Opposition en RDC : un pour tous, tous pour un
Rêvant d’en découdre avec Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, sept leaders de l’opposition ont décidé d’unir leurs forces et de se choisir un candidat unique pour la présidentielle du 23 décembre. Reste à savoir qui portera le flambeau.
Il est des jours où le hasard décide de vous donner un joli coup de pouce. Félix Tshisekedi, 55 ans, en a plusieurs fois fait l’expérience. Son entourage se garde bien de s’en réjouir publiquement, mais, ces dernières semaines, l’exil forcé de Moïse Katumbi et la disqualification de Jean-Pierre Bemba pour l’élection présidentielle du 23 décembre ont plutôt rendu service au chef de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
Et voilà que le sort s’en est de nouveau mêlé, le 29 septembre à Kinshasa, lors de ce qui fut le premier grand meeting de l’opposition congolaise réunie. Ce jour-là, Félix Tshisekedi est le dernier à s’exprimer devant les milliers de personnes rassemblées sur le boulevard Triomphal, à côté du stade des Martyrs.
L’enjeu est crucial : qui sera le plus à même de l’emporter face à Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila ?
« Une simple affaire d’ordre alphabétique », minimisent certains de ses détracteurs, mais qui permet à Félix Tshisekedi de faire le show : Bemba et Katumbi ne sont pas là et n’interviennent que par vidéoconférence. Martin Fayulu, Vital Kamerhe, Freddy Matungulu et Adolphe Muzito ont déjà pris la parole.
Quand vient enfin son tour, après s’être fait attendre et désirer à son arrivée, le fils du Sphinx de Limete enfile le costume de candidat unique de l’opposition. La foule l’acclame. Et tant pis si les tractations sont encore en cours. « Tout a été pensé, calculé pour que la manifestation ressemble à un plébiscite en sa faveur », rouspète le lieutenant d’un autre candidat encore en lice.
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Entre ces sept leaders de l’opposition (à Kinshasa, d’aucuns les surnomment les « L7 »), le match a déjà commencé. Les uns et les autres se jaugent, tentent d’évaluer le rapport de force – « amical », précise l’un d’eux, amusé.
Mais l’enjeu est crucial : qui sera le plus à même de l’emporter face à Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, le président sortant ? Sur les sept, quatre sont encore candidats : Tshisekedi, donc, mais aussi l’ancien président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe, ainsi que Martin Fayulu et Freddy Matungulu. Bemba, mais aussi l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito, ont été recalés. En exil forcé depuis deux ans, Katumbi n’a, lui, pas pu retourner en RD Congo pour déposer son dossier de candidature.
Déclic
Aujourd’hui, l’ancien gouverneur de la riche province du Katanga (aujourd’hui démembrée) est l’un de ceux qui travaillent à « refaire l’unité de l’opposition », comme en juin 2016, en Belgique, lors de la constitution du Rassemblement autour d’Étienne Tshisekedi, décédé depuis. Mais l’opposition est affaiblie : ces dernières années, beaucoup ont cédé aux sirènes du pouvoir et rejoint le navire Kabila.
Tous ont compris qu’il fallait oublier le passé, se tourner vers l’avenir et mettre en avant l’intérêt supérieur de la nation
Or, entre ceux qui sont restés à quai et qui s’affichent ensemble à présent, les rapports n’ont pas toujours été cordiaux. Vital Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), ne s’est-il pas souvent vu reprocher ses allers-retours entre la majorité et l’opposition ? Le leadership de Félix Tshisekedi au sein du Rassemblement n’est-il pas parfois contesté ?
Ce n’est pas le grand amour non plus entre Martin Fayulu et Freddy Matungulu, un temps alliés au sein de la Dynamique de l’opposition. Leur entente a volé en éclats après la mort de Tshisekedi père. Il y a quelques mois, ils se sont invectivés par médias interposés. Alors, tout est-il pardonné ?
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Moïse Katumbi veut le croire. « Tous ont compris qu’il fallait oublier le passé, se tourner vers l’avenir et mettre en avant l’intérêt supérieur de la nation », affirme-t-il. Lui-même manœuvre depuis plusieurs mois. Il dit avoir rencontré Jean-Pierre Bemba à deux reprises, lorsque ce dernier était encore détenu à La Haye et que ses espoirs de libération étaient minces, et c’est ensemble qu’ils auraient décidé de battre le rappel des troupes.
Chacun d’entre nous n’est le leader que de tel ou tel morceau du territoire national
De coups de fil en tête-à-tête, de déjeuners en communiqués conjoints, « tout s’est fait de manière automatique », ajoute Katumbi. « Tout le monde y a mis du sien, confirme Adolphe Muzito, qui s’est déplacé jusqu’à Bruxelles, début septembre, pour rencontrer l’ancien gouverneur. Prendre conscience que personne ne pouvait gagner seul nous a réunis. La RD Congo est très segmentée par des composantes communautaristes, voire linguistiques. Chacun d’entre nous n’est le leader que de tel ou tel morceau du territoire national. Même Joseph Kabila, qui disposait pourtant des moyens de l’État, n’a pas pu gagner seul [en 2006 et 2011]. »
C’est fort de cette conviction qu’Adolphe Muzito a, dès le mois de mars dernier, établi des contacts avec l’UNC de Kamerhe et le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Bemba. Il fallait « tenter de créer un déclic » au sein de l’opposition, explique-t-il. À l’époque, le Parti lumumbiste unifié (Palu), dont il est le secrétaire général adjoint chargé des questions électorales, n’apprécie pas et le suspend. Au même moment, Muzito rencontre aussi Laurent Monsengwo Pasinya, l’archevêque de Kinshasa. Il en retient un appel du cardinal à consolider « l’unité de l’opposition » pour « porter des revendications de manière démocratique ».
