Cinéma : Moustapha Mbengue, de Gorée à Cannes

Après de nombreux petits rôles et quantité de concerts, le Sénégalais Moustapha Mbengue est pour la première fois en haut de l’affiche dans Amin. Portrait d’un acteur pétri de talent.

Moustapha Mbengue, acteur du film Amin de Philippe Faucon, à l’hôtel Grand Amour (Paris), le 20/09/2018 © François Grivelet pour JA

Moustapha Mbengue, acteur du film Amin de Philippe Faucon, à l’hôtel Grand Amour (Paris), le 20/09/2018 © François Grivelet pour JA

Renaud de Rochebrune

Publié le 11 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Au Festival de Cannes, où il était venu pour la présentation d’Amin, Moustapha Mbengue avait conquis immédiatement le public. Il l’avait captivé par son jeu toujours très juste et émouvant, incarnant un ouvrier africain immigré en France, éloigné depuis une décennie de sa femme, Aïcha, et de ses trois enfants, contraint de ne les retrouver qu’une fois par an au Sénégal.

Ce n’est pas pour rien qu’Emmanuelle Devos le surnommait Marcello pendant le tournage

Un homme condamné à une existence rétrécie, travail le jour, foyer la nuit, qui ne se montrera pourtant pas insensible aux avances d’une femme, Gabrielle, interprétée par l’une des plus grandes actrices françaises, Emmanuelle Devos, chez laquelle il travaille pour rénover sa maison de banlieue. Mais Moustapha Mbengue avait séduit aussi par sa prestance sur scène après la projection du film en avant-première mondiale. Ce n’est pas pour rien qu’Emmanuelle Devos le surnommait Marcello pendant le tournage – en référence à l’acteur italien Marcello Mastroianni.

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Quand nous le rencontrons à Paris, quatre mois plus tard, dans une tenue décontractée, il en impose toujours autant par son élégance et son aisance naturelles. S’il est, pour la première fois et la quarantaine passée, tout en haut de l’affiche, Moustapha Mbengue a déjà derrière lui une longue carrière d’artiste.

« Jouer, ce n’est pas un métier »

Fils d’un cultivateur du village de Morolà, à une soixantaine de kilomètres de Dakar, il est envoyé très jeune vers la capitale, à Gorée précisément, pour y suivre l’enseignement d’une école coranique tenue par des membres de la confrérie mouride. Il vit alors selon les préceptes de ces fidèles d’un islam sunnite lié au soufisme, tout particulièrement après avoir rejoint la branche des Baye Fall.

Devenu, après le décès de deux frères, l’aîné d’une fratrie de onze et voyant la santé de son père décliner, il pense retourner au village. Grâce à la mécanisation de l’exploitation, il n’a pas à renoncer à sa vie en ville, où il apprend le métier de tailleur. Mais son talent de percussionniste le fait vite remarquer par le groupe Africa Djembé. « Jouer, ce n’est pas un métier », pense-t-il, mais il finit par rejoindre cet ensemble, où il peut, outre pratiquer la musique, danser et faire du théâtre.

Ce qui lui permet d’être appelé à jouer un petit rôle dans Les Caprices d’un fleuve, le film que l’acteur français Bernard Giraudeau est venu tourner au Sénégal en 1996. Ce long-métrage conduit Moustapha Mbengue à voyager jusqu’à Paris puis à séjourner en Italie. Un déplacement pour un atelier à Rome qui prendra bientôt l’allure d’une véritable émigration, puisqu’il y tombe amoureux d’une Italienne.

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Homme-orchestre

C’était il y a vingt ans, en 1998. Il a depuis changé de compagne – une autre Italienne, avec qui il a eu trois enfants. Installé dans la Ville éternelle, où sa carrière s’est poursuivie avec succès, il a fondé un premier groupe, les Tambours de Gorée, en compagnie d’amis sénégalais, puis le groupe Tam Tam Morolà, dont il est le véritable homme-orchestre – compositeur, chanteur, guitariste, percussionniste, « pour jouer ce qui me plaît », soit une musique plus moderne… Les ventes de morceaux sur internet marchent bien, et, dit-il, « ont même permis de financer la création de deux hôpitaux au Sénégal ».

Il est également devenu un porte-parole de la communauté africaine

Côté cinéma, il a joué de nombreux petits rôles dans des films ou des séries télévisées, notamment avec Nino Manfredi, ainsi qu’à l’opéra. Mais il est également devenu un porte-parole de la communauté africaine, quand, au début des années 2010, après des agressions racistes à Florence contre des Sénégalais, il est intervenu à la télévision, tel un vieux sage, pour dénoncer les discours et la violence anti-immigrés. Pourquoi lui ? « Tout simplement parce que j’ai l’art de la parole », dit-il. Mais aussi, manifestement, des convictions humanistes…

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Dans Amin, il joue, de façon pudique mais sans tabou vis-à-vis de la nudité et de la sexualité, le rôle d’un Africain d’une grande dignité, mais qui se révèle infidèle en devenant l’amant d’une Blanche. Pense-t-il que le film choquera au Sénégal ? « Il n’y a pas de raison. Malgré une petite réticence initiale, j’ai eu très envie de jouer dans ce film, parce qu’il raconte surtout une histoire qui fait comprendre ce que vivent les travailleurs immigrés. »

La femme de ménage et l’ouvrier

Triomphateur lors des Césars en 2016 avec Fatima, l’histoire émouvante d’une femme de ménage d’origine algérienne habitant une banlieue en France et qui se sacrifie pour assurer l’avenir de ses deux filles, Philippe Faucon récidive avec bonheur avec ce nouveau portrait d’immigré, cette fois un ouvrier sénégalais.

Faucon réussit parfaitement à évoquer la vie difficile de ceux – femme et enfants – que l’exilé a laissés au pays

Dans une veine réaliste, avec un récit minimaliste mais toujours très touchant et tourné vers les deux continents, il réussit parfaitement à évoquer la solitude et la misère affective du travailleur déraciné, la beauté simple des amours consommées et pourtant impossibles de deux êtres aussi différents que respectueux l’un de l’autre, la vie difficile de ceux – femme et enfants – que l’exilé a laissés au pays.

Un film qui ne verse jamais dans les bons sentiments et réussit à rendre presque épiques les parcours on ne peut plus quotidiens de personnages, premiers comme seconds rôles, débordant d’humanité.

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