Francophonie : au Rwanda, le français marginalisé mais toujours là

Dix ans après la réforme qui le relégua au second plan dans l’enseignement, l’administration et l’ensemble de la fonction publique, le français effectue un discret retour.

Cours de maths dans une école rwandaise, en 2016 © Marian Galovic/Shutterstock

Cours de maths dans une école rwandaise, en 2016 © Marian Galovic/Shutterstock

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Publié le 8 octobre 2018 Lecture : 3 minutes.

Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement de Paul Kagame et candidate au poste de secrétaire générale de l’OIF, à Paris le 20 septembre 2018 © Bruno Levy pour JA
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La Francophonie retourne à l’Afrique

La ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, a été désignée vendredi 12 octobre secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour un mandat de quatre ans. Retour sur plusieurs mois de tractations diplomatiques entre le Rwanda, la France, l’Union africaine et le Canada.

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Jour de rentrée à l’Université libre de Kigali (ULK), sur les hauteurs de Gisozi, au nord-ouest de Kigali. Devant l’arche d’entrée, des dizaines de motos sont garées, tandis qu’une foule d’étudiants traversent de vastes jardins pour gagner le bâtiment administratif où l’on procède aux inscriptions.

« Ici, comme ailleurs au Rwanda, les cours sont dispensés en anglais. Et les nouveaux étudiants sont habitués », explique Ezechiel Sekibibi, le recteur. Comme l’ensemble des établissements d’enseignement du pays, l’ULK a opéré sa grande mutation en 2008, quand, à la surprise générale, le gouvernement a annoncé que l’enseignement serait désormais dispensé en anglais.

Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et servira notre vision de développement », avait commenté Paul Kagame

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Cinq ans auparavant, cette langue était déjà devenue officielle, au même titre que le kinyarwanda et le français. « Nous donnons la priorité à la langue qui rendra nos enfants plus compétents et servira notre vision de développement », avait commenté Paul Kagame à la veille d’un sommet de la Francophonie, à Québec. Le timing n’était évidemment pas anodin. En 2007, le Rwanda avait rejoint la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), majoritairement anglophone, puis intégré le Commonwealth, deux ans plus tard.

Révolution linguistique

« Bien sûr que c’était une décision politique consécutive à la publication du rapport du juge français Jean-Louis Bruguière mettant en cause la responsabilité de l’actuel chef de l’État dans l’assassinat de Juvénal Habyarimana, son prédécesseur. Mais elle ne se résume pas à ça : c’était aussi le plus sûr moyen de développer le pays », explique le politologue Jean-Paul Kimonyo.

Dix ans après cette révolution linguistique, une ministre rwandaise, qui a de surcroît fait carrière aux États-Unis avant de revenir au pays, est favorite pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

En 2015, on ne recensait pas plus de 700 000 rwandais francophones. Soit 6% à peine, de la population

À en croire cette même OIF, seuls 700 000 Rwandais étaient francophones en 2015 – à peine 6 % de la population. « Le français a une forte connotation générationnelle et sociale. On sait immédiatement que ceux qui le parlent ont un certain âge et un certain niveau d’éducation », estime l’historienne Assumpta Mugiraneza.

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Le cas de Paul Kagame lui-même est emblématique de la situation linguistique du pays : le président ne parle pas le français, même s’il le lit et le comprend, et pour cause : il a grandi en exil en Ouganda, anglophone, avant de rejoindre la rébellion de Yoweri Museveni. À l’inverse, son épouse Jeannette, élevée au Burundi, est parfaitement francophone. Quant à Louise Mushikiwabo, elle est aussi à l’aise en français qu’en anglais.

Kigali, quartier de Nyamirambo, 2016 © Thierry Falise/LightRocket via Getty Images

Kigali, quartier de Nyamirambo, 2016 © Thierry Falise/LightRocket via Getty Images

D’abord totalement supplanté par l’anglais dans les programmes du primaire, le français y a fait un discret retour à partir de l’année scolaire 2014-2015, mais reste marginal.

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Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur l’emploi du temps des écoliers. L’enseignement préprimaire (3-5 ans) est entièrement dispensé en kinyarwanda. L’anglais fait son apparition à l’âge de 6 ans, et le français à partir de 9 ans, à très petites doses : quarante minutes par semaine. Dans le secondaire, les trois premières années (12-15 ans) comportent deux tranches hebdomadaires de quarante minutes en français et une tranche de même durée en kiswahili.

Les étudiants du secondaire peuvent ensuite choisir un « parcours langues » incluant le français, le kiswahili et l’anglais

« Notre action répond à une logique d’intégration régionale. Le kiswahili est très important au Congo, en Tanzanie et au Kenya. Nous sommes au carrefour de différentes langues, et c’est une force », explique le Dr Irénée Ndayambaje, directeur général du Rwanda Education Board, une agence gouvernementale. Les étudiants du secondaire peuvent ensuite choisir un « parcours langues » incluant le français (sept périodes par semaine), le kiswahili et l’anglais.

« La langue du travail, du management, est désormais sans discussion l’anglais. Et la fonction publique dans son ensemble a basculé dès 2008, commente Gasamagera Wellars, patron du Rwanda Management Institute. Maintenant, quand les Rwandais veulent vraiment se dire les choses, ils le font en kinyarwanda. »

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