Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo bientôt libre ?
Les avocats de l’ex-président ont été autorisés à plaider le non-lieu devant la CPI. Confiants, ses partisans le voient revenir au pays avant la prochaine présidentielle.
Comme toujours, Laurent Gbagbo n’a rien laissé au hasard. Aux côtés de ses avocats, il a entendu chaque argument du procureur, il a repensé aux mots des témoins à la barre, revu ces dizaines de pages qui sont venues s’ajouter au tentaculaire dossier pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité de la Cour pénale internationale (CPI).
« Il est plus investi que jamais », confie son ami le socialiste français Guy Labertit. Et il en a eu le temps. Cela faisait huit mois que l’exprésident ivoirien et son compagnon d’infortune, Charles Blé Goudé, n’avaient pas pris le chemin de la salle d’audience. Huit mois pendant lesquels il y a bien eu les visites de ses amis, les séances de gymnastique auquel il se soumet bon gré mal gré, ses lectures d’essais politiques… Mais ce retour dans le box, le 1er octobre, il l’attendait au moins autant que ses partisans.
Comme lui, nous sommes confiants et sereins
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Dans le camp Gbagbo, une certaine fébrilité règne. « Comme lui, nous sommes confiants et sereins. Nous n’avons jamais été aussi proches d’une fin positive. Que les juges autorisent cette audience de non-lieu est en soi un signal », se réjouit Guy Labertit. Rare, puisqu’elle n’avait jusqu’ici été demandée que dans l’affaire du vice-président kényan William Ruto, cette procédure permet de requérir l’abandon des charges en plein procès. C’est la défense qui l’a demandée aux juges, avant même de présenter ses arguments à la Cour.
« Nous n’avons rien à répondre au procureur car il n’y a rien dans son dossier. On ne réplique pas au vide », plaide Emmanuel Altit, l’avocat de Gbagbo. Pendant ces deux années d’audience, l’accusation a fait comparaître 82 témoins, des milliers de preuves ont été présentées, des centaines d’heures de vidéos exposées. « Ces éléments sont très faibles, et vous allez voir à quel point nous sommes forts », promet l’avocat.
Mille pages pour convaincre
Cinq cents pages de requête de non-lieu ont été déposées par la défense devant les juges, auxquelles le bureau du procureur a répondu en septembre. Pas moins de 1 057 pages et 6 000 notes de bas de page pour convaincre alors que, de couacs en déclarations surprenantes, les comparutions de certains de ces témoins ont parfois dérouté.
« La défense nous annonce à tout bout de champ la libération de Laurent Gbagbo, mais ça n’est toujours pas le cas. Et il y a bien des raisons à cela. On ne garde pas quelqu’un si on n’a rien contre lui, répond Jean-Paul Benoit, l’un des avocats de l’État de Côte d’Ivoire. C’est vrai que certains témoins ont été moins performants devant la Cour qu’ils ne l’avaient été lors de leurs premières déclarations. Ont-ils été impressionnés ou soumis à des pressions ? En tout cas, les responsables militaires comme l’ancien chef d’état-major, le général Mangou, ont confirmé qu’il y avait eu une action concertée contre des civils pendant la crise postélectorale. C’était alors Laurent Gbagbo qui avait le pouvoir, lui qui donnait des ordres aux militaires, lui qui demandait à recruter des miliciens, lui aussi qui a fait braquer des banques pour payer ces hommes armés ! Son rôle ne fait aucun doute. »
Pour son confrère Jean-Pierre Mignard, « la défense cherche à faire monter la pression, elle crie victoire et délégitime le travail d’instruction. C’est un classique. Un coup de bluff pour marquer l’opinion ! »
Sept ans après le transfert de Gbagbo à la CPI, plusieurs épisodes ont semé le trouble. En 2014, le parquet sommé de retravailler sa copie avant de réussir à obtenir, sans unanimité des juges, la confirmation des charges ; en 2017, l’avis dissident du président de la Cour, qui plaidait pour une libération conditionnelle… La procureure, Fatou Bensouda, a semblé fragilisée. Sans compter la révélation par le site Mediapart d’e-mails échangés en 2011 entre Luis Moreno-Ocampo, le procureur de l’époque, et des diplomates français sur ce dossier.
