Côte d’Ivoire : Alcide Djédjé retourne sa veste

Ce diplomate était l’un des hommes les plus proches de Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, il rejoint le camp d’Alassane Ouattara.

Au FPI, Pascal Affi N’Guessan et Alassane Ouattara étaient, ces dernières années, comme les deux doigts de la main. © ISSOUF SANOGO/AFP

Au FPI, Pascal Affi N’Guessan et Alassane Ouattara étaient, ces dernières années, comme les deux doigts de la main. © ISSOUF SANOGO/AFP

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Publié le 23 septembre 2018 Lecture : 6 minutes.

Lorsque Alcide Djédjé sonne à la porte de sa villa, ce 3 septembre, Pascal Affi N’Guessan ne se fait plus d’illusions. Il sait ce que son compagnon de route est venu lui avouer. Alcide Djédjé, 61 ans, semble un peu gêné, fatigué aussi de ces années d’opposition. À son camarade, il annonce qu’il va créer, dès le lendemain, un parti. Surtout, il va rallier la coalition au pouvoir. Le président du Front populaire ivoirien (FPI) tente de l’en dissuader, mais il n’y a plus rien à faire. « Je suis déçu. Mais trahi ? Non », confie Pascal Affi N’Guessan.

Au bout de quarante-cinq minutes, les deux hommes se séparent. Ces dernières années, ils étaient « comme les deux doigts de la main », affirme un cadre du FPI. Depuis cette rencontre, ils ne sont pas fâchés, mais ils ne se sont ni vus ni parlé.

Certains durs du parti nous avaient pourtant dit qu’on ne pouvait pas lui faire confiance

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Au sein de l’opposition, beaucoup ont moins de retenue. « Traître », « opportuniste », les rires succèdent aux silences lorsqu’on prononce le nom du dernier ministre des Affaires étrangères de Laurent Gbagbo. « Quand j’ai appris qu’il passait du côté du pouvoir, j’ai été pétrifié. Certains durs du parti nous avaient pourtant dit qu’on ne pouvait pas lui faire confiance », lâche un ancien compagnon d’Alcide Djédjé. Celui-ci avait choisi le camp d’Affi N’Guessan lors de la scission du parti pro-Ggagbo. « Du compromis, il est passé à la compromission », conclut un membre de l’autre frange du FPI.

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Signes avant-coureurs

Pour beaucoup, sa trajectoire n’a rien d’une surprise. Un premier pas avait été franchi en mars 2017, lorsque le diplomate avait rejoint le cabinet du ministre Marcel Amon-Tanoh, l’un des hommes du premier cercle du président. Conseiller technique chargé de porter la candidature de la Côte d’Ivoire au siège de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, ce qu’il fit avec succès, puis directeur général des relations internationales auprès du ministre des Affaires étrangères, Alcide Djédjé avait contraint le FPI à le relever de ses fonctions de vice-président du parti.

Avec l’implosion, au début d’août, de la majorité, la menace pesant sur la stabilité du pays est devenue trop grande

Mais ce sont les dernières turbulences qui ont scellé la rupture. « Avec l’implosion, au début d’août, de la majorité, la menace pesant sur la stabilité du pays est devenue trop grande. Si la Côte d’Ivoire rechute, il n’y aura plus personne pour nous secourir. Il faut s’unir et je devais donner l’exemple », assure Alcide Djédjé. L’annonce de l’amnistie de 800 pro-Gbagbo, réclamée par l’opposition, a levé le dernier obstacle à la création du Congrès pour la consolidation de la République et le développement (Concorde).

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« Tourner la page de la crise »

En fait, cela faisait des années qu’Alcide Djédjé tentait de convaincre le FPI de changer de nom et d’identité. « Il fallait tourner la page de la crise », explique-t-il. Pas question d’assumer le dernier acte de la décennie Gbagbo. Une fuite en avant, selon lui, orchestrée par les personnages les plus intransigeants du régime du socialiste.

Lue lors du lancement du parti, sa longue lettre ouverte au prisonnier de la Cour pénale internationale a ravivé les plaies autant que les tensions dans la maison Gbagbo. Il y assure que l’ancien chef de l’État avait bien décidé de quitter le pouvoir en 2011. « J’ai passé la nuit du 4 avril chez l’ambassadeur de France. Tout avait été acté : la reddition du président, sa mise en sécurité puis son exil, la formation d’un gouvernement d’union nationale, la transition. Même Dogbo Blé (alors patron de la Garde républicaine, ndlr) était d’accord, raconte-t-il. Le 5 au matin, je suis allé à la résidence présidentielle, mais Simone m’a vu. Elle a dit : “Il nous a trahis”, puis m’a chassé. Je n’ai jamais pu reparler au chef de l’État. »

