Musique : MHD, le syndrome d’Icare

Après une tournée planétaire, et alors qu’il revient avec un nouvel album, « 19 », dans lequel le prodige de l’afro-trap s’offre de multiples collaborations, MHD a annoncé sa volonté de mettre fin à sa carrière. Le 5 septembre dernier, déjà, il confiait à Jeune Afrique sa peur de la chute.

Le chanteur sénégalo-guinéen MHD à Paris, le 5 septembre. © Claire Delfino pour JA

Le chanteur sénégalo-guinéen MHD à Paris, le 5 septembre. © Claire Delfino pour JA

leo_pajon

Publié le 18 septembre 2018 Lecture : 7 minutes.

« Plus envie de rien, plus envie de musique, je pense bien arrêter après cet album, cette vie n’est pas la mienne.» L’annonce de MHD sur Snapchat, lundi 17 septembre, a surpris tout le monde. Un peu moins les lecteurs de Jeune Afrique n°3010 qui ont pu lire l’article que nous avons consacré au prodige de l’afro-trap. Rencontré le 5 septembre dernier dans le cadre de la promotion de son album, MHD nous signifiait déjà sa nostalgie du temps où il n’était encore que Mohamed Sylla.

En attendant si l’annonce de son retrait sera vraiment suivie d’effet, ou s’il ne s’agit que d’un coup de blues passager, nous vous invitons à lire le portrait que nous lui avons consacré : 

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MHD nous reçoit à l’horizontale, affalé sur une banquette dans un studio du XIe arrondissement de Paris où il enregistre désormais ses punchlines et autres « Pow ! Pow ! Pow ! ». Le rappeur de 23 ans doit garder une de ses jambes tendue. « Le réveil musculaire est difficile », explique l’attachée de presse ; « j’ai pris un mauvais tacle au foot », corrige plus tard l’artiste aux cheveux et à la barbiche platine. Après avoir caracolé dans les charts (plus de 400 000 ventes dans le monde pour son premier album, MHD), couru sur les scènes d’Europe, d’Amérique et d’Afrique (230 dates dans 22 pays), voilà que le sprinter de l’afro-trap claudique.

Tout juste revenu de vacances en Grèce, Mohamed Sylla doit pourtant commencer au pas de course la promo de son deuxième album, 19. Titre logique pour ce « ressortissant » du 19e arrondissement de Paris qui sort son opus de 19 titres le 19 septembre. L’artiste aux origines guinéenne et sénégalaise s’est offert des collaborations impressionnantes : des grandes pointures de l’afrobeat nigérian (Wizkid, Yemi Alade), le Franco-Congolais Dadju, révélé l’année dernière, le grognard de la musique malienne Salif Keïta, ou encore le rappeur français Orelsan. Les musiques, quant à elles, sont signées par le gratin des dance floors : Diplo, DSK on the Beat, Dany Synthé et Stromae.

Des noms prestigieux qui rendent compte de l’incroyable décollage opéré par le rappeur aux trois consonnes. Flash-back dans les bacs, avant que l’album MHD ne devienne triple disque de platine. Le 29 septembre 2015, MHD met en ligne « Afro Trap part. 1 » : le compteur s’affole aussitôt (aujourd’hui 24 millions de vues sur YouTube) sous le plan-séquence filmé au cœur de la Cité rouge (à Paris), hymne à la « moula » (le cannabis) et au deal.

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Pionnier de l’afro-trap

« Lorsque cette vidéo est sortie, je me suis dit, soit ce type a de la chance, soit il est très fort, se souvient Adel Kaddar, gérant du label Artside, son producteur. À l’époque, le rap était très sombre, avec des artistes comme Lacrim, Kaaris, SCH. Mais il y avait cette vague qui venait du Nigeria entre hip-hop et musique afro, festive. MHD a su parfaitement l’adapter. Lorsque je l’ai rencontré, j’ai compris que j’avais face à moi un véritable artiste : il n’était pas là pour briller pendant un an et s’éteindre. Alors qu’il venait d’émerger sur le web, il pensait déjà aux featurings africains qui pourraient l’aider à grandir, aux manières d’exister à l’international. »

Cela fait un peu plus de deux ans que le pionnier de l’afro-trap joue à saute-frontière. Disque d’or aux Pays-Bas, rare invité français du festival californien de Coachella (« j’ai partagé la même scène que Beyoncé ! » s’étonne-t-il encore), accueilli comme un prince à Conakry (« la première fois, c’était l’émeute pour aller jusqu’à l’hôtel, il a fallu me faire escorter par la police »), le jeune prodige est adulé partout. Ou presque.

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« On veut atteindre l’Asie, j’espère que ça se fera en 2019 : pourquoi pas des dates en Corée, au Japon, en Chine, rêvasse la star internationale. Récemment, un youtubeur coréen hyperconnu a repris le titre “La Puissance” ; du jour au lendemain on a eu des dizaines de commentaires en coréen sur nos vidéos ! »

En concert au Zénith de Lille (France). © lambert davis

En concert au Zénith de Lille (France). © lambert davis

Déjà en apesanteur, le chanteur vise toujours plus haut. Sans illusion. « Ce qui compte, c’est de rester le plus longtemps au top niveau, mais, quand tu grimpes, tu finis toujours par redescendre. » Dans son dernier disque, sur plusieurs pistes, MHD fait preuve d’une gravité inhabituelle et confie, entre deux rimes, sa peur de lasser (déjà !), de n’être qu’une étoile filante. « La seule question c’est : dans quatre, cinq piges, est-ce qu’on nous kiffera encore ? » lâche-t-il sur le titre « Encore ». « Le soir j’pense au futur, mais le passé s’y invite / On s’demande quand j’vais couler, on m’prend pour le Titanic », glisse-t-il dans « 19 », sorte d’épilogue à son album, sa piste la plus personnelle et peut-être la plus réussie.

« 200 selfies »

Au-dessus de son polo Dolce & Gabbana, un mince sourire apparaît. « Quand j’ai commencé, je voulais être reconnu partout, être une big star. Et puis, au fil du temps, c’est devenu dur à vivre. Parfois tu voudrais replonger dans l’anonymat, pouvoir prendre le métro comme n’importe quel jeune de 23 ans. À l’aéroport, des agents qui me reconnaissent veulent souvent me faire passer devant tout le monde… C’est gênant. »

Montre de luxe au poignet, il revient pourtant dès qu’il le peut sur les lieux d’avant le succès, rue des Chaufourniers, avenue Mathurin-Moreau, et dévore toujours des sandwichs grecs (« sauce ketchup-mayo-harissa »). Mais chaque fois qu’il passe devant le collège tout proche, à la sortie des cours, il fait au moins « 200 selfies ».

Tout un pays compte sur moi, je ne peux pas décevoir

MHD n’a ni remords ni regrets. Le succès, l’ancien livreur de pizzas l’a voulu et il l’a eu, pour lui et pour les siens : sa famille (il a pu acheter une maison à sa mère en Guinée), le « moula gang » (ses quatre amis les plus proches, qui l’accompagnent partout, jusque dans le bus de la tournée), son quartier. Même si la pression semble difficile à gérer : « Tout un pays compte sur moi, je ne peux pas décevoir », lance-t-il en parlant de la Guinée. Et même s’il lui a fallu lisser un peu son discours et son image pour continuer de plaire, toutes générations confondues.

Celui qui se vantait de passer « du marron à la white » (de la résine de cannabis à la cocaïne), gros calibre en poche, s’essaie à la chanson d’amoureux éconduit dans son dernier titre, « Bella » : « Hé, hé, ma bella, hé, aïe, aïe, aïe, aïe / Mon cœur va cher-lâ pour toi, ma bella, aïe, aïe, aïe, aïe / Hé, ma bella, hé, aïe, aïe, aïe, aïe / D’abord un sourire, un regard ou un petit câlin, aïe, aïe, aïe, aïe. » Les fans de la première heure ont été un peu surpris. « C’est sûr que le changement est brutal, mais je veux me lancer des défis, évoluer », confie le garçon aux 2,1 millions d’abonnés Instagram.

L’évolution va en fait bien au-delà de sa propre mutation musicale. En décembre 2017, chez Puma, il lançait sa collection de streetwear, Pukiwaga. En mars dernier, il annonçait la création de son propre label, sur lequel est déjà signé le jeune talent Topas. Et l’année prochaine, il sera la tête d’affiche du nouveau film de Julien Abraham, Mon frère, jouant aux côtés d’Aïssa Maïga et de Jalil Lespert. « Je pensais que le tournage serait rapide, que je pourrais vite rentrer chez moi… mais il fallait rester toute la journée sur le plateau ! » rigole-t-il avec ingénuité.

L’entretien terminé, MHD sort du studio pour se prêter à une séance photo. Frêle silhouette happée par le soleil toujours brûlant de septembre. Mais sa jambe semble lui faire déjà un peu moins mal. Il sera remis, c’est certain, pour assurer le reste de la promo et faire le move le 29 mars 2019 lors de son concert géant à l’AccorHotels Arena, à Paris.

I2S, frère de son

Issa sort son premier mini-album le 10 octobre. © DR

Issa sort son premier mini-album le 10 octobre. © DR

Il ne veut pas grandir dans l’ombre de MHD… et pourtant on pense beaucoup à lui en l’écoutant. I2S (pour Issa), 21 ans, est l’un des demi-frères du pionnier de l’afro-trap et sort son premier mini-album de 10 titres, baptisé Molo molo, le 10 octobre. Comme lui, il a des origines guinéennes, vient d’un quartier populaire parisien, fait du rap plutôt festif « pour s’ambiancer » en grappillant des sonorités afros : un peu de coupé-décalé par-ci et d’afrobeats par-là.

Mais ses idoles ont pour nom Debordo Leekunfa et DJ Arafat, le tropisme ivoirien est donc un peu plus prononcé. MHD lui a déjà donné de sérieux coups de pouce en lui proposant de venir chanter deux de ses titres (« Sérieux » et « Amagni deh ») en première partie lors de concerts à Conakry et à l’Olympia (à Paris).

« Quand je suis entré sur scène, les gens étaient en feu du début jusqu’à la fin… J’ai eu un pic sur les réseaux, sourit le chanteur. Mais je ne veux pas être là par piston. Mon frère me soutient, me donne des conseils, mais je veux d’abord devoir mon succès au travail. »

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