Maroc : Nizar Baraka, les habits neufs de l’Istiqlal

Un an après son élection, le nouveau patron de l’Istiqlal a déjà permis au parti de la balance de retrouver son dynamisme. Bilan d’étape de l’héritier d’Allal El Fassi.

Ressouder ses troupes était l’une des priorités de Nizar Baraka. Mission accomplie © Hassan Ouazzani pour JA

Ressouder ses troupes était l’une des priorités de Nizar Baraka. Mission accomplie © Hassan Ouazzani pour JA

fahhd iraqi

Publié le 8 octobre 2018 Lecture : 6 minutes.

Le plus vieux parti du royaume semble avoir trouvé un nouveau souffle. Un an après l’élection de Nizar Baraka au secrétariat général, lors du 17e congrès – le plus agité de l’histoire de la formation politique ! –, les échauffourées entre fidèles de Hamid Chabat et soutiens de Baraka ne sont plus qu’un mauvais souvenir.

« La réconciliation a été l’une de nos priorités, d’où la création dès le départ d’une commission ad hoc, dont le travail se poursuit, pour permettre une remise en place saine et sereine de nos structures », explique Nizar Baraka à JA.

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« Les réunions du comité exécutif se tiennent de manière régulière, les débats sont constructifs, et les positions cohérentes. Le parti est plus soudé que jamais », renchérit Khadija Ezzoumi, membre du comité exécutif de l’Istiqlal, un temps fervente supportrice de son chef de syndicat, Hamid Chabat, avant de devenir l’un de ses farouches opposants.

>>> À LIRE – Maroc : l’Istiqlal en voie de réconciliation ?

La conseillère parlementaire, première femme à la tête d’une antenne locale de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), incarne à elle seule la concorde : elle a été élue en juin présidente de l’Organisation de la femme istiqlalienne.

Elle était l’unique candidate, ce qui a permis un renouvellement d’instance sans heurts. La jeunesse istiqlalienne, elle, actuellement dirigée par Omar Abassi, prépare son congrès national, prévu pour le premier trimestre de 2019. Le rendez-vous permettra de jauger à nouveau l’unité de la formation politique.

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Des sections ressuscitées

Mais c’est au niveau local que l’Istiqlal met le paquet pour reconquérir sa base électorale. Arrivé deuxième lors des législatives de 2016 (48 députés), le parti a enregistré une perte de quelque 620 000 voix par rapport à 2011. Presque la moitié de ses électeurs.

« Le choix de déconnecter les structures locales des élections nous a fait beaucoup de tort, explique le secrétaire général. Certains de nos militants, déçus par les candidats imposés au niveau central, se sont démobilisés, voire ont fait campagne contre nous. Nous nous sommes retrouvés avec des sections locales quasi mises en veilleuse. »

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Relancer ces structures pour retisser une toile nationale est l’un des axes stratégiques de la nouvelle direction. Depuis avril dernier, 20 % des sections ont ­ressuscité, dotées de nouvelles instances. L’ambition est de couvrir la totalité des arrondissements électoraux.

« C’est un travail de longue haleine. Créer et regrouper des cellules au niveau des quartiers, des arrondissements, explicite Khadija Ezzoumi. Il nous a fallu un an pour relancer notre section provinciale à Sidi Slimane [115 km de Rabat]. Elle reprendra bientôt du service alors qu’elle était depuis longtemps à l’abandon. » « Et ce n’est que le début, assure la même. Il faudra par la suite s’assurer que ces sections remplissent efficacement leur rôle de proximité et de relais avec les citoyens. C’est ainsi que se gagnent des élections ! »

L’idée est de relancer la machine istiqlalienne pour être en phase avec les attentes concrètes des citoyens

Les antennes déjà opérationnelles multiplient, elles, les événements à destination des populations locales. À Kelaât Sraghna (90 km de Marrakech), la section vient de lancer une session de formation pour les candidats au concours d’accès au métier d’enseignant.

