Bénin : Patrice Talon descend dans l’arène

Insaisissable au début de son quinquennat, le chef de l’État a compris qu’il lui fallait communiquer et s’exposer. Le voici plus politique que jamais.

Avec les rois et chefs traditionnels du pays,le 25 août. © Présidence du Bénin

Avec les rois et chefs traditionnels du pays,le 25 août. © Présidence du Bénin

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Publié le 27 septembre 2018 Lecture : 6 minutes.

Patrice Talon porte une tunique impeccable et des lunettes aux verres fumés. Une centaine de chefs et rois en tenues traditionnelles venus des quatre coins du Bénin lui font face. Certains ont le visage caché par un long turban, d’autres la tête coiffée d’une élégante toque.

En ce 25 août, c’est la première fois, depuis son arrivée au pouvoir en avril 2016, que le président reçoit les têtes couronnées du pays. « Vous avez sollicité cette rencontre il y a longtemps, leur lance-t-il dans une salle climatisée de la fondation que dirige son épouse, Claudine. Mais mieux vaut tard que jamais. À partir d’aujourd’hui, nous serons vous et moi dans une dynamique de nouveau départ. Je veux jeter les bases d’un dialogue cordial entre nous. »

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Patrice Talon revient tout juste d’une semaine de vacances en Chine, et le voir ainsi se prêter à un exercice qu’il ne goûte guère n’est pas anodin. Mais l’heure est à la reconquête. Le chef de l’État le sait, ses réformes et son mode de gouvernance ont créé un fort sentiment de frustration. Exacerbé par la morosité de l’économie, le mécontentement traverse tous les corps de la société et a galvanisé une opposition pourtant considérablement affaiblie.

Déficit de popularité

Si Patrice Talon dispose toujours d’une solide majorité à l’Assemblée nationale, il a par deux fois échoué à y faire adopter une réforme constitutionnelle. Certes, en avril 2017, les changements étaient significatifs – il voulait faire instaurer un mandat présidentiel unique. Mais, en juillet dernier, la proposition de réforme était plutôt consensuelle et n’aurait pas dû rencontrer d’obstacles. Elle prévoyait la suppression de la peine de mort, la création d’une Cour des comptes (une exigence de l’Uemoa), l’alignement des mandats en vue du couplage des élections et le renforcement de la présence des femmes aux postes à responsabilités.

Le 6 juillet donc, seuls 62 des 82 députés ont voté en faveur du texte – il fallait 66 voix pour qu’il soit entériné. Et, alors qu’il en avait la possibilité, Talon a préféré ne pas soumettre la proposition à référendum, estimant que le climat social prendrait le dessus et que les Béninois ne voteraient pas pour ou contre le texte, mais pour ou contre sa personne. C’est dire si l’ancien magnat du coton est conscient de son déficit de popularité.

Nous sommes parvenus à faire voter la grande majorité des réformes, telles celles sur le code électoral et le droit de grève, rappelle l’un de ses conseillers

À Cotonou, l’entourage du chef de l’État préfère relativiser l’importance de cet échec. « Nous sommes parvenus à faire voter la grande majorité des réformes, telles celles sur le code électoral et le droit de grève, rappelle l’un de ses conseillers. Nous avons réussi à dompter un pays où les magistrats étaient tout-puissants. Cette séquence était primordiale pour le président. Il est soulagé d’en avoir terminé. Nous voyons le bout du tunnel. »

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Malgré tout, les proches de Patrice Talon reconnaissent que cette nouvelle rebuffade des parlementaires et la perspective des élections législatives de mars 2019 ont fini par le convaincre qu’il devait évoluer. Durant les deux premières années de son mandat, Patrice Talon se montrait insaisissable. Il fuyait la lumière, refusait que ses déplacements soient couverts par la presse. La « rupture » – son slogan de campagne – devait mettre fin à la politique spectacle théorisée par son prédécesseur, Thomas Boni Yayi.

Pendant de longs mois, les membres du gouvernement et les députés ont dû prendre leur mal en patience : chaque fois qu’ils sollicitaient le président pour organiser une tournée sur le terrain, une fin de non-recevoir leur était opposée. En septembre 2017, le ministre des Transports, Hervé Hêhomey, avait même été limogé pour avoir organisé un meeting politique alors que le chef de l’État lui avait demandé de se rendre d’urgence dans un village du Nord où un pont avait cédé.

