Cameroun : Biya forever ?
Il n’a pas fait campagne, ni prononcé de discours, ni même détaillé son programme… Et pourtant, le chef de l’État, au pouvoir depuis près de trente-six ans, a toutes les chances d’être réélu le 7 octobre.
Présidentielle au Cameroun : huit candidats dans la course
Huit candidats, dont le président sortant Paul Biya, s’opposent lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Un scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire tendu, en particulier dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, secouées par un conflit opposant le gouvernement à des séparatistes.
C’est une petite bourgade de l’Ouest montagneux. Quelques milliers d’habitants, de jolies villas et un marché hebdomadaire. En ce 15 septembre pourtant, Bana a des allures de capitale : tout le Cameroun politique et des affaires se retrouve autour de la dépouille de Joseph Kadji Defosso, pionnier et doyen des industriels du pays, décédé le 23 août à l’âge de 95 ans.
Il y a là des ministres, dont Louis-Paul Motazé, Jacques Fame Ndongo, une brochette d’évêques, beaucoup de patrons, et même deux candidats à l’élection présidentielle du 7 octobre, Maurice Kamto et Joshua Osih. Et puis il y a l’absent, celui que du reste personne n’attendait vraiment : Paul Biya, 85 ans, est rentré le jour même de ses vacances genevoises, mais il n’est pas venu saluer la mémoire de ce symbole du capitalisme bamiléké. Marcel Niat Njifendji, le président du Sénat, a été chargé de le représenter. Moins parce que la région est traditionnellement acquise à l’opposition que parce que le chef de l’État n’assiste que très rarement aux cérémonies funéraires, tout le monde le sait.
« Un candidat pas comme les autres »
Absent et représenté, le président l’est aussi dans la campagne électorale. Depuis qu’il a annoncé par un tweet son intention de briguer un septième mandat, le 13 juillet, Paul Biya n’a plus rien fait ou dit qui pourrait laisser penser que l’issue du scrutin à venir le préoccupe un tant soit peu. Le fait qu’il ait choisi Twitter a pu sembler être le préambule d’une campagne moderne…
Mais alors que ses adversaires sont sur tous les fronts, menant pour certains un efficace travail de terrain, le président ne bouge pas. Il n’a pas réuni le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) en congrès pour faire approuver sa candidature. Le 20 septembre, il n’avait toujours pas nommé un directeur de campagne et aucun déplacement n’était prévu. Pas un discours, pas une interview dans la presse. Alors un débat ! En trente-cinq années de pouvoir, Biya ne s’est jamais prêté à l’exercice. Patron de la CRTV, la télévision à capitaux publics, Charles Ndongo a dû expliquer, sans convaincre, que « le président n’[était] pas un candidat comme les autres ».
Il ne faut donc pas s’attendre à voir le chef de l’État sortant défendre son bilan ou s’escrimer à susciter l’adhésion des électeurs à un nouveau projet de société. En 2004, son programme mettait en avant de « grandes ambitions ». En 2011, il vantait les « grandes réalisations ». Mais, cette année, les stratèges qui l’entourent peinent à inventer un slogan…
Un silence stratégique ?
Son silence se veut « arme de campagne », selon les mots de son infatigable pourfendeur, l’avocat Yondo Mandengue Black, qui l’attaque dans une nouvelle lettre ouverte publiée à la mi-septembre. Biya, qui s’était présenté à la fin des années 1980 comme étant le « meilleur élève » de François Mitterrand, a repris à son compte la théorie de la « rareté » de la parole du monarque républicain chère à Jacques Pilhan, le conseiller personnel du défunt chef de l’État français. Il applique la recette sans mise à jour, sans tenir compte des changements du pays. Il ne s’adresse à ses compatriotes que deux fois dans l’année : le 31 décembre et le 11 février, jour de la fête de la jeunesse. « Si le président n’a jamais communiqué, c’est aussi parce qu’il n’aime pas sa voix, précise un journaliste proche du pouvoir. Si j’étais son collaborateur, je lui déconseillerais de parler. »
Vous êtes le président des promesses non tenues », tance Yondo Black
Paul Biya se tait, mais ses ministres parlent pour lui. Des livres sont publiés, des tribunes sont rédigées… Rien de tout cela n’est véritablement coordonné, mais démontre – si besoin était – que les membres de la cour sont prêts à pousser toujours plus loin la louange, l’intéressé ayant lui-même manifesté une certaine sensibilité à la flatterie. Ce n’est pas un hasard si, en cette mi-septembre, le Tout-Yaoundé a autant commenté la réédition du livre Pour le libéralisme communautaire, un ouvrage signé Paul Biya censé résumer le socle doctrinal du RDPC et publié une première fois en… 1988.
