Présidentielle au Cameroun : la guerre des trois aura bien lieu

Principaux challengers de Paul Biya à la présidentielle camerounaise du 7 octobre, Akere Muna, Joshua Osih et Maurice Kamto entendent surtout se positionner pour l’avenir.

Akere Muna (à g.) et Maurice Kamto. © Jean-Pierre Kepseu / Adrienne Surprenant/Collectif Item / François Grivelet pour JA

Akere Muna (à g.) et Maurice Kamto. © Jean-Pierre Kepseu / Adrienne Surprenant/Collectif Item / François Grivelet pour JA

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Publié le 19 septembre 2018 Lecture : 8 minutes.

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS
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Présidentielle au Cameroun : huit candidats dans la course

Huit candidats, dont le président sortant Paul Biya, s’opposent lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Un scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire tendu, en particulier dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, secouées par un conflit opposant le gouvernement à des séparatistes.

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Le restaurant italien n’est pas plein. En habitué des lieux, Joshua Osih a choisi sa table, dans l’angle de la terrasse. Le temps est clément à Yaoundé. Nous sommes en janvier 2017. L’homme assis face à nous n’est pas encore candidat du Social Democratic Front (SDF) pour la présidentielle d’octobre 2018. Joshua Osih l’assure : il ne sera pas « celui qui plantera un couteau dans le dos de John Fru Ndi », le chairman du parti socialiste camerounais.

Nous sourions. Le personnage est médiatique et ambitieux. Ses silences en disent au moins aussi long que ses discours. Cette course à Etoudi, il veut y participer, mais il a appris la prudence. Sa marge de manœuvre est étroite face aux partisans de Fru Ndi, qui ne souhaitent guère voir leur champion de toujours passer la main. Nous le savons. Osih le sait.

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Ambitions

À quelques kilomètres de là, un peu plus tard, nous profitons cette fois de la fraîcheur climatisée d’un bureau de la Fondation Salomon Tandeng Muna. L’un des fils de l’ancien Premier ministre, Akere, nous y reçoit. L’ex-bâtonnier est souriant, disponible, bavard. Lui non plus ne brigue pas encore le fauteuil présidentiel. Officiellement, il ne fait que songer à se lancer en politique.

Une nouvelle fois, nous sourions. Son frère, Bernard, qui nous attend dans la salle de réunion à côté, a décelé depuis quelque temps l’envie et le potentiel de son cadet. Il la travaille, le façonne, patiemment. Chez les Muna, la politique fait office de seconde nature. Bernard, candidat à la présidentielle en 2011, le sait. Et Akere ne demande qu’à se laisser convaincre.

Maurice Kamto, lui, a déjà choisi. Depuis 2012, il est à la tête du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) et a pour objectif ultime d’emporter la magistrature suprême. « Convaincu de pouvoir battre le RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, de Paul Biya] », et, même s’il n’est officiellement investi qu’en avril 2018, il se prépare aux élections « avec la ferme intention de gagner ».

>>> À LIRE – Cameroun : Maurice Kamto peut-il battre Paul Biya ?

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Déjà, il appelle à un rassemblement de l’opposition pour faire chuter Paul Biya. Une dernière fois, nous sourions. Au Cameroun, la coalition de l’opposition a tout de la chimère, l’animal hybride que l’on espère voir une fois dans sa vie. Maurice Kamto le sait, confortablement installé dans sa demeure de Yaoundé. « Je suis ouvert, mais je ne vais pas non plus épuiser mon énergie dans une recherche de dynamique qui tournerait à la bataille d’ego », confie-t-il.

La confiance ne règne pas partout, notamment entre le MRC et le SDF

Depuis ces trois rencontres, vingt mois ont passé. Le mirage est encore là. La chimère, dont la silhouette est toujours aussi floue, alimente encore les conversations. Officiellement, les négociations continuent entre les principaux candidats de l’opposition et pourraient même aboutir sur certains points. Le camp d’Akere Muna, investi par le Front populaire pour le développement (FPD) et organisé autour du mouvement NOW, a ainsi proposé de déléguer à la société civile, et notamment au réseau d’organisations Dynamique citoyenne, l’observation du processus électoral, censée éviter la fraude.

