[Édito] Ce que nous devons à la Chine

Démographie japonaise, modèle singapourien et politique africaine de la Chine : voici ce que j’ai appris au cours de ces dernières semaines et qui mérite d’être porté à votre attention.

Le président ghanéen, Nana Akufo-Addo,avec le président chinois Xi Jinping, à Pékin lors du Forum Chine Afrique. © Andy Wong/AP/SIPA

Le président ghanéen, Nana Akufo-Addo,avec le président chinois Xi Jinping, à Pékin lors du Forum Chine Afrique. © Andy Wong/AP/SIPA

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Publié le 2 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

1) D’abord, le Japon. Vous et moi savons que les Japonais rejettent l’immigré et les mariages mixtes : leur pays et leur culture sont à part, pensent-ils, et doivent le rester.

Il s’ensuit que ce pays de 127 millions d’âmes est en déclin démographique : il se dépeuple petit à petit, et sa population vieillit tout doucement.

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Ce que je ne savais pas, en revanche, et que vous ignoriez sans doute, c’est l’ampleur dramatique du phénomène : le Japon comptait 127 millions d’habitants en 2017, prospères et bénéficiant d’une remarquable longévité. Mais ils ne seront plus que 50 millions à la fin de ce siècle, dont la moitié aura 65 ans ou plus. Ils se seront appauvris et, de ce fait, devront travailler plus longtemps.

C’est un livre édité au Japon sous le titre Le Choc des 50 millions qui dévoile cette évolution et révèle ce qui sera une chute vertigineuse.

Pour la première fois de l’Histoire, un très grand pays (…) sera relégué, par sa carence démographique, au rang de petite puissance

Pour la première fois de l’Histoire, un très grand pays qui, au XXe siècle, s’était lancé à la conquête militaire et coloniale de la Corée, de la Chine et de toute l’Asie sera relégué, par sa carence démographique, au rang de petite puissance.

Dans quelques décennies, le Japon sera moins peuplé que l’Espagne. Fascinant.

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>>> À LIRE – Les problèmes de l’Afrique ne sont pas d’ordre démographique !

2) Restons en Asie, dont il se confirme qu’elle est en passe de devenir le centre du monde : les Asiatiques ont bien et beaucoup travaillé au XXe siècle pour que le XXIe siècle soit le leur.

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Singapour était, au moment de son indépendance, en 1965, une île-hangar démunie et isolée. Elle a eu la chance d’avoir une population homogène formée aux trois quarts de Chinois émigrés du continent et un dirigeant, Lee Kuan Yew, qui est, à mon avis, l’un des plus grands hommes du XXe siècle.

>>> À LIRE – Lee Kuan Yew, l’homme qui inventa Singapour

« Je n’ai qu’une ressource naturelle, avait-il constaté, le peuple de Singapour (qui ne comptait, à l’époque, que 1,8 million d’âmes). C’est cette ressource-là que je peux et dois développer. »

Il a opté pour l’anglais comme langue nationale, a connu une belle longévité – il est décédé en 2015 – et a doté son pays, dès son indépendance, du meilleur système d’éducation au monde.

Les Singapouriens en bénéficient depuis plus d’un demi-siècle, ce qui leur a permis de devenir la nation d’avant-garde qu’ils constituent aujourd’hui.

Des professeurs compétents, bien formés et grassement payés, des livres de classe bien conçus, un système d’éducation objet du plus grand soin ont conféré à ce pays une supériorité reconnue sur tous les autres pays de l’OCDE.

Cette idée stratégique simple et géniale a fait de Singapour, en un demi-siècle, une puissance mondiale admirée et enviée.

>>> À LIRE – Singapour se veut un modèle pour l’Afrique

3) De Singapour, peuplé d’immigrés chinois, passons à la Chine continentale.

Début septembre, elle a accueilli une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement africains pour le Forum triennal Chine-Afrique. Au lieu de les inciter, fût-ce en termes diplomatiques, à une meilleure gouvernance, elle a annoncé qu’elle leur verserait 60 milliards de dollars de prêts et de dons supplémentaires étalés sur les trois prochaines années.

Du coup, même Donald Trump, qui ignorait l’Afrique, traitait ses nations de « pays de merde », recommandait d’édifier un mur tout au long du Sahara pour protéger l’Europe et le reste du monde de l’immigration africaine, a décidé de doubler les investissements américains en Afrique.

En ce moment même, il tente d’obtenir du Congrès l’autorisation de créer The International Development Finance Corporation, une institution chargée de prêter de l’argent aux pays de l’ancien Tiers Monde et d’entrer dans le capital de leurs sociétés pour contrecarrer l’influence chinoise.

Élaborée par ses actuels dirigeants, qui sont communistes, la politique africaine de la Chine fait l’objet de critiques en Occident comme en Afrique. Certaines de ces critiques sont justifiées, mais la plupart sont infondées et malveillantes.

Il est logique et normal que les dirigeants chinois ne fassent que ce qui avantage leur pays. Leur politique africaine a donc été conçue pour servir les intérêts supérieurs de la Chine, l’aider à reconquérir sa place de numéro un dans le monde.

Les Africains ont vis-à-vis de Pékin une dette d’une tout autre nature que les échanges commerciaux

Néanmoins, les Africains ont vis-à-vis de Pékin une dette d’une tout autre nature que les échanges commerciaux et les prêts ou dons qu’elle leur consent.

>>> À LIRE – Dossier : Sommet Chine-Afrique, les 3 et 4 septembre à Pékin

La Chine a découvert l’Afrique à la fin du XXe siècle, comme les Espagnols et Christophe Colomb avaient découvert l’Amérique au XVe siècle.

Après avoir colonisé et exploité le continent, les Européens s’en sont détournés il y a trente ans : plus rien à récolter hormis des ennuis, ont-ils estimé.

Les Américains et eux ont alors parlé du « fardeau de l’homme blanc » et, sans état d’âme, sont partis, laissant l’Afrique « mariner dans son jus ».

Et que voyons-nous aujourd’hui ? Ils y reviennent l’un après l’autre, y compris Theresa May (1) et, demain, Vladimir Poutine.

C’est parce que les Chinois ont découvert l’Afrique il y a trente ans et s’y intéressent encore en 2018 que tous les autres en sont venus, aujourd’hui, à estimer que ce continent n’était, après tout, pas dans une situation aussi désespérée qu’ils l’avaient pensé il y a trente ans.

L’Afrique a un présent et, surtout, un avenir qu’il ne faut pas manquer.

Si l’Afrique revêt un attrait aux yeux des autres, dont l’Inde, le Japon et la Russie, c’est parce que la Chine s’y est intéressée hier et s’y intéresse aujourd’hui.

Il revient aux Africains de manifester leur gratitude, de se doter de dirigeants capables de tirer le meilleur parti de cette situation.

(1) Theresa May, Première ministre britannique, vient de se rendre, elle aussi, en Afrique (Nigeria, Afrique du Sud, Kenya). Sans ciller, elle a déclaré : « D’ici à 2022, dans le cadre d’un “nouveau partenariat”, le Royaume-Uni deviendra le membre du G7 qui investira le plus en Afrique ! »

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