Autre exemple : l’assistance apportée aux employés de maison pour rédiger leur contrat de travail et se conformer à la nouvelle réglementation. « L’idée est de relancer la machine istiqlalienne pour être en phase avec les attentes concrètes des citoyens, résume Nizar Baraka. Ce défi de reconquête fédère l’ensemble du parti. »

Exit le populisme

La touche du nouveau secrétaire général se ressent dans le discours. Fini les ­diatribes « chabatiennes » censées à une époque faire contrepoids au ­populisme d’Abdelilah Benkirane. L’Istiqlal de Baraka se veut plus constructif, méthodique, consensuel… à l’image de son ­nouveau leader, qui résume ainsi sa méthode : « Redonner des repères à ­travers des prises de position en ligne avec notre projet de société, proposer des alternatives en phase avec la réalité du terrain et, enfin, regagner en crédibilité en respectant nos engagements. » Être force de proposition, toujours.

Aussi, à chaque événement marquant, ces derniers mois, le comité exécutif de l’Istiqlal – prolifique en communiqués – a veillé à prendre position et à lancer le débat. Les exemples ne manquent pas… En réponse aux protestations sociales de Jerada, le parti a proposé un plan de développement spécifique au corridor frontalier. Face au mouvement du boycott, il a répondu par des propositions en faveur du pouvoir d’achat.

Nous voulons ramener le débat au sein des institutions, c’est sa place naturelle » soutient Nizar Baraka

Le projet de loi rétablissant le service militaire a inspiré aux istiqlaliens l’introduction du service civil volontaire. Et même la mort de Hayat B., une migrante clandestine tombée accidentellement sous les balles de la marine royale, n’a pas laissé le mouvement indifférent, comme cela a été le cas de plusieurs formations politiques : ses deux groupes parlementaires se sont empressés d’inscrire ce drame à l’agenda des questions orales au ministre de l’Intérieur. « Nous voulons ramener le débat au sein des institutions, c’est sa place naturelle », soutient Nizar Baraka.

Nouveau modus operandi

La manœuvre est astucieuse : elle permet d’occuper la scène sans trop se mouiller, puisque la session parlementaire ­d’automne n’a pas encore démarré. L’Istiqlal use habilement des ­mécanismes institutionnels pour mettre la pression sur le gouvernement. Quelques semaines seulement après la validation, en avril ­, par son conseil national, d’un positionnement clair – mettant fin à l’oxymore politique de « soutien critique au ­gouvernement » légué par Chabat –, le parti a plaidé pour un projet de loi de finances rectificative pour atténuer les effets de la crise socio-­économique. Le plaidoyer, à dire vrai, n’avait aucune chance d’arriver à bon port.

Le nouveau modus operandi de l’Istiqlal le place néanmoins au-dessus de la mêlée dans un champ politique marqué par une panne sèche du moteur de l’opposition – le Parti Authenticité et Modernité (PAM) et ses 105 députés – et les couacs à répétition entre leaders des partis de la majorité.

Le patron des istiqlaliens pointe d’ailleurs le « manque de réactivité et d’anticipation » du gouvernement El Othmani, coupable selon lui de ne pas accélérer les réformes. « Ce dernier trimestre de 2018 risque d’être décisif pour lui », prévient Baraka, qui trouve son lot de consolation dans la prise en main par la monarchie des dossiers primordiaux comme l’éducation.

Double casquette

Chaque mardi, avant de réunir le comité exécutif du parti (28 membres), Baraka enchaîne les rendez-vous dans son bureau du siège de la formation, dans le centre-ville de Rabat. Ce bureau, c’est une histoire de famille : il a été occupé entre 1998 et 2012 par Abbas El Fassi, le beau-père de Baraka et, avant lui, par Allal El Fassi, son grand-père.

Un poste qui lui vaut des misères : des voix l’accusent d’utiliser l’institution au profit de son parti

Avant d’entrer dans les lieux, Nizar Baraka abandonne sa casquette de président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Un poste qui lui vaut des misères : des voix l’accusent d’utiliser l’institution au profit de son parti. « C’est mal connaître le fonctionnement du Conseil, dont les rapports ont gagné en crédibilité grâce à l’objectivité politique de l’instance », balaie un membre du CESE.

« Quand j’ai été nommé président du CESE, j’étais déjà istiqlalien, note Baraka. Et istiqlalien, je le suis toujours. » L’homme jouit de la confiance du Palais et de certains adversaires politiques. Le CESE reçoit d’ailleurs toujours des saisines de la part du gouvernement et du Parlement.

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