Guinée : mémoire collective, mémoire vive
L’ouvrage « Mémoire collective, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée » part de l’idée simple et terrible que la mémoire des crimes est enfouie au plus profond de la terre guinéenne.
Guinée : soixante ans d’indépendance
1958-2018. Soixante ans plus tard, le pays de Sékou Touré et d’Alpha Condé renoue avec les espoirs de l’indépendance.
Pour une fois, les deux principales forces politiques du pays sont d’accord, ou presque. « La violence est une culture politique dans notre pays », déplore Tibou Kamara, conseiller spécial du président Alpha Condé.
Le député d’opposition Fodé Marega, de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), accuse tous les successeurs de Sékou Touré d’avoir sciemment organisé une « amnésie » sur les crimes du passé, y compris Alpha Condé, pourtant lui aussi victime du premier président de la Guinée indépendante.
Ouvrage collectif de 356 pages
Pourquoi la Guinée a-t-elle « scellé un pacte de silence avec son passé », comme le dit un diplomate en poste à Conakry ? Bien sûr, il y a la double personnalité de Sékou Touré, l’homme qui a dit non à de Gaulle et s’est ensuite comporté comme un tyran sanguinaire. Mais l’écrivain Tierno Monénembo va plus loin : « Les dictateurs humilient, et ce n’est pas facile de parler de sa propre humiliation. »
Dans cet ouvrage collectif de 356 pages, réalisé, sous la coordination de Laurent Correau, par sept journalistes de RFI, huit universitaires guinéens et français, et deux chercheurs de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), les épisodes les plus dramatiques de l’histoire guinéenne sont revisités grâce à de nouvelles archives et aux témoignages inédits de bourreaux et de rescapés, aussi bien à l’époque du sinistre camp Boiro de Sékou Touré que lors du massacre du 28 septembre 2009, sous le régime ubuesque de Moussa Dadis Camara.
Réconciliation par l’oubli
« À la violence de l’État s’est substituée une violence populaire contre l’État », estime le socio-anthropologue Alpha Amadou Bano Barry. « Face à des jeunes ultraviolents dans certains quartiers, les policiers ont souvent peur », témoigne l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat.
Mémoire collective constate que la mémoire guinéenne n’est pas encore collective
De retour de Siguiri, où un commerçant peul a été tué à coups de machette lors de la campagne électorale de 2010, l’historienne Safiatou Diallo dénonce, elle, le poids de l’ethnicité dans beaucoup d’explosions de violence. « Il est grave de constater que l’ethnie sert d’argument déterminant pour des discours politiques épuisés et souvent vides de sens », écrit-elle.
Mémoire collective constate que la mémoire guinéenne n’est pas encore collective. Elle est fragmentée, cachée. D’où la volonté des auteurs de contribuer au chantier de la construction de cette mémoire. Pas simple quand les autorités semblent prôner la réconciliation par l’oubli. Les auteurs du massacre de septembre 2009 seront-ils jugés un jour ? « Si on ne met pas un peu de lumière sur notre passé, comment avoir la lumière sur notre avenir ? », lance Tierno Monénembo.
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