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Objectif : une nouvelle image

Aujourd’hui, la donne a changé. Patrice Talon multiplie les audiences publiques au palais présidentiel et les déplacements sur le terrain. Il a autorisé son gouvernement et ses conseillers à faire de même et effectuera une grande tournée dans le pays en octobre. « L’objectif est de montrer une autre image de lui, explique l’un de ses conseillers. La population le trouve distant : il doit se métamorphoser. La réalité du pouvoir est implacable. Les Béninois ont été habitués à une manière de faire de la politique. Si l’on veut que notre action soit une réussite, il faut s’y plier. »

Les semaines précédant le vote de la réforme constitutionnelle, le chef de l’État avait préféré ne pas s’impliquer directement dans les tractations avec l’opposition, estimant que le projet n’avait rien de clivant. « Mais les personnalités politiques importantes qui le soutiennent, comme l’ancien président de l’Assemblée nationale, Bruno Amoussou, et l’actuel titulaire du perchoir, Adrien Houngbédji, ont sous-estimé la détermination de Thomas Boni Yayi », affirme un député. Selon nos sources, l’ancien président, avide de revanche, a personnellement appelé plusieurs parlementaires pour les convaincre de s’opposer au projet. « Si jamais tu ne le fais pas, c’est terminé entre toi et moi », a-t-il déclaré à l’un d’eux début juillet.

Sphère médiatique

Le refus du Parlement a renforcé Talon dans sa volonté de ne rien laisser au hasard. Fin août, alors que la réforme du code électoral était sur le point d’être débattue à l’Assemblée, le chef de l’État a multiplié les rencontres à son domicile, parfois jusque tard dans la nuit, afin de s’assurer que le texte subisse le moins d’amendements possible. Ses adversaires lui ont reproché d’être invisible ces deux dernières années… Le voici plus politique que jamais.

Cette reprise en main a également touché la sphère médiatique. Suspendus en début de mandat, les contrats de publicité et de communication entre les médias et l’État ont été rétablis. Les services de la présidence ont accru leur présence, directe ou indirecte, sur les réseaux sociaux. Plusieurs médias privés proches de l’opposition ont été fermés ou suspendus. C’est le cas, notamment, depuis avril, du quotidien La Nouvelle Tribune, pourtant proche de Talon lorsque ce dernier vivait en exil à Paris.

Patrice Talon s’est toujours donné les moyens de l’emporter. Il ne compte pas changer

Dans ce contexte, l’instauration début août d’une taxe sur l’utilisation des réseaux sociaux (une mesure qui existe dans plusieurs autres pays du continent) a été perçue comme une nouvelle atteinte à la liberté d’expression. Devant la contestation des internautes, les autorités ont finalement décidé de suspendre cette mesure.

Ce raidissement inquiète un certain nombre d’observateurs, mais ça n’est pas ce que retient l’une de ses éminences grises : « Nous sommes entrés dans une période préélectorale. Patrice Talon s’est toujours donné les moyens de l’emporter. Il ne compte pas changer. »

L’opposition se cherche toujours

La nouvelle charte des partis politiques contraint l’opposition au regroupement – reste à savoir autour de qui. Très discret depuis le lancement de sa formation fin mars (l’Union sociale libérale n’a d’ailleurs toujours pas reçu le récépissé du ministère de l’Intérieur), Sébastien Ajavon demeure handicapé par des problèmes fiscaux qui l’empêchent d’être directement candidat. Sous le coup d’un redressement fiscal colossal, l’homme d’affaires, perdant lors de la dernière présidentielle, a aussi vu plusieurs de ses biens saisis et ses comptes bloqués au Bénin.

Toujours influent dans le marigot politique local, l’ancien président Thomas Boni Yayi prend plaisir à gêner son successeur mais reste sourd aux pressions de ses proches qui souhaitent le voir se présenter aux prochaines législatives.

Il devrait néanmoins rencontrer prochainement Candide Azanaï, l’ancien ministre délégué à la Défense de Talon, afin de discuter d’une possible alliance. Enfin, Léhady Soglo et Komi Koutché sont toujours absents du pays. L’ancien maire de Cotonou réside en France, tandis que l’ex-ministre de Yayi vit aux États-Unis.

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