Thomas Schaefer – Volkswagen : « On ne développe pas une industrie du jour au lendemain »

Après avoir lancé plusieurs projets, le constructeur allemand présente la stratégie qu’il compte mettre en œuvre sur le continent. Entretien avec son patron au sud du Sahara.

Thomas Schaefer, directeur général de Volkswagen pour l’Afrique subsaharienne © Friso Gentsch/Volkswagen

Thomas Schaefer, directeur général de Volkswagen pour l’Afrique subsaharienne © Friso Gentsch/Volkswagen

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Publié le 10 octobre 2018 Lecture : 6 minutes.

Inaugurée en 2012, l’usine Renault-Nissan de Tanger est la plus importante du continent, avec une capacité annuelle de 350	000 véhicules © Fadel Senna/AFP
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En dépit de ventes en berne, les géants du secteur réinvestissent sur le continent, multipliant la création d’unités de production. Mais celles-ci restent modestes et s’appuient souvent sur des équipementiers et des sous-traitants étrangers.

Sommaire

Il y a désormais un « Monsieur Afrique » chez le géant automobile allemand Volkswagen. Thomas Schaefer se définit comme un « spécialiste des marchés émergents » et se dit « à moitié sud-africain », puisqu’il a épousé une native de la nation Arc-en-Ciel. L’ingénieur allemand a été responsable qualité, puis directeur d’usine pour Mercedes en Afrique du Sud de 1998 à 2002.

Après un passage en Malaisie, il est devenu patron des projets industriels du groupe Daimler – qui détient Mercedes – pour les pays émergents. Il a été recruté par Volkswagen pour des fonctions similaires en 2012, avant de revenir en Afrique du Sud. Directeur général de Volkswagen Afrique du Sud depuis 2015, il a pris également en charge, un an plus tard, la région Afrique subsaharienne.

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Jeune Afrique : Volkswagen s’exprime désormais publiquement sur ses ambitions en Afrique, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques mois. Qu’est ce qui a changé ?

Thomas Schaefer : Nous avons désormais une stratégie africaine très claire. Il s’agit pour Volkswagen de briser l’incohérence du marché automobile en Afrique subsaharienne, qui compte un milliard d’habitants, mais où l’industrie vend un nombre dérisoire de véhicules neufs