Côte d’Ivoire : Fabrice Sawegnon, de l’ombre à la lumière

Artisan des campagnes électorales victorieuses de nombreux chefs d’État du continent, le communicant Fabrice Sawegnon a décidé de descendre dans l’arène politique en briguant la mairie du Plateau, dans le centre d’Abidjan.

Le PDG de l’agence Voodoo à son domicile parisien. © BRUNO LEVY pour ja

Le PDG de l’agence Voodoo à son domicile parisien. © BRUNO LEVY pour ja

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Publié le 18 septembre 2018 Lecture : 8 minutes.

Prenez un homme qui n’a pas peur de grand-chose, donnez-lui une bonne dose de culot et un peu de talent, saupoudrez d’une pincée de flair, de quelques influentes relations, d’un esprit impitoyable… Et vous obtiendrez la recette du succès Sawegnon. À la tête de l’agence Voodoo depuis vingt ans, ce « sorcier » s’est spécialisé dans les potions censées rendre puissants ses clients.

Candidats à la magistrature suprême, présidents rêvant de se maintenir à leur poste… Ce maître de la communication ne murmure qu’aux oreilles de ceux qui comptent. Son succès séduit autant qu’il agace : « Fabrice Sawegnon a l’arrogance de ceux à qui tout sourit », résume l’un de ses concurrents.

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Entrée en politique

Jeans, baskets et pectoraux tatoués sous une chemise blanche largement déboutonnée, il débarque au Peninsula, tout juste arrivé à Paris. Montre de luxe au poignet, cigare à la main, il tutoie les employés de ce palace à 1 300 euros la nuit. Mais Fabrice Sawegnon n’a pas besoin d’y dormir.

Après avoir dégusté ses tagliatelles au homard, il ira visiter un appartement à deux pas des Champs-Élysées. Le sien, dans le tout aussi chic quartier du Trocadéro, est devenu trop petit pour ce père de famille à l’ambition immodérée. « Je ne crois qu’en moi, en Dieu et en ceux qui m’aiment », lâche-t-il en rangeant une liasse de gros billets.

Je suis un make it happen, je sais faire en sorte que ce que je souhaite se réalise

Après une vie passée dans l’ombre, Fabrice Sawegnon semble vouloir goûter à la lumière. À 46 ans, il entend s’installer dans le fauteuil de maire du Plateau, la commune du centre d’Abidjan, lors des élections municipales du 13 octobre. « Attention, je n’entre pas en politique ! »

Il jure ne pas avoir succombé au goût du pouvoir. « C’est un engagement, il est temps que je me rende utile. Je ne suis pas un fake », assure cet adepte de la novlangue des start-uppers-jeunes-et-branchés. « Ce que j’ai fait en tant qu’entrepreneur pour Voodoo, je peux le faire au Plateau. Je suis un make it happen, je sais faire en sorte que ce que je souhaite se réalise. »

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Ses victoires, Sawegnon les récite avec gourmandise. Il y a son premier grand coup, l’orchestration de la campagne d’Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo, en 2010. Son slogan à l’américaine, « ADO Solutions », marque alors les esprits et scelle la proximité entre le communicant et le couple présidentiel ivoirien. « Adopté » par la première dame, « il est l’un des rares à pouvoir dire non à Ouattara », témoigne un membre de l’entourage du chef de l’État.

Direct et sans pitié

Toujours chargé de la communication de la présidence, il organise tous les événements importants d’Abidjan, du sommet Union européenne-Union africaine, en novembre 2017, au très sélect gala annuel de la fondation de Dominique Ouattara.

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Au total, « j’ai fait quinze campagnes présidentielles, dont treize et demie ont été gagnées ». La « demie », c’est le premier tour au Bénin, en 2016. Il conseille alors Lionel Zinsou, avec lequel il se brouillera ensuite pour des histoires d’argent. « C’est le pire candidat que j’aie jamais eu ! Cet intellectuel était complètement décalé, il n’avait aucune chance. » Fabrice Sawegnon est ainsi : direct et sans pitié.

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À son palmarès, il a aussi accroché le succès au Gabon de Bongo père en 2005 (« Du tout cuit ! ») ainsi que ceux des Gnassingbé, au Togo, depuis 2003 ou, plus récemment, la victoire d’Ibrahim Boubacar Keïta, dont il a mené les campagnes en 2013 et en 2018. Un temps, il a été question qu’il conseille le Sénégalais Idrissa Seck et le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, mais cela ne s’est pas fait.

Qu’importe, Fabrice Sawegnon, qui intervient aussi auprès de grands groupes comme Orange, ne manque pas de contrats. Lui qui vilipende « les vieux présidents à l’africaine » dit s’être payé le luxe de refuser de conseiller certains puissants. « Désormais, je ne fais que ce qui m’intéresse, je ne suis pas à 100 000 euros près ! »

Gamin du Plateau

Voodoo a bien grandi depuis sa création en 1999, lorsque son directeur bricolait des films de campagne pour le putschiste Robert Gueï. Revendiquant sa patte africaine, le groupe est passé de 5 à 350 employés, a ouvert des filiales dans sept pays et affiche un chiffre d’affaires de plus de 22 millions d’euros en 2017.

« Les meilleurs entraîneurs ne sont pas tous de bons footballeurs », concède Fabrice Sawegnon. Depuis le départ, sa route vers la mairie du Plateau semble semée d’embûches. Amis et ennemis, en chœur, s’interrogent : « Pourquoi se lance-t-il dans un truc pareil ? ! »

Cela fait déjà quatre ans que le communicant a brandi ses ambitions. Quatre ans qu’il sillonne cette commune à la fois cœur vibrant et symbole d’Abidjan. « De loin, on voit les hauts buildings, mais dès qu’on s’approche, la pauvreté apparaît. Il faut repenser et réurbaniser le Plateau », affirme le candidat, dessinant à main levée des croquis du quartier. Il ne se cache pas vraiment d’y entretenir des familles entières, payant électricité et loyers. « C’est une vie que je connais », jure ce fils de cheminot.