Bensouda joue sa crédibilité
« Ocampo voulait arrêter un président avant de quitter son poste, Bensouda veut en condamner un avant de partir, accuse l’un des conseils de Laurent Gbagbo. Mais le vent est en train de tourner. En 2011, le président était un paria ; désormais, la communauté internationale se rend compte que l’histoire n’est peut-être pas celle qu’on nous a contée. Les avis changent sur le régime d’Alassane Ouattara. »
Après qu’en 2015 certains anciens présidents africains avaient demandé à Fatou Bensouda de réexaminer le cas Gbagbo, ce sont quatre chefs d’État en exercice (Alpha Condé, Ibrahim Boubacar Keïta, Mahamadou Issoufou et Roch Marc Christian Kaboré) qui, en 2017, ont plaidé la cause de l’Ivoirien devant le président français de l’époque, François Hollande. « C’était peine perdue, il n’y a jamais eu d’interférence politique de la France », jure Jean-Pierre Mignard, ami de Hollande.
À Abidjan, les partisans de Laurent Gbagbo sont ragaillardis. Après la libération de l’ex-première dame, Simone, qui a bénéficié d’une amnistie présidentielle en août dernier, ils veulent croire que leur champion sera bientôt de retour. Les militants du Front populaire ivoirien (FPI) continuent à suivre religieusement les audiences de la CPI et à se rassembler tous les 11 avril pour dénoncer l’arrestation de leur leader en 2011. Alors que la majorité est affaiblie et fracturée, ils espèrent voir Gbagbo revenir au pays avant la présidentielle, prévue en 2020. « Avant la nouvelle année même », se prennent à rêver certains de ses proches.
Mais face à la défense, qui va tenter d’arracher le non-lieu, la procureure devrait faire preuve d’une détermination sans faille. Après l’acquittement du Congolais Jean-Pierre Bemba, en juin, et alors que la défiance de Donald Trump est venue s’ajouter à celles de plusieurs dirigeants africains, Fatou Bensouda joue sa crédibilité dans ce dossier aussi emblématique que sensible. Les semaines qui viennent seront tout aussi déterminantes pour son avenir que pour celui des deux accusés.
Blé Goudé : un dossier plus léger
Charles Blé Goudé n’est plus poursuivi que pour son rôle dans trois événements survenus lors de la crise postélectorale, contre cinq initialement. L’ex-ministre de la Jeunesse n’est plus mis en cause dans la marche des femmes d’Abobo du 3 mars 2011 ni dans la tuerie d’Abobo du 17 mars 2011, selon les dernières conclusions de la procureure de la CPI. « C’est une petite victoire, estime son avocat, Claver N’Dri. Malgré l’énorme pression qui pèse sur eux, les juges doivent dire le droit et rien que cela. »
En attendant, l’ex-chef des Jeunes Patriotes occupe son temps à jouer au football dans la cour du pénitencier de Scheveningen et à affiner ses talents culinaires : il a fait du kedjenou et de la sauce graine ses spécialités, selon son avocat. Mais il reçoit aussi beaucoup, comme récemment son vieil ami du PDCI, Kouadio Konan Bertin, qu’il a connu du temps où tous deux étaient à l’université. À 46 ans, « il prépare son avenir, qu’il ne peut imaginer que politique. Nul doute que, le jour où il sera libéré, il a l’intention de servir son pays », dit l’un de ses proches.
Une affaire loin d’être close
Au plus tôt, la décision des juges de la CPI concernant la requête de non-lieu sera connue en décembre. Si celle-ci est suivie, les deux accusés devraient être libérés, mais l’affaire ne sera pas close : un appel est possible. Si la requête est rejetée, le procès se poursuivra avec l’audition des témoins de la défense. Ouvert en janvier 2016, il devrait durer encore deux ans environ.
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