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Aucun des adversaires de Paul Biya n’a en effet les moyens de poster des scrutateurs dans les quelque 23 000 bureaux de vote du pays, et une mutualisation des forces serait la bienvenue face à un RDPC dont le principal atout est le maillage territorial. L’idée d’une plateforme d’observation n’est pas nouvelle, Maurice Kamto l’évoquant depuis plus d’un an et demi. Mais les choses sont plus compliquées que prévu.

Question de confiance

La confiance ne règne pas partout, notamment entre le MRC et le SDF, dans certaines circonscriptions de l’Ouest ou du Littoral. Les opposants se retrouvent à tenter de juguler la fraude dont ils estiment que le RDPC se rendra coupable, tout en craignant qu’elle ne vienne finalement de leurs alliés de circonstance. Un comble ! « Et ce n’est pas qu’une question de confiance », explique Cabral Libii, candidat à la présidentielle pour le parti Univers et qui espère venir perturber cette guerre des trois opposants.

« L’important n’est pas d’observer qu’il y a eu des fraudes, mais de pouvoir le prouver avec les procès-verbaux, qu’il faut récolter dans les bureaux de vote. Ce que les représentants des partis seuls peuvent faire, contrairement aux observateurs de la société civile. » Et le jeune homme de 38 ans de citer l’exemple de John Fru Ndi, en 1992 : « Il avait gagné, et tout le monde le savait. Mais il n’a jamais pu le prouver. »

Dans ce contexte, y a-t-il encore lieu de croire à une candidature unique ? Au niveau des programmes, et notamment de la forme de l’État, qui fait débat depuis le début de la crise anglophone, l’idée ne paraît pas impossible. Akere Muna et Joshua Osih estiment qu’un retour au fédéralisme est souhaitable, tandis que Maurice Kamto, plus prudent, n’y est pas opposé mais souhaite laisser les Camerounais en décider dans un dialogue ou un référendum. Mais, en réalité, on imagine bien mal quiconque laisser sa place.

Frais de campagne

Du côté du SDF, Joshua Osih répète à l’envi qu’il n’est que le représentant d’un parti qui l’a chargé de porter ses couleurs à la présidentielle. Resté confiant à l’égard d’une formation politique numéro deux à l’échelle du pays depuis 1990, il assure que, sous la pression de poids lourds de l’appareil socialiste comme Jean-Michel Nintcheu dans le Littoral, il n’a pas la possibilité de se désister, même s’il le souhaitait. En d’autres termes, il accepte d’être rallié, mais pas de se retirer. « Le fleuve ne va pas à la rivière », fait-il savoir depuis des mois. Quant à Maurice Kamto et Akere Muna, ils poursuivent leur route, suivant le cours de leur campagne respective, tout en se gardant bien d’être les fossoyeurs de la chimère.

Fourbir ses armes, réunir ses troupes, tout en tendant la main. Le 25 août, la candidature d’Akere Muna, dont la résonance à l’international est sans doute sans précédent, a ainsi reçu le soutien de poids sur la scène intérieure de l’Union des populations du Cameroun (UPC), qui se chargera de la mobilisation dans ses fiefs du Nyong-et-Kéllé (région du Centre) ou de la Sanaga-Maritime (Littoral). Le ralliement était négocié depuis janvier par Alice Sadio, présidente de l’Alliance des forces progressistes (AFP, ancien parti de Bernard Muna et soutien de son frère Akere pour la présidentielle), l’écrivain Daniel Etounga Manguelle et Chrétien Tabetsing, trésorier de l’ancien bâtonnier du Cameroun.

Début septembre, une partie du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), non soutenue par sa direction, a également rejoint l’équipe Muna, qui assure aussi avoir enregistré le ralliement de certains déçus du RDPC. « Les négociations se poursuivent avec d’autres candidats, explique Maxime Jong, stratège d’Akere Muna. Il faut se souvenir de l’exemple gabonais : la coalition autour de Jean Ping s’est faite au dernier moment. »

L’objectif est clair : paraître le plus imposant possible à l’approche de la bataille finale pour obtenir que l’un des adversaires et potentiels alliés se désiste. Côté Muna, on assure que le SDF n’a aucune chance de faire un bon score, car il est trop faible dans les régions du septentrion et parce que ses habituels bastions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pourraient ne pas lui rapporter autant de voix qu’habituellement en raison de la crise anglophone.

