Élections locales en Côte d’Ivoire : ces politiques qui jouent gros
De la guerre fratricide au sein du PDCI qui se joue à Cocody à Affi N’Guessan qui aura faort à faire à Bongouanou, en passant par le pari risqué d’Hamed Bakayoko à Abobo, tour d’horizon des principaux points chauds qui seront scrutés avec attention lors des élections locales du 13 octobre en Côte d’Ivoire.
Élections locales en Côte d’Ivoire : test grandeur nature
Les résultats des élections locales du 13 octobre établiront l’influence réelle des différentes forces politiques, à deux ans d’une présidentielle décisive.
• Mê : Patrick Achi tiraillé
L’élection au conseil régional de la Mê ne présente pas de fort enjeu. Très bien implanté localement, Patrick Achi devrait n’avoir aucun mal à se faire reconduire à sa tête. Mais, comme Alain Richard Donwahi dans la Nawa, Achi est tiraillé entre son appartenance politique (il est membre de l’ancien parti unique) et sa fonction (il est le secrétaire général de la présidence). Et comme Donwahi, qui est, lui, ministre des Eaux et Forêts, il a obtenu une double investiture RHDP-PDCI.
Chargé des Infrastructures de 2000 à 2017, Achi a survécu à plusieurs gouvernements et manie à merveille l’art de la diplomatie. Il est de ceux qui maintiennent le lien entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié depuis que leurs relations se sont dégradées.
Conscient du fait que la base de l’électorat PDCI ne veut pas du parti unifié, il l’a plusieurs fois expliqué au chef de l’État, mais a toujours pris soin de rester mesuré. Le 24 septembre, à Daoukro, alors que le bureau du PDCI votait pour confirmer sa prise de distance avec le RHDP, Achi a préféré s’abstenir. « Je suis peiné », a-t-il commenté. Plus tard, il n’était pas présent lors de l’investiture des candidats du RHDP. Ni pendant celle des candidats du PDCI le lendemain…
• Gagnoa : un pro-gbagbo tête de liste
Malgré la libération de Simone Gbagbo, le 8 août, le FPI de Laurent Gbagbo ne participera pas aux scrutins. Ce n’est pas une surprise : il estime toujours que la commission électorale est illégitime et a boycotté les dernières opérations de recensement d’électeurs. Néanmoins, plusieurs proches de la branche du FPI fidèle à l’ancien président se retrouvent sur des listes.
La libération de l’ancienne première dame semble avoir soulagé l’électorat pro-Gbagbo d’un poids
À Gagnoa, l’un d’eux en conduit même une. Dans cet ancien fief du FPI passé en 2011 dans le giron du RDR, il sera intéressant d’observer le score de Christian Carlos Dadi, un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale partisan de la mouvance menée par Aboudramane Sangaré.
Certes, le candidat du parti unifié, Medji Bamba, ne devrait pas avoir de mal à l’emporter face à Alain Marie Octave Deigna, du PDCI. Mais la libération de l’ancienne première dame semble avoir soulagé l’électorat pro-Gbagbo d’un poids. Cela se fera-t-il sentir dans les urnes ?
• Abobo : le pari risqué de Hamed Bakayoko
Il suffisait d’être présent le 29 septembre au lancement officiel de la campagne de Hamed Bakayoko pour comprendre l’importance que revêt, aux yeux des autorités, l’élection du ministre de la Défense à la mairie d’Abobo.
Une bonne partie de l’exécutif était venue le soutenir : le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, la secrétaire générale du RDR, Kandia Camara, le directeur du cabinet du chef de l’État, Fidèle Sarassoro, la directrice de la communication (et nièce) d’Alassane Ouattara, Masséré Touré, ou le très discret responsable des services extérieurs de la présidence, Amadou Coulibaly.
Retour en images sur cette journée sensationnelle consacrée au meeting de lancement de ma campagne !
— Hamed Bakayoko (@HamedBakayoko1) September 29, 2018
ABOBO WATI SERA! 1/4#JESUISABOBOLAIS #HAMBAK #RHDP pic.twitter.com/vvJVGgSRnJ
Même s’il est député de Séguéla, Hamed Bakayoko a passé une partie de sa jeunesse à Abobo, fief du RDR, très marqué par la crise postélectorale et où Ouattara a réalisé ses plus gros scores en 2010 et en 2015. Pour l’emporter, Bakayoko n’a donc pas lésiné sur les moyens. Selon un de ses proches, près de 500 millions de F CFA (762 200 euros) ont été dépensés avant même le début de la campagne. Il y a également effectué de nombreux déplacements et meetings. Téhfour Koné, son principal adversaire, est inconnu du grand public.
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Candidat indépendant, il bénéficie néanmoins du soutien de Guillaume Soro. Le président de l’Assemblée nationale ne l’a pas exprimé directement, mais ses proches s’en sont chargés. Son directeur de communication, Moussa Touré, ainsi que son frère cadet, Simon Soro, sont présents sur la liste de Koné, un enseignant jusqu’à présent député suppléant d’Abobo, dont il est originaire.