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Mais il est des silences qui parlent mieux que tous les discours. Ils dispensent aussi le dirigeant de présenter un programme « New Deal », de proposer par exemple de créer une protection maladie universelle, de faire baisser la corruption, de réduire l’évasion fiscale, d’améliorer le cadre des affaires et l’attractivité du pays… En ne proposant rien d’autre que lui-même aux Camerounais, ce séminariste qui échappa à la prêtrise pour embrasser une carrière politique avance drapé de la légitimité de l’homme providentiel, seul capable de gouverner le pays.
Il ne quittera jamais le pouvoir de lui-même », indique un ancien ambassadeur de France à Yaoundé
Quand, le 31 décembre, il livre son discours de fin d’année, ses paroles ne sont pas toujours suivies d’effets. « Vous êtes le président des promesses non tenues », tance Yondo Black. En fait, le chef de l’État gagne du temps. En 1996, il a fait voter une Constitution qu’il a tardé à faire respecter : les toutes premières élections sénatoriales n’ont pas été organisées avant 2013 et les membres du Conseil constitutionnel n’ont pas été nommés avant février cette année. Il n’a jamais fait appliquer non plus l’article 66 de la Loi fondamentale, qui impose aux fonctionnaires et aux élus de publier une déclaration de leurs biens. Il s’est joué de Niels Marquardt, ambassadeur des États-Unis à Yaoundé entre 2004 et 2007, qui avait fait du respect de cette disposition une priorité de la lutte contre la corruption.
Se fondant sans doute sur une promesse présidentielle, le diplomate avait convoqué la presse pour assurer qu’il avait « de bonnes raisons de croire que cet article [serait] mis en application avant fin 2006 ». C’était il y a douze ans. Le message est clair : on ne force pas la main de Paul Biya.
Bal des dauphins
Le président n’apprécie pas davantage que les journalistes parlent de lui et, depuis de longues années, son entourage fait en sorte qu’aucune affaire ne vienne l’éclabousser. Le 27 septembre 2011, quelques jours avant la dernière présidentielle, Martin Belinga Eboutou, alors directeur du cabinet civil du président, avait ainsi fait défiler des dizaines de patrons de presse dans une suite louée dans un grand hôtel de Yaoundé. Selon le journaliste camerounais Christophe Bobiokono, qui a enquêté sur l’épisode et qui dirige aujourd’hui l’hebdomadaire Kalara, « chacun a reçu 15 millions de F CFA » (22 870 euros).
Paul Biya veut se maintenir à la tête du Cameroun, mais jusqu’à quand ? « Pendant nos entretiens, il lui était déjà arrivé d’évoquer son désir de prendre sa retraite, se souvient un ancien ambassadeur de France à Yaoundé. J’y ai longtemps cru. Mais, avec cette nouvelle candidature, je ne me fais plus d’illusions. Il ne quittera jamais le pouvoir de lui-même. » Aux diplomates étrangers, le chef de l’État aurait même promis la création d’un poste de vice-président pour simplifier la dévolution du pouvoir en cas de vacance. Mais il n’en a rien fait. Fidèle à sa méthode, il gagne du temps. Il sourit du bal des dauphins autodésignés qui font le miel de la presse – ce sont autant d’os à ronger jetés à la meute intrusive de ces journalistes dont il se méfie.
