Élections au Gabon : deux ans après, va-t-on tourner la page de la présidentielle ?

Deux ans après la présidentielle, l’opposition rêve de contraindre Ali Bongo Ondimba à une cohabitation inédite à l’issue des élections législatives et locales. Première manche le 6 octobre.

De g. à Dr. : Alexandre Barro-Chambrier (RHM), Guy Nzouba-Ndama (Démocrates), le président Ali Bongo Ondimba, Michel Menga (suspendu de ses fonctions de secrétaire général du RHM depuis son entrée au gouvernement, et Jean Ping, qui appelle au boycott du scrutin. © Saad pour Jeune Afrique

De g. à Dr. : Alexandre Barro-Chambrier (RHM), Guy Nzouba-Ndama (Démocrates), le président Ali Bongo Ondimba, Michel Menga (suspendu de ses fonctions de secrétaire général du RHM depuis son entrée au gouvernement, et Jean Ping, qui appelle au boycott du scrutin. © Saad pour Jeune Afrique

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 1 octobre 2018 Lecture : 8 minutes.

Revoilà les Gabonais en campagne électorale. Alors que les braises de la présidentielle de 2016 fument encore, les électeurs sont appelés à choisir 143 députés à l’occasion des législatives, dont le premier tour se tiendra le 6 octobre et qui seront couplées à des scrutins locaux.

Le pays est fracturé, les rancœurs ne sont toujours pas digérées, mais le Gabon a changé : personne, à Libreville ou à Port-Gentil, n’ignore l’ampleur des dégâts causés par l’affrontement qui a opposé Ali Bongo Ondimba à Jean Ping. Le discours populiste qui avait ciblé la « légion étrangère » censée entourer le chef de l’État n’est plus de mise, et la Coalition pour la Nouvelle République, réunie autour du candidat unique de l’opposition, a volé en éclats.

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Les divisions ont entraîné l’émiettement du paysage politique, et plusieurs partis sont apparus. Guy Nzouba-Ndama, qui avait accepté de se ranger derrière Jean Ping il y a deux ans, a lancé Les Démocrates. Les deux hommes ne se voient plus depuis des mois. L’ancien président de l’Assemblée nationale a même décidé de braver le mot d’ordre de boycott que Ping a fait diffuser par ses proches. Lui-même candidat au siège de Koulamoutou (Ogooué-Lolo), Nzouba-Ndama se pose comme le probable chef de file de l’opposition parlementaire. Lors de la présidentielle, c’était tous pour un. Le 6 et le 27 octobre (date fixée pour le second tour), ce sera chacun pour soi.

Trente-trois listes invalidées

Certes, le Rassemblement Héritage et Modernité (RHM) d’Alexandre Barro-Chambrier et l’Union nationale (UN) de Zacharie Myboto se sont engagés, le 8 septembre, à ne pas présenter de candidatures concurrentes pour les mêmes sièges, mais ils ne sont pas parvenus à un accord national.

Guy Nzouba-Ndama ne s’est engagé que sur une promesse de désistement au second tour

Résultat : les deux alliés seront en compétition sur une vingtaine de sièges. Avec Les Démocrates, les négociations n’ont pas non plus abouti au résultat espéré : Guy Nzouba-Ndama ne s’est engagé que sur une promesse de désistement au second tour. Rien de plus. « Je ne me ferai plus jamais avoir », a promis l’intéressé, à qui la présidentielle a laissé un goût amer. En 2016, il n’avait pas vu venir la coalition qui allait faire de Ping le candidat unique de l’opposition et il ne s’était désisté qu’à regret. Désormais, il se méfie de Zacharie Myboto et d’Alexandre Barro-Chambrier, qui étaient à la manœuvre.

Puis vinrent les investitures dans lesquelles les opposants se sont emmêlé les pinceaux et l’ont payé cher. Deux jours avant le début de la campagne électorale, fixé au 25 septembre, pas moins de 33 listes ont été invalidées par la Cour constitutionnelle, saisie de 175 recours en contentieux préélectoral. C’est le RHM qui en a le plus pâti. La faute à la confusion qui règne au sommet de la formation de Barro-Chambrier, avec Michel Menga dans le rôle de trublion de la campagne.