Quant à l’ONG de Soro, La vie, elle a financé nombre de ses activités. « Abobo est symbolique. Ce n’est pas une élection facile, car tout autre résultat qu’une confortable victoire risque d’être perçu comme un échec », résume un observateur. Face à lui, Koné a choisi une campagne de proximité, débutée il y a de longs mois. Fera-t-il le poids face à l’impressionnante machine du RHDP ?
• Cocody : guerre fratricide au PDCI
À l’instar des autres grosses communes d’Abidjan, Cocody la coquette aiguise les convoitises, et la bataille que s’y livreront plusieurs personnalités du PDCI est emblématique des turbulences que traverse l’ancien parti unique. Trois de ses cadres s’y disputeront la mairie.
Il y a d’abord l’édile sortant, Mathias Aka N’Gouan. Cet économiste de formation élu en 2013 se présentera sous la bannière du RHDP. « Il n’était pas le choix de Bédié, qui a estimé qu’il n’était pas assez loyal envers le parti et qu’il avait affiché un soutien trop marqué à Ouattara, raconte un membre du PDCI. En plus, depuis les législatives de la fin de 2015, N’Gouan s’est positionné comme l’adversaire de Maurice Kacou Guikahué, le secrétaire exécutif du PDCI. »
C’est donc l’enfant d’une grande famille ivoirienne qui portera les couleurs du parti : Jean-Marc Yacé, neveu de Philippe Yacé, un ancien président de l’Assemblée nationale et ami de Félix Houphouët-Boigny. Officier de l’armée à la retraite, Jean-Marc Yacé est un proche d’Henriette Bédié, l’épouse du Sphinx de Daoukro.
Il faudra aussi compter avec Colette Koné. Déçue de ne pas avoir les faveurs du PDCI, elle a décidé de poursuivre l’aventure en tant qu’indépendante. La décision de cette femme d’appareil, membre du secrétariat exécutif, a fait grincer des dents et alimenté les suspicions. En effet, son époux, Mamadou Koné, président du Conseil constitutionnel, est un proche de Ouattara, et sa candidature menace d’émietter l’électorat des houphouétistes.
• Bouaké : Djibo grand favori
Nicolas Djibo est soulagé. Jusqu’au dernier moment, le maire sortant de Bouaké, membre du RDR mais élu en tant qu’indépendant en 2013, a craint que le RHDP ne lui préfère le ministre des Transports, Amadou Koné. Mais le parti unifié l’a investi, et le cousin du Premier ministre devra encore patienter. Déterminée à ne pas laisser la part belle aux indépendants dans cette ville frondeuse et parfois imprévisible, la coalition au pouvoir a cette fois tenu à faire front derrière Djibo. Soutenu par la machine RDR, qui truste 80 % de l’électorat dans l’ancienne capitale de la rébellion, il fait donc figure de grand favori.
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Ce fils d’un baron du PDCI qui fut le premier édile de Bouaké aura comme principal concurrent Lambert N’Guessan, l’actuel vice-président du conseil régional. Cet expert de la filière café-cacao, candidat du PDCI, rêve de reprendre la ville qu’il a longtemps contrôlée. « Mais si le RDR est uni, il a très peu de chances de perdre », estime un notable local.
À noter que l’ancien parti unique pourrait également voir la région de Bouaké (celle du Gbeke) lui échapper tant il y est divisé : l’un de ses cadres, le ministre Jean-Claude Kouassi, se présentera sous la bannière du RHDP. Le PDCI, lui, a investi Jacques Mangoua Koffi Saraka. Du coup, le président PDCI sortant du conseil régional, Jean Kouassi Abonouan, se présentera en indépendant.
• Moronou : un nouvel élan pour Affi N’Guessan ?
Stop ou encore ? Pascal Affi N’Guessan joue gros dans sa région du Moronou (Centre-Est). Certes, le chef d’une des deux tendances du FPI y a battu Alassane Ouattara à la présidentielle de 2015. Il possède également un ancrage à Bongouanou, dont il est député-maire depuis les années 1990.
Mais il est loin de partir favori face à Véronique Aka, la présidente du conseil régional et de la puissante section des femmes rurales du PDCI. Fille adoptive de Thérèse Houphouët-Boigny et militante du PDCI depuis près de trente ans, Véronique Aka est vice-présidente de l’Assemblée nationale.
Sa carrière serait en revanche fortement compromise en cas d’échec
Face à elle, l’ancien Premier ministre de Gbagbo tentera de profiter de l’émiettement de l’électorat du PDCI, puisqu’un autre de ses membres se présente en indépendant. Mais pour Affi N’Guessan, l’enjeu va bien au-delà.
En perte de vitesse depuis plusieurs années, il retrouverait un nouvel élan en gagnant : il montrerait qu’il possède une vraie base et pourrait peser dans le cadre d’une future alliance ou d’une éventuelle réconciliation avec la branche rivale du FPI emmenée par Aboudramane Sangaré. Sa carrière serait en revanche fortement compromise en cas d’échec.
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