Le maître de l’échiquier
À la fin des années 1990, on croyait Justin Ndioro en pole position. Ce centralien passé par la Compagnie camerounaise d’aluminium (Alucam) et par la Société nationale d’électricité (Sonel) avant d’entrer au gouvernement (Finances, Énergie) paraissait avoir le profil idéal. Il est décédé en 2007 d’un mal mystérieux. Puis les projecteurs se sont tournés vers le diplomate René Sadi, secrétaire général adjoint de la présidence, secrétaire général du comité central du RDPC et ministre de l’Administration territoriale, avant que le maître de l’échiquier ne décide de le renvoyer dans la pénombre de la présidence, comme ministre chargé de mission.
Une partie de l’establishment avait préféré miser sur le sémillant Edgard Alain Mébé Ngo’o, ministre de la Défense entre 2009 et 2015, administrateur civil à poigne, homme de réseau, mais lui aussi a été brutalement sorti du gouvernement et renvoyé chez lui, sans poste ni mandat. Le chouchou de l’heure est l’actuel ministre des Finances, Louis-Paul Motazé, major de l’École nationale d’administration et de magistrature, passé par le ministère de l’Économie et le secrétariat général de la primature… Mais jusqu’à quand ?
Le moment venu, tout se jouera au sein du RDPC, le parti ultradominant taillé sur mesure pour son fondateur et conçu pour assurer la pérennité du système. Il n’est même pas sûr que la disparition du vieux président profitera aux prétendants les plus agités. Ils devront en passer par l’investiture du parti – une gageure.
Il a un comportement de monarque absolu », souligne un politologue de Yaoundé
Selon la Constitution, en cas de vacance du pouvoir, le président du Sénat assurera l’intérim pour organiser en quarante jours une présidentielle. Le candidat du RDPC y prendra naturellement part, mais il devra avoir été désigné par le bureau politique du parti… Or cette instance est incomplète : le chef de l’État ne remplace pas les membres décédés. Les membres « empêchés » non plus.
Incarcéré depuis 2012 et condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour des faits de « complicité intellectuelle de détournement », Marafa Hamidou Yaya y siège toujours. Pourrait-il vraiment avoir son mot à dire le cas échéant ? Une chose est sûre, le parti n’échappant pas à l’atmosphère oppressante entretenue au sommet de l’État, où règnent l’incertitude du lendemain, le soupçon et la délation, il faut craindre que l’affaire ne se règle de manière expéditive, comme au sein du parti communiste de l’ex-URSS.
L’élection approche et le scénario de cette curieuse campagne continue de s’écrire hors de la présence du principal intéressé. « Il a un comportement de monarque absolu, débarrassé des contraintes quotidiennes d’un pouvoir exécutif tel qu’on le conçoit dans une République dotée d’un système présidentiel », résume un politologue de Yaoundé.
Une présidence sans fin ?
Paul Biya n’en a cure. Estimant ne rien devoir à ses collaborateurs tout en considérant qu’eux lui doivent tout, il les laisse aller sur les plateaux de télévision porter sa parole. Il s’est replié sur son cercle familial restreint, au sein duquel son épouse a acquis une influence notoire, notamment dans le choix des proches collaborateurs du chef de l’État.
Rien de ce qu’il fait ne laisse penser qu’il envisage l’après-pouvoir. Pas question de quitter la magistrature suprême avant d’avoir défait militairement les sécessionnistes anglophones qui menacent la paix et l’intégrité dont il s’est toujours vanté d’être le garant. Pas tant que les finances publiques du Cameroun sont dans le rouge et que le niveau d’endettement est critique. Pas avant d’avoir prouvé qu’il était capable d’organiser la Coupe d’Afrique des nations prévue pour 2019. Un événement sportif dont il a fini par faire une affaire personnelle – Biya veut sa CAN comme on s’offre un feu d’artifice pour signer l’apothéose d’une longue présidence. Il ne partira pas maintenant. Pas comme ça. Mais quand ?
Ses principaux fiefs
•Bien qu’il ait peu fait campagne en 2011, Biya avait recueilli près de 78 % des suffrages selon les résultats officiels.
•Dans l’Adamaoua, le Centre, l’Est, l’Extrême-Nord et le Nord, son score a dépassé les 80 %
•Dans le Sud, il a même atteint 96,57 %
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