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« Faux, archifaux », répond l’un des vice-présidents du parti de Gbagbo. Comme aujourd’hui, les affrontements avec les plus inflexibles sont alors légion. « Surtout avec la Première dame et avec Aboudramane Sangaré », soupire Alcide Djédjé. Pas grand-chose en commun, en effet, entre la dame de fer, déterminée et idéologue, et le diplomate affable et « tiède » qui proclame aujourd’hui la fin du politique au profit d’une gouvernance par les grandes institutions internationales. Pendant ces semaines sombres, tous font partie du premier cercle du président, que Djédjé appelle encore Laurent et qu’il a longtemps tutoyé.

Djédjé-Gbagbo, destins croisés

Les deux hommes se sont connus en 1982, à l’université de Lyon, en France. Tous deux bétés, originaires de la région de Gagnoa (centre), et de gauche, ils créent le Mouvement ivoirien pour les droits démocratiques (MIDD). Mais Djédjé n’est décidément pas un politique : il part en Afrique du Sud commencer sa carrière en ambassade, quand Laurent Gbagbo lutte pour le pouvoir en Côte d’Ivoire.

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Au lendemain de la tentative de coup d’État et de la partition du pays, en 2002, c’est pourtant son vieux copain que Gbagbo, devenu président, appelle : il a besoin de ses réseaux. Conseiller du chef de l’État, qui l’envoie à Ouagadougou en 2007, puis nommé à New York avant de devenir ministre des Affaires étrangères au lendemain du premier tour contesté de 2010, Djédjé renforce sa présence et son influence avec les années. L’homme au visage rond et aux petites lunettes devient omniprésent.

À l’époque, dans les couloirs du pouvoir, il côtoie certains adversaires entrés dans le gouvernement d’union nationale comme Amadou Gon Coulibaly, actuel Premier ministre et, surtout, Marcel Amon-Tanoh, qui le lie aujourd’hui au régime Ouattara.

Je gagne très bien ma vie et on ne m’a promis aucun poste. (…) Mais si on m’en propose un, je ne dirai pas non.

« Il n’entre au RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, ndlr) que pour manger ! » fustige un responsable du FPI. « Ce n’est qu’un opportuniste. Que cherche-t-il à part un poste ? », déplore un autre

Changer de camp n’a pourtant pas permis à Alcide Djédjé de se réinstaller à la tête de l’ambassade de Côte d’Ivoire auprès des Nations unies. Alassane Ouattara a mis son veto : Djédjé n’a assuré qu’un intérim d’un mois. « Je gagne très bien ma vie et on ne m’a promis aucun poste, ni au sein du RHDP ni au sein du gouvernement, en échange de mon ralliement, jure-t-il. Mais si on m’en propose un, je ne dirai pas non. » À ceux qui le traitent de Judas, ce fervent chrétien répond qu’il préfère l’Ecclésiaste. « Vanité des vanités, tout est vanité », récite-t-il.

Sur qui peut-il vraiment compter ?

De ses années d’ambassadeur à New York entre 2007 et 2010, Alcide Djédjé a gardé de nombreuses relations à l’ONU. Il entretient des rapports chaleureux avec François Delattre, le représentant de la France aux Nations unies, comme il en avait sous Gbagbo avec les ambassadeurs occidentaux en Côte d’Ivoire.

Pendant la crise, il parlait quasi quotidiennement avec l’ambassadeur français Jean-Marc Simon, puis il est devenu proche de son successeur, George Serre, qui a quitté Abidjan l’an dernier. Mais après le lancement de Concorde, début septembre, c’est de l’ambassade américaine qu’il a reçu un coup de téléphone d’encouragement. Essy Amara, ex-ministre des Affaires étrangères d’Houphouët-Boigny et figure du PDCI, l’a également félicité.

Parmi les proches de Djédjé, il y a aussi Eugène Allou, ancien ambassadeur originaire de Gagnoa, ainsi que Hilaire Gomé, ex-conseiller de Gbagbo, et Alfred Guéméné, ancien syndicaliste.

Outre d’anciens membres de la galaxie patriotique comme Kouassi N’dri Ferdinand, alias Watchard Kédjébo, qui ont rallié Concorde, Alcide Djédjé peut compter sur le soutien de personnalités du régime Gbagbo, telle Danièle Boni-Claverie. L’ex-ministre de la Communication, aujourd’hui à la tête d’un petit parti d’opposition, s’était rapprochée de Djédjé lors de leur détention à Boundiali, en 2011. Ils s’étaient mariés en 2015 et ont divorcé l’an dernier.

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