Les frais sont énormes pour ceux qui ont fait campagne sur le terrain

« Il y a un vrai risque que Joshua Osih ne dépasse pas les 10 % s’il se maintient. Cela serait désastreux pour sa carrière et pour le SDF, puisqu’en dessous de ce seuil les frais de campagne ne sont pas remboursés », glisse un partisan de l’ancien bâtonnier. « La question des frais forme une bonne part du blocage à l’égard d’une candidature unique : s’il n’y a finalement qu’un seul candidat, ceux qui se seront désistés auront fait campagne pour rien et ne seront pas remboursés par l’État. Or rien ne dit qu’un candidat unique sera capable de leur verser des compensations », explique un observateur.

Les intérêts financiers vont-ils sonner le glas des ambitions de l’opposition ? « Les frais sont énormes pour ceux qui ont fait campagne sur le terrain, car ils ont dû concurrencer l’énorme machine du RDPC, rappelle un politologue. C’est aussi comme ça que Paul Biya contrôle le jeu. »

Sursaut populaire

La campagne électorale officielle débute ce 24 septembre. Il ne restera alors quasiment plus aucune chance d’apercevoir, enfin, notre chimère. Même chez les plus optimistes, qui ne sont pas nombreux, on n’imagine pas s’engager dans la dernière ligne droite sans savoir à quoi s’en tenir. Le 28 septembre au plus tard, chacun devra avoir décidé d’aller ou non au bout de l’aventure, en ayant passé en revue ses forces et ses faiblesses.

« Le SDF a perdu de son maillage depuis dix ans, mais il reste fort dans le Littoral, et c’est le parti le plus représenté parmi les conseillers municipaux, ce qui comptera le jour du vote », analyse d’ores et déjà notre politologue, qui ajoute : « Akere Muna a le réseau, aux niveaux national et international, mais il est nouveau en politique et risque de pâtir chez les anglophones de l’image de son père, acteur de la réunification en 1961 des deux parties de l’ancien Cameroun. »

>>> À LIRE – Cameroun : à l’approche de la présidentielle, Paul Biya place ses pions

Joshua Osih (49 ans), Akere Muna (66 ans) et Maurice Kamto (64 ans) s’imaginent-ils franchir les grilles de l’enceinte présidentielle en vainqueur ? Croient-ils avoir une chance qui pourrait, pour les sexagénaires, être la dernière ? Ou n’espèrent-ils déjà que la deuxième place ? Aucun ne répondra à cette question, chacun étant officiellement persuadé qu’un sursaut populaire chassera de son fauteuil Paul Biya. Ce dernier, imperturbable, les regarde sans doute, depuis son hôtel de Genève ou sa résidence de Mvomeka’a, dans le Sud.

Le Sphinx d’Etoudi, fidèle à ses habitudes de non-campagne, a envoyé ses lieutenants, tels le ministre Jacques Fame Ndongo ou le président de l’Assemblée nationale, Cavayé Yeguié Djibril, leur faire face, pour mieux les diviser, sur le terrain ou sur les ondes. Sourit-il ? Peut-être.

Aux manettes du pays depuis 1982 et protégé par un scrutin à un seul tour, Paul Biya voit en la chimère de l’union de l’opposition une amie fidèle sur qui il sait pouvoir compter au moment opportun. Peut-on lui donner tort ?

Atouts et faiblesses

Maurice Kamto

Maurice Kamto dirige le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). © Jean-Pierre Kepseu

Maurice Kamto dirige le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). © Jean-Pierre Kepseu

Profession : avocat

Région d’origine : Ouest

Point fort : campagne de terrain très efficace

Points faibles : ancien ministre de Biya. Ses détracteurs l’accusent aussi de chercher à convaincre sur une base régionaliste

Akere Muna

Akere Muna. © Adrienne Surprenant/Collectif Item pour JA

Akere Muna. © Adrienne Surprenant/Collectif Item pour JA

Profession : avocat

Région d’origine : Nord-Ouest

Points forts : carnet d’adresses bien rempli et réseau étendu, à l’international comme au Cameroun

Point faible : pas de parti à lui (même s’il a reçu le soutien de l’UPC notamment), donc pas d’élus

Joshua Osih

Joshua Osih à Paris en 2018. © François Grivelet pour JA

Joshua Osih à Paris en 2018. © François Grivelet pour JA

Profession : entrepreneur

Région d’origine : Sud-Ouest

Point fort : atout jeune du SDF, le deuxième parti du pays

Points faibles : pas aussi connu que John Fru Ndi, leader historique du SDF, et il n’est pas certain que les électeurs pourront aller voter dans ses fiefs, situés en zone anglophone

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