaise, puis Le Mur, couverts de prix – , il est alors contacté par le cinéaste André Téchiné, qui veut tourner au Maroc, pour coécrire le scénario de Loin, en 1999. Dans ses films, il peut être à la fois réalisateur, scénariste et acteur, comme dans Volubilis, où il s’est accordé le luxe de jouer le méchant.

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Reconnaissable immédiatement en raison de son physique comme de sa propension à incarner des personnages plutôt intériorisés, voire silencieux et lunaires, il propose en tant que réalisateur des films assez différents les uns des autres. Avec quelques points communs : un penchant pour le burlesque, un attrait pour les antihéros, un certain goût pour le mélodrame et l’engagement (la répression, la corruption, les inégalités sociales…), même si la politique n’est jamais abordée de front.

Faouzi Bensaïdi ne cache pas son aversion pour les films à thèse. Il tient à ce que le spectateur puisse garder une distance face au sujet, « sans jamais être hypnotisé ». Il voudrait qu’on se souvienne de lui comme d’un auteur qui a une certaine vision du monde et surtout qui « fait des films dans lesquels il y a du cinéma ».

La descente aux enfers du vigile amoureux

Abdelkader, vigile – rigide et conservateur dans un centre commercial marocain, aime Malika, employée de maison romantique, avec laquelle il rêve d’emménager quand il en aura les moyens. Mais voilà que ce chargé de sécurité, obéissant aux ordres de sa direction, rudoie la femme d’un homme puissant qui se croyait tout permis dans le magasin où elle venait faire ses courses. Sa réaction – « Vous allez entendre parler de moi ! » – est immédiatement suivie d’effet : Abdelkader est enlevé et tabassé avant d’être publiquement humilié par le mari de la cliente outragée, puis licencié sans ménagement par ses employeurs.

Raconter la terrible descente aux enfers d’un homme pour lequel on peut éprouver aussi bien de l’empathie que de l’antipathie permet au réalisateur de dénoncer les inégalités sociales au Maroc, mais aussi de célébrer les vertus rédemptrices de l’amour. Un beau film, bien servi par ses acteurs, qui privilégie l’émotion à l’humour et à l’étrangeté qui prédominaient dans les œuvres antérieures du réalisateur. Tout en conservant ce style original, décalé, qui caractérise le cinéma attachant de Faouzi Bensaïdi.

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