Sawegnon ? Il n’a aucune chance au Plateau, sauf s’il bourre les urnes

Il raconte ses jeunes années, la maison familiale toujours occupée par son frère, les souvenirs d’enfant de chœur dans la cathédrale. Accusé par ses adversaires d’avoir été parachuté par le pouvoir, cet Ivoirien d’origine béninoise qui vit aujourd’hui à la Riviera, à quelques kilomètres de là, veut prouver qu’il est bien un gamin du Plateau.

La bataille est rude depuis des mois. Face au novice Sawegnon, on attendait Noël Akossi-Bendjo, baron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), maire pendant dix-sept ans et fervent pourfendeur de l’alliance avec le parti présidentiel. Ce devait être LE match de ces municipales, acharné et serré. Les insultes, et même les affrontements entre partisans, avaient déjà commencé. Sawegnon et certains militants sont même poursuivis en justice pour violences et séquestration. Il se raconte que le candidat, connu pour ses coups de sang, se promenait un temps armé.

Mais un décret présidentiel a mis fin prématurément au combat tant attendu. Révoqué de ses fonctions de maire en août, Noël Akossi-Bendjo a été remplacé par son neveu, Jacques Ehouo. Moins connu, celui-ci bénéficie du fort soutien du PDCI – une union sacrée dont rêverait Sawegnon.

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : Noël Akossi Bendjo, l’ambitieux

Le communicant a en effet dû faire face aux ambitions d’un cadre historique du parti présidentiel, Dramane Ouattara, dit OD. Seules les interventions du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, et de la secrétaire générale du Rassemblement des républicains (RDR), Kandia Camara, ont permis qu’OD retire sa candidature.

Fabrice Sawegnon a toujours pu compter sur ses amitiés. Celle de son cousin, le Béninois Arnauld Houndété, qui, fort de sa proximité avec la Libye de Mouammar Kadhafi, a participé à la fondation de Voodoo. Celle encore de Hamed Bakayoko, le ministre ivoirien de la Défense, qui lui a ouvert de nombreuses portes.

Un parrainage au plus haut niveau de l’État qui ne rassure pas ses adversaires. « Sawegnon ? Il n’a aucune chance au Plateau, sauf s’il bourre les urnes », persifle un élu PDCI. Dans cette commune connue pour avoir été de tout temps et de toutes parts un haut lieu de tripatouillage, les soupçons de fraudes massives lors de l’opération d’enrôlement des électeurs en juin ont mené la commission électorale à ouvrir une enquête.

Investissements multiples

Sûr de sa force, Fabrice Sawegnon joue gros dans cette aventure. Sa réputation professionnelle, sans doute, son avenir, peut-être. Ils sont désormais nombreux à prédire le crépuscule de l’influence du communicant. « Il est tellement lié au président qu’en 2020 le départ de Ouattara sonnera sa fin », veut croire l’un de ses détracteurs.

Mais ce grand épicurien a assuré ses arrières : multipliant les investissements dans l’immobilier, il détient le Life Star, une boîte de nuit du Plateau, et a créé un club à cigares à la Riviera, où il peut déguster ses Nicaragua en admirant Abidjan. Fabrice Sawegnon développe aussi la branche média de Voodoo : déjà propriétaire des magazines Life et Tycoon, il s’apprête à lancer une nouvelle chaîne, Life TV, en association avec M6. Et débute dans la production de séries et de films.

Dès novembre, un long-métrage retraçant la vie de son premier amour, qui s’est suicidé à 17 ans, doit sortir sur les écrans ivoiriens. « Je suis un fou de cinéma. Dans dix ans, j’espère avoir une nouvelle vie et produire des films », déclare-t-il. C’est encore la meilleure recette pour façonner à sa guise la réalité.

Ehouo plutôt qu’Akossi-Bendjo

« Je rêvais du combat de David contre Goliath, je suis déçu ! » Fabrice Sawegnon jure qu’il n’a rien à voir avec la mise à l’écart de Noël Akossi-Bendjo. Maire depuis 2001, le cacique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a finalement renoncé à briguer un nouveau mandat après sa révocation par décret présidentiel au début d’août.

Accusé notamment de détournement de fonds publics sur la base d’informations fournies par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), il crie au règlement de comptes. « Je n’ai rien à me reprocher ! Alassane Ouattara m’a écarté parce que j’étais contre son projet de parti unifié entre le RDR [Rassemblement des républicains] et le PDCI », dénonce-t-il.

Malgré l’opposition d’une partie des cadres PDCI du Plateau, qui lui auraient préféré Parfait Kouassi, l’ex-adjoint de Bendjo, c’est finalement Jacques Ehouo qui fera face à Fabrice Sawegnon. Cet Ébrié a pour atouts sa jeunesse et sa proximité avec Noël Akossi-Bendjo, dont il est un neveu éloigné.

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Mais leurs affaires pourraient lui porter préjudice : l’édile (intérimaire) de la commune, Jacques Yapi, a dénoncé les contrats qui liaient la mairie à Neg-com, l’entreprise d’Ehouo. Chargée depuis 2004 de collecter les revenus publicitaires pour la commune, elle est soupçonnée de ne pas avoir reversé plusieurs centaines de millions de F CFA à la collectivité.

« Ehouo, c’est du menu fretin », croit Fabrice Sawegnon. L’homme a pourtant déjà prouvé qu’il avait les armes pour l’emporter. En 2016, il avait été très largement élu député du Plateau face au candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

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