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Nommé le 4 mai à la tête du ministère de l’Habitat, contre l’avis de son parti, cet ancien frondeur du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir) a été suspendu de ses fonctions de secrétaire général du RHM, mais il n’en a pas été formellement exclu. Meneur d’un RHM bis, il dispute la bannière de la formation à Barro-Chambrier, au point d’investir ses propres candidats. Dans plusieurs circonscriptions, les frères ennemis se sont retrouvés face à face.

La cour présidée par Marie-Madeleine Mborantsuo a mis fin à la dispute en éliminant à plusieurs reprises les deux candidats présentés par le RHM. En lice dans le 1er arrondissement de Libreville, Victorine Tchicot a ainsi vu ses deux listes (législatives et locales) invalidées, et elle ne décolère pas de faire ainsi les frais de la bataille des chefs : « C’est injuste au regard du travail que nos équipes avaient déjà abattu en amont, mais je ne baisserai pas les bras ! »

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Jean Ping isolé

L’hécatombe dans les rangs du RHM, toutes tendances confondues, a ému les adversaires de la majorité. « En agissant de la sorte, la Cour s’est donné le droit de décider à la place du peuple en opérant une présélection des candidats avant le vote », regrette un proche de Casimir Oyé Mba, un autre ténor de l’opposition.

Un temps égérie de la galaxie Ping, Annie Léa Meye l’a quittée pour tenter sa chance dans les urnes

« Sur ce coup-là, je ne ferai pas de procès à la Cour, relativise Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, candidat UN dans la commune d’Akanda, près de Libreville. Je n’en peux plus de ces politiciens qui changent d’opinion et de parti comme de chemises. C’est une maladie qui mine la classe politique gabonaise. C’est à cause d’eux qu’on a invalidé des listes conduites par des personnes de qualité. »

Jean Ping opposant d'Ali Bongo © Thierry Charlier/AP/SIPA

Jean Ping opposant d'Ali Bongo © Thierry Charlier/AP/SIPA

Au sein de l’opposition, ceux qui ont choisi de se présenter savent devoir surveiller leurs arrières : Jean Ping, qui fut leur champion, ne veut pas entendre parler d’élection. Il ne varie pas dans la revendication de sa victoire en 2016. Mais il est aujourd’hui isolé : Casimir Oyé Mba, Zacharie Myboto et Paulette Missambo, trois de ses alliés officiels, qui sont aussi des poids lourdGabon : le silence de Jean Ping face à la candidature de l’Union nationale aux législativess de la politique gabonaise, ont affiché leur soutien à des candidats et ne suivent donc pas son appel au boycott.

Un temps égérie de la galaxie Ping, Annie Léa Meye l’a quittée pour tenter sa chance dans les urnes. Elle est candidate au premier siège du 1er arrondissement de Libreville pour le compte de Démocratie nouvelle, le parti de René Ndemezo’o Obiang.


>>> À LIRE – Gabon : le silence de Jean Ping face à la candidature de l’Union nationale aux législatives

Malgré tout, l’ancien président de la Commission de l’UA peut encore compter sur Jean Eyeghé Ndong, sénateur du 2e arrondissement de Libreville, et sur Joseph-John Nambo et Francis Obam, deux très proches qui ne se sont jamais soumis à l’épreuve du suffrage universel.

Au parti au pouvoir aussi on garde le souvenir de ces dizaines de militants qui ont fait défection avant la présidentielle

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Qu’espèrent Ping et son carré de fidèles ? Parvenir à démobiliser les électeurs pour faire baisser le taux de participation, qui n’était déjà que de 34,28 % lors des législatives en 2011. « Si on descendait à moins de 20 %, ce sera un bon argument pour contester la représentativité de ce Parlement », pronostique-t-on parmi les pro-Ping.

En face, coté pouvoir, on travaille pour garder le contrôle de la majorité à l’Assemblée nationale et dans les exécutifs communaux. S’agissant des législatives, le PDG a présenté des candidats pour chacun des 143 sièges brigués, tandis que pour les locales il présentera 122 listes. Sitôt nommé au secrétariat général du parti, en août 2017, Eric Dodo Bounguendza avait promis d’insuffler la démocratie dans tous les processus, mais il a été vite rattrapé par le principe de réalité : au parti au pouvoir aussi on garde le souvenir pas si lointain de ces dizaines de militants qui ont fait défection avant la présidentielle.