Oiseau rare
Tandis qu’elle rejette l’utilisation des machines à voter et exige que le fichier électoral soit expurgé de « 10 millions d’électeurs fictifs », l’opposition se cherche donc un candidat commun – c’est en tout cas l’option qui a officiellement été retenue à Bruxelles, le 12 septembre. Reste à trouver l’oiseau rare. À l’heure actuelle, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe paraissent favoris.
Le premier a hérité de la base électorale de son père à Kinshasa et dans le centre du pays ; le second, arrivé troisième en 2011, demeure très populaire dans l’Est, particulièrement dans son Kivu natal. Mais le pouvoir n’exclut pas d’engager des poursuites contre Tshisekedi pour un « faux diplôme » qui aurait été joint à son dossier de candidature. Et puis, dans le couloir des outsiders, Freddy Matungulu croit encore en ses chances.
« Si l’objectif est de trouver des solutions aux problèmes très complexes auxquels notre pays est confronté, je suis la personne la plus qualifiée », jure cet ancien du FMI qui, sur un mur de la salle de réunion dans laquelle il a l’habitude de recevoir, a fait accrocher un portrait de l’Ivoirien Alassane Ouattara à côté de celui d’Étienne Tshisekedi.
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Très actif lors des dernières manifestations anti-Kabila, Martin Fayulu rappelle de son côté que « depuis le 3 décembre 2015, [son] parti avait préconisé la primaire ou l’arbitrage pour le choix du candidat ». Le leader de l’Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecidé) ajoute que rien ne sert de se dépêcher et que « chacun doit d’abord décliner son programme ».
Dans certaines circonscriptions, un prétendant peut bien construire des tours Eiffel partout, s’il n’est pas du coin, il ne sera jamais élu
Jean-Pierre Bemba n’est pas loin de penser comme lui. Le président du MLC insiste sur la nécessité de conclure un « accord de coalition » autour d’une vision et d’un programme communs. Abondant dans ce sens, Adolphe Muzito prévient ses « nouveaux amis » restés dans la course : « Nous ne nous mettrons pas d’accord s’ils maintiennent leurs programmes, chiffrés on ne sait comment. Je veux participer avec eux à l’élaboration d’un programme cohérent et pertinent. »
Il ajoute que seul un solide projet de société permettra à l’opposition de remporter la présidentielle et d’arracher la majorité parlementaire « nécessaire pour gouverner ».
Un transfert de voix incertain
Pourtant, le temps presse. Une deuxième réunion des « sept leaders » devrait se tenir le 10 octobre à Paris. Sera-t-elle celle du choix du candidat unique ? Rien n’est moins sûr. « Il nous appartiendra, à nous sept, de le désigner parmi les quatre restés dans la course », soutient Katumbi, prenant officiellement acte, pour la première fois, de sa mise à l’écart « illégale » et promettant de « contribuer » au financement de la campagne du futur champion de l’opposition.
Mais rien de tout cela ne garantit qu’il y aura un transfert des voix entre les uns et les autres. « Chez nous, le vote est foncièrement communautaire, relève le conseiller de l’un des candidats. Dans certaines circonscriptions, un prétendant peut bien construire des tours Eiffel partout, s’il n’est pas du coin, il ne sera jamais élu. »
D’où cette autre idée qui commence à émerger : celle d’« encercler » le dauphin de Kabila. Un poids lourd de l’opposition dans l’Est, un autre dans l’Ouest. Cette stratégie n’est pas sans déplaire à l’entourage de Vital Kamerhe, qui verrait bien son champion constituer un tandem avec Félix Tshisekedi.
Atouts et handicaps des quatre encore en lice
1. Martin Fayulu, 61 ans
Homme d’affaires formé en France et en Californie, et ex-député à Kinshasa.
Très présent sur le terrain, il a été de toutes les manifestations anti-Kabila depuis 2015 et il est très engagé dans le combat contre la machine à voter.
Populaire à Kinshasa ; assise nationale moyenne.
2. Vital Kamerhe, 59 ans
Ancien ministre, ex-président de l’Assemblée nationale, arrivé troisième à la présidentielle de 2011.
Ses passages du pouvoir à l’opposition lui sont souvent reprochés.
Populaire dans le Kivu ; assise nationale forte.
3. Freddy Matungulu, 63 ans
Technocrate, ex-ministre des Finances.
Originaire du Grand Bandundu.
Assise nationale faible.
4. Félix Tshisekedi, 55 ans
Populaire à Kinshasa et dans le Grand Kasaï.
N’a jamais géré la chose publique ; assise nationale forte.
N’a pas la notoriété de son père, mais peut compter sur la puissance de la machine UDPS.
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