Présidentielle au Cameroun : aux urnes (si possible) !

Dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre, même si le gouvernement promet de garantir la sécurité des électeurs.

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS

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Publié le 5 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS
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Présidentielle au Cameroun : huit candidats dans la course

Huit candidats, dont le président sortant Paul Biya, s’opposent lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Un scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire tendu, en particulier dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, secouées par un conflit opposant le gouvernement à des séparatistes.

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Que se cache-t-il derrière ces trois chalutiers qui croisent au large de la presqu’île de Bakassi ? Dans la nuit du 6 au 7 septembre, la marine camerounaise est bien décidée à percer le mystère.

Des sources concordantes l’ont informée que les navires transportaient des armes à destination des sécessionnistes sévissant dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Le patrouilleur Sanaga décide de les arraisonner.

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Après un « abordage musclé » face à une « résistance farouche », armes et munitions (AK 47, fusils de chasse calibre 12 et cartouches de 7,62 mm) sont découvertes, ainsi que d’importantes sommes d’argent.

Exode et représailles

Une quarantaine de mercenaires étrangers sont arrêtés et accusés de détention d’armes de guerre, pêche illégale et immigration clandestine. « Ces renforts envisageaient des attaques à partir du 15 septembre dans les régions anglophones », croit savoir le colonel Didier Badjeck, porte-parole du ministère de la Défense, évoquant la « livraison d’une commande ».

À partir du 15 septembre ? Les responsables sécuritaires ont deux dates plus précises en tête : le 1er octobre, qui commémore la naissance de la République fédérale du Cameroun, en 1961, et le 7 octobre, premier tour de la présidentielle.

Que craignent-ils ? Selon Amnesty International, 160 membres des forces de sécurité ont été tués par les séparatistes depuis la fin de 2016, jusqu’à 400 civils ont perdu la vie, et on dénombre environ 200 000 déplacés internes ou réfugiés. « Nous pourrions bien assister à une activité accrue des séparatistes, qui menacent de perturber le processus électoral à tout prix », explique Samira Daoud, directrice régionale adjointe de l’ONG.

Les sécessionnistes menacent les citoyens de représailles s’ils venaient à glisser un bulletin de vote dans les urnes

« Le gouvernement paraît n’avoir aucune autre stratégie que l’option militaire, présentée comme une opération de pacification et de restauration de l’autorité de l’État, déplore l’avocat Stéphane Enguéléguélé, membre de l’équipe de campagne d’Akere Muna. Les pouvoirs publics n’ont pas pris les mesures à même d’assurer l’organisation d’un scrutin crédible et d’empêcher l’exode des électeurs. Dans ces régions qui se vident, les opérations électorales ne pourront pas se dérouler. »


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À Bamenda, les sécessionnistes menacent depuis plusieurs mois les citoyens de représailles s’ils venaient à glisser un bulletin de vote dans les urnes. Certains se sont même vu confisquer leur carte d’électeur. Et la capacité de l’État à prévenir la violence et à juguler la méfiance pose question. « À Bamenda, on pourra voter dans certains quartiers, comme le centre administratif, mais ailleurs cela sera difficile, voire impossible », prédit un notable local.

« La situation est maîtrisée », rétorque-t-on au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). « Les populations font confiance aux forces de défense », ajoute le colonel Badjeck. Symbole de la « confiance » et de la « maîtrise » affichées par le sommet de l’État, la campagne du RDPC a débuté dans le Nord-Ouest, où le Premier ministre a tenu meeting le 22 septembre. Mais Philémon Yang n’a pas fanfaronné.

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Il a conseillé aux militants d’éviter les rassemblements publics et de ne pas faire de porte à porte. Situation « maîtrisée » donc, mais prudence. À ses côtés, le député RDPC Richard Wallang n’en pensait sans doute pas moins. Il y a quelques mois, à Yaoundé, il nous faisait part de ses inquiétudes – un euphémisme – quant à la possibilité pour ses militants de faire campagne dans son département du Menchum (Nord-Ouest), frontalier du Nigeria, où lui-même hésitait à se montrer.

Bureaux délocalisés

L’homme chargé de la sécurisation de l’élection, Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, a-t-il échoué ? Il est chargé de la coordination des opérations avec, sous ses ordres, les deux gouverneurs régulièrement chahutés par les populations, Adolphe Lele Lafrique (Nord-Ouest) et Bernard Okalia Bilai (Sud-Ouest), et en collaboration avec le ministère de la Défense et Elecam, l’instance électorale.

Le 15 juillet, à la gare routière de Buéa, des habitants des régions anglophones fuient les violences. © Stringer/AFP

Le 15 juillet, à la gare routière de Buéa, des habitants des régions anglophones fuient les violences. © Stringer/AFP

De nouvelles unités militaires ont été créées dans les deux régions en février par le président Paul Biya, et ce dernier a insisté sur la sécurité lors du (rare) Conseil des ministres qu’il a présidé en mars. Mais de combien de soldats parle-t-on ? « Secret-défense », répond l’armée.

« On ne peut pas entrer dans les détails, mais ceux qui voudront voter le feront », assure Elecam. Celle-ci a décidé de délocaliser certains bureaux de vote et de les regrouper dans des centres sécurisés, afin de « rassurer les électeurs qui ne souhaitent pas se rendre dans les zones à risque ».

Le scénario le plus probable est celui d’une abstention record

Leur liste et leurs emplacements ne seront rendus publics que le 30 septembre, mais l’initiative, déjà, ne plaît guère. « Nous nous opposons à l’apartheid que le gouvernement est en train d’instaurer. Certains devront parcourir plus de 40 km pour aller voter », dénonce Joshua Osih, candidat du Social Democratic Front (SDF).

« Ce ne sont pas les bureaux qui ont besoin de protection, ce sont les Camerounais ! », tempête un responsable de l’équipe du candidat Maurice Kamto. À quelques jours du vote, le scénario le plus probable est celui d’une abstention record. Certains commencent même à relativiser l’intérêt de faire campagne en zone anglophone. Dans le secret de la confidence, un responsable de l’opposition avoue avoir décidé de ne pas y gaspiller ses moyens.

En cas d’abstention record, les sécessionnistes auront-ils démontré l’impuissance de l’État unitaire, cher à Paul Biya, dans la zone anglophone ? « Désinformation, rétorque un responsable gouvernemental. Le 7 octobre, le Cameroun prouvera une nouvelle fois sa maturité et sa capacité à régler ses crises. » Rendez-vous est pris.

Boko Haram, l’autre péril

Si les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest attirent les regards, celles du septentrion n’en sont pas moins toujours la cible des menaces de Boko Haram. Le groupe islamiste y aurait tué près de 150 civils et au moins 18 militaires en 2018. Des politiques locaux y ont été enlevés puis libérés contre rançon, et les risques d’attentat persistent, malgré la baisse des activités du groupe.

Un regroupement des bureaux de vote n’est a priori pas envisagé, comme c’est le cas dans les régions anglophones, mais le Bataillon d’intervention rapide (BIR), soutenu par les comités de vigilance locaux (qui compteraient près de 15 000 membres), sera chargé de sécuriser l’élection dans le Nord, l’Adamaoua et l’Extrême-Nord, réservoirs de voix majeurs.

Les différents candidats ont en tout cas pu y multiplier les meetings. « Les conditions de sécurité ne sont pas totalement garanties, malgré les succès des forces de défense et de sécurité », nuance un collaborateur d’Akere Muna. « Il y a certaines zones où nos responsables n’ont pas pu se rendre. Mais le défi n’est pas aussi grand que dans la zone anglophone », explique quant à lui un proche de Maurice Kamto.

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