Potion amère

Le Palais du bord de mer tente néanmoins de tisser un nouveau lien de confiance avec les instances du PDG, dont les membres ont du reste été renouvelés. Pour y arriver, le président tente d’éviter les télescopages entre l’Association des jeunes émergents volontaires (Ajev), dirigée par son directeur de cabinet Brice Laccruche Alihanga, et le parti. Mais il a fort à faire avec la fougue des jeunes premiers qui veulent en finir avec le conservatisme réactionnaire du PDG.

Il faudra aussi compter avec les nombreuses candidatures indépendantes portées par les membres de l’Ajev

L’offensive de l’Ajev vise notamment la province du Woleu-Ntem, réputée être un bastion inexpugnable de l’opposition. Renaud Allogho, 39 ans, « ajevien » et patron de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS), a été nommé tête de liste au conseil départemental de la province avec l’accord du parti au pouvoir. Il faudra aussi compter avec les nombreuses candidatures indépendantes portées par les membres de l’Ajev, parfois au grand dam du PDG, à l’instar de celle de Patrice Mezui, dans le 2e arrondissement d’Oyem, qui affrontera le baron local du PDG, François Engongah Owono.

En plus de l’Ajev, il y a aussi le Rassemblement pour la restauration des valeurs, une autre association dont les membres gravitent autour du pouvoir. Proche de Noël Mboumba, le patron de la Société gabonaise de raffinage (Sogara), elle a également présenté des candidats. Le risque étant celui de la dispersion des voix, défavorable à la majorité, le PDG supporte ces associations comme on avale une potion amère.

Tourner la page de la présidentielle

Si le PDG a du mal avec les jeunes loups, il se réjouit de ce que plusieurs poids lourds du gouvernement aient déposé leur candidature aux législatives. Ainsi du Premier ministre Emmanuel Issoze-Ngondet, candidat au premier siège à Makokou (Ogooué-Ivindo) et Alain-Claude Bilie By Nze, ministre des Sports, en lice pour le deuxième siège de cette ville. Même chose pour le ministre des Affaires étrangères, Régis Immongault, candidat à Lastourville (Ogooué-Lolo), de Jean-Fidèle Otandault (Budget et Comptes publics) à l’assaut d’un siège à Port-Gentil, et du titulaire du portefeuille de la Communication, Guy Bertrand Mapangou, qui convoite le premier siège du département de Tsamba-Magotsi. Candidats également, la ministre de la Santé, Denise Mekam’ne, à Ndjolé ; celui de la Justice, Anicet Mboumbou Miyakou, à Ndindi, et celui de l’Éducation nationale, Francis Nkéa, à Bolossoville.

Tous y vont d’abord pour légitimer leur présence au gouvernement, mais aussi pour tourner la page de la présidentielle sans retomber dans une crise politique liée à la contestation électorale ni occasionner une crise institutionnelle en laissant l’opposition s’emparer de la majorité au sein de l’Assemblée nationale… Mais pour eux, le risque est grand : survivraient-ils au prochain remaniement gouvernemental si d’aventure ils n’étaient pas élus ? Rien n’a été explicité, mais les ministres-candidats savent tous ce qui est en jeu.

Le risque calculé d’Issoze-Ngondet

Pourquoi le Premier ministre prend-il le risque de se présenter aux législatives ? « Parce qu’il ne peut pas ne pas y aller », répondent ses proches. C’est un risque calculé s’agissant de ce siège du 1er arrondissement de Makokou (Ogooué-Ivindo) car Issoze-Ngondet l’a déjà gagné en 2011. S’il veut réaffirmer sa légitimité de chef de la majorité parlementaire, il doit lui-même se frotter au suffrage universel. Par ailleurs, qui comprendrait que celui qui a conduit le dialogue national inclusif d’Angondjé, en 2017, ne soit pas lui-même sur le terrain pour expérimenter les réformes qui en ont résulté ? Le scrutin à deux tours, notamment… Ne pas y aller donnerait raison à ses détracteurs, qui attribuaient les reports du scrutin à la « peur » d’une défaite.

Sur le plan local, Issoze-Ngondet travaille pour conforter sa position de patron politique de cette province qui a plébiscité Ali Bongo Ondimba en 2016 (65,96 % des voix). Et puis il n’est pas question de laisser les estrades de campagne au seul Alain-Claude Bilie By Nze, candidat au deuxième siège de la ville, qui aspire lui aussi au contrôle de l’Ogooué-Ivindo.

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