Rwanda : le FPR, seul maître du jeu
Grand vainqueur des dernières législatives, le parti au pouvoir a une fois de plus démontré l’étendue de son influence dans un pays où les voix dissonantes sont rares.
La nuit est fraîche et s’éternise, ce 3 septembre, sur les collines de Rusororo, à l’est de Kigali. Accoudés aux tables disposées dans la cour de l’Intare Conference Arena, qui abrite le QG du Front patriotique rwandais (FPR), François Ngarambe, le secrétaire général du parti au pouvoir, James Kabarebe, le puissant ministre de la Défense, et d’autres piliers du régime ont les yeux rivés sur l’écran où défilent en direct les résultats des élections législatives.
Il est minuit passé lorsque les premières estimations tombent. Le verdict est net : le FPR et les six partis de sa coalition remportent à eux seuls 75 % des suffrages, soit 40 sièges sur les 53 en jeu – sachant que 27 autres ne sont pas soumis au vote mais attribués selon des quotas (femmes, handicapés, jeunesse).
C’est un siège de moins que lors de la dernière législature, mais l’essentiel est ailleurs : la majorité reste largement entre les mains du parti au sigle du lion. Et même si les membres historiques du FPR se plaisaient à feindre une certaine incertitude en se déclarant « confiants mais prudents », le suspense était inexistant à quelques heures de l’annonce des chiffres, tant la formation du président Paul Kagame contrôle la vie politique depuis 1994.
Les partis ont été encore plus importants que les instances de l’État dans la mobilisation pour le génocide
Régulièrement accusé de n’être qu’un outil destiné à exaucer la volonté du parti au pouvoir – l’écrasante majorité des députés étant membres de la coalition du FPR –, le Parlement ne peut être compris sans analyser le rapport chaotique du pays au multipartisme.
La première expérience en la matière, entre 1959 et 1965, s’est soldée par des pogroms anti-Tutsis et l’exil de milliers d’entre eux après l’indépendance.
La seconde, entre 1991 et 1994, a été marquée par l’apparition de formations comme la Coalition pour la défense de la République (CDR), frange la plus virulente du Hutu Power. « Les partis ont été encore plus importants que les instances de l’État dans la mobilisation pour le génocide », estime Tito Rutaremara, 74 ans, un vétéran du FPR.
Confortablement installé dans l’un des fauteuils en cuir de son bureau, le sénateur raconte avoir pris, en 1999, la tête d’une commission de douze membres, censée mener les consultations pour la future Constitution. « Mais les gens n’étaient pas très favorables à la confrontation politique, affirme-t-il. Ils savaient où cela avait mené le pays. »
Culture du secret
Toute référence à une appartenance ethnique ou religieuse a donc été bannie par la Constitution de 2003, et les formations nées en 1991 ont dû s’adapter. Le Parti démocrate islamique est devenu le Parti démocrate idéal (PDI), le Parti démocrate chrétien a été rebaptisé Parti démocratique centriste (PDC), et toutes les formations autorisées ont été invitées à rejoindre le Forum des partis politiques, également créé en 2003 pour constituer un espace de dialogue hors du Parlement.
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« Notre histoire a montré qu’avoir une étiquette politique n’est pas toujours bon, explique Jean Chrysostome Ngabitsinze, secrétaire général du Parti social démocrate (PSD), qui avait appelé à voter Kagame à la dernière présidentielle. Pour changer l’image laissée par le régime Habyarimana, il a fallu modifier la façon de faire de la politique. »
La Constitution a entériné le principe de partage des pouvoirs, puisque le président du Parlement ne peut être issu du même parti que le chef de l’État et que la formation majoritaire ne peut détenir plus de 50 % des postes au gouvernement. Enfin, dans l’hémicycle, les députés ne sont pas placés en fonction de leur parti mais par ordre alphabétique.
« Les formations ont peur de dire non au FPR et de se poser en vraies forces d’opposition, estime Frank Habineza, président du Parti vert démocratique (DGPR)
Les alliés du FPR vantent « l’esprit de partage » et de « consensus » propre à ce fonctionnement aseptisé. « Nous mettons aussi nos idées sur la table », assure Agnès Mukabaranga, députée du PDC, noyée dans la foule rouge-blanc-bleu d’un meeting de la coalition du FPR, à Kigali.
Attablé à la terrasse du restaurant Chez Lando, Sheikh Musa Fazil Harerimana, ex-ministre de la Sécurité intérieure et président du PDI, est pragmatique. « Si l’on veut participer au processus décisionnaire et faire avancer les idées de nos propres formations, il faut rejoindre la coalition. Le calcul est simple, mais nous sommes dans un partenariat fondé sur le respect mutuel. »
Code de conduite
Si le FPR est ultra-dominant depuis 1994 – au-delà des moyens, notamment financiers, dont il dispose –, c’est parce qu’il a réussi à imprégner la vie politique de ses valeurs : la discipline et la culture du secret.
« Les formations ont peur de dire non au FPR et de se poser en vraies forces d’opposition, estime Frank Habineza, président du Parti vert démocratique (DGPR), première structure d’opposition à avoir fait son entrée au Parlement, début septembre. Et puis ils ont trop à gagner à être alliés au FPR. »
Perché au troisième étage de son QG de campagne, dans le bruyant quartier de Kimironko, à Kigali, ce candidat malheureux à la présidentielle de 2017 (il avait obtenu 0,47 % des suffrages) juge que « la notion de consensus que ces partis vendent est surtout symptomatique du manque de débats contradictoires au Parlement ».
Si un élu ne donne pas satisfaction, le FPR négocie son départ avec le parti concerné
Jean-Paul Kimonyo, politologue rwandais et conseiller à la présidence, concède que « la Constitution est un peu restrictive et que faire partie du Forum des partis politiques, c’est accepter un certain nombre de règles du jeu ».
Et d’ajouter : « On lave notre linge sale en famille, plutôt que dans la presse ou à l’occasion d’une confrontation publique. La voix du FPR demeure prépondérante. Il ne joue pas des muscles pour rien, mais il reste un verrou. »
« Le parti ne serait jamais arrivé à rebâtir le système politique s’il avait donné l’impression qu’il voulait tout contrôler, renchérit Gasamagera Wellars, porte-parole du FPR. Pour autant, les formations qui intègrent la coalition doivent respecter la discipline interne du FPR. Il y a un code de conduite. Si un élu ne donne pas satisfaction, le FPR négocie son départ avec le parti concerné. »
Notre modèle ne peut pas être comparé à ceux des autres, parce que ces derniers n’ont pas connu ce que nous avons enduré
La nuit tombe sur les collines de Kigali. Tito Rutaremara quitte son fauteuil et descend calmement les marches du Sénat, ironisant sur les critiques à l’égard du verrouillage de la vie politique, qu’il juge « injustifiées ». « Notre modèle ne peut pas être comparé à ceux des autres, parce que ces derniers n’ont pas connu ce que nous avons enduré », dit-il.
Dans la cour intérieure, des lumières permettent de distinguer une façade encore criblée d’impacts de balles. « On n’a pas voulu restaurer ces murs pour que les parlementaires et les sénateurs les voient tous les jours et que personne n’oublie d’où on est parti », explique-t-il.
Partis autorisés
Onze, c’est le nombre de partis autorisés au Rwanda. Six d’entre eux se sont unis au FPR au sein d’une large coalition : l’Union démocratique du peuple (UDPR), le Parti socialiste rwandais (PSR), le Parti pour le progrès et la concorde (PPC), le Parti démocratique centriste (PDC), le Parti de la solidarité et de la prospérité (PSP) et le Parti démocrate idéal (PDI).
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