Maroc : très chers jets privés

Les plus grandes entreprises du royaume se sont dotées de leurs propres appareils. Un investissement extrêmement difficile à amortir.

C’est à bord d’un Bombardier Challenger 604 que se déplace le président de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune. © Bombardier

C’est à bord d’un Bombardier Challenger 604 que se déplace le président de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune. © Bombardier

Publié le 19 septembre 2018 Lecture : 4 minutes.

C’est à bord d’un Bombardier Challenger 604 que se déplace le président de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune. © Bombardier
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Focus : très chère aviation d’affaires

Difficilement rentable, le trafic de jets privés est aussi très réglementé. Mais certaines compagnies n’hésitent pas à sauter le pas et à se lancer sur des lignes commerciales.

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La présence accrue des grands groupes marocains dans d’autres pays d’Afrique impose à leurs patrons plusieurs contraintes, dont des voyages à répétition. Sauf que l’étendue du continent et les problèmes de transport font que ces déplacements deviennent assez difficiles à organiser, notamment quand il s’agit d’une urgence. Impossible d’emprunter des lignes régulières pour quelqu’un comme Anas Sefrioui, président du groupe immobilier Addoha, qui doit parfois enchaîner trois ou quatre réunions dans trois pays différents en deux jours.

Pour éviter ces casse-tête, le troisième homme le plus riche du pays a commandé un Cessna Sovereign 680, qui peut accueillir jusqu’à douze personnes. « Pour un homme d’affaires, la disponibilité d’un jet privé permet de gagner énormément de temps. Et son grand confort intérieur peut être bénéfique pour quelques heures de travail », nous explique Chakib Lahrichi, président d’Alpha Air, une des entreprises de taxi aérien.

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Signe absolu de richesse

Se réunir avec ses équipes dans les airs, à plus de 30 000 pieds, est un luxe que d’autres patrons marocains se sont offert. Le nombre exact des groupes qui se sont équipés en jets privés n’est pas connu. Les grandes fortunes du royaume chérifien préfèrent rester discrètes sur le sujet, qui est perçu comme un signe absolu de richesse.

Le président de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune, se déplace à bord d’un Bombardier Challenger 604. Hassan Ouriaghli et ses équipes du holding royal Al Mada (ex-SNI), empruntent un avion légèrement plus petit, le Bombardier Challenger 300. Le holding Holmarcom, détenu par la famille Bensalah, s’est lui aussi équipé d’un jet privé, tout comme OCP, qui permet à son président, Mostafa Terrab, de voler en toute tranquillité depuis quelques années.

>>> À LIRE – Interview – Jean-Paul Boutibou : « Bombardier est devenu beaucoup plus agressif en Afrique »

De son côté, l’homme le plus riche du pays, Aziz Akhannouch, président d’Akwa Group, se distingue avec un Dassault Falcon 900EX, qui transporte jusqu’à treize personnes et dont le prix peut atteindre 30 millions d’euros. Ces avions sont généralement « cachés » dans un hangar, à l’aéroport Mohammed-V ou à Benslimane (50 km de Casablanca), qui est doté d’un atelier de maintenance.

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Gouffre financier

Selon les derniers chiffres de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), le pays compte en tout 32 « petits » avions encore opérationnels. Ils sont enregistrés au nom de quelques sociétés ou appartiennent à des entreprises de taxi aérien. « L’aviation d’affaires au Maroc s’est certes développée, mais il lui reste encore de la marge. Les patrons des entreprises ne sont pas encore très séduits par l’achat de ce moyen de transport, préférant parfois des vols réguliers », estime Jean-Pierre Otelli, pilote professionnel et ex-leader de la patrouille de la Marche verte des Forces royales Air (FAR) du Maroc, bon connaisseur du ciel chérifien.

Car un jet privé ne représente pas que des avantages. C’est aussi un gouffre financier. En plus de son acquisition, qui peut facilement atteindre 5 millions d’euros pour les plus petits modèles, d’autres dépenses fixes sont à prévoir. « Il faut respecter un calendrier des visites techniques et de la maintenance, même si l’avion reste cloué au sol. Il est aussi obligatoire d’engager un pilote – qu’il faut rémunérer, même s’il n’effectue aucun décollage – et ne pas oublier l’approvisionnement en kérosène. C’est toute une organisation », détaille Jean-Pierre Otelli.

Bombardier Challenger 300 © bombardier

Bombardier Challenger 300 © bombardier

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C’est pour ces raisons que tous les groupes qui se sont équipés en jet privé ont créé une filiale pour s’occuper de la maintenance. Selon des experts, en fin d’année la facture globale s’élève au minimum à 6 millions de dirhams (environ 550 000 euros). « C’est un arbitrage à faire, entre le confort, le gain de temps, la discrétion et les frais, parfois importants. C’est pour cela que nous avons décidé d’opter pour un leasing [location longue durée], et que nous ne nous occupons pas de la maintenance, qui est incluse. Seul le pilote est à nos frais, c’est un choix personnel », nous livre un homme d’affaires qui s’est équipé tout récemment.

Les sociétés de location à la peine

Visiblement, ni les hommes d’affaires ni leurs groupes ne semblent être préoccupés par la rentabilité de cet investissement. C’est peut-être parce qu’ils savent que c’est quasiment impossible. Une étude récemment réalisée par le courtier italien Private Jet Finder explique qu’un avion doit parcourir 700 000 km par an pour devenir rentable. « Ce qui nous réconforte un peu, c’est de savoir que ces machines sont amorties en vingt-cinq années et qu’elles peuvent effectuer jusqu’à 80 millions de kilomètres », ajoute notre interlocuteur.

Une autre catégorie d’hommes d’affaires préfère louer un avion. Ils déboursent en moyenne entre 30 000 et 40 000 dirhams pour chaque heure passée dans le ciel. Pour faire un aller-retour Casablanca-Abidjan, il faut prévoir un chèque d’environ 300 000 dirhams, et ça peut grimper rapidement si l’on opte pour un appareil offrant des fauteuils plus larges ou encore un lit pour dormir. Mais ce secteur connaît de grosses difficultés. « Une dizaine d’entreprises de location ont mis la clé sous la porte ces dernières années. Il est très difficile de trouver un équilibre », regrette Chakib Lahrichi, l’un des rares rescapés.

C’est ce qui explique probablement la baisse considérable du nombre des passagers en aviation d’affaires enregistré par l’Office national des aéroports (Onda) au cours des quatre dernières années. Sur l’ensemble de l’année 2017, ils étaient à peine 40 000, contre presque 52 000 en 2013, sur les 8 aéroports du pays : Casablanca, Marrakech, Agadir, Rabat, Tanger, Fès, Laayoune et Dakhla.

Des terminaux en 2019

L’Onda souhaite que tous les aéroports accueillant la clientèle d’aviation d’affaires soient dotés d’une installation indépendante des terminaux commerciaux, comme ce qui est déjà le cas à Casablanca. Les aéroports de Tanger, Agadir et Dakhla seront aménagés par Swissport Executive et Jetex. Ils seront tous opérationnels avant la fin de l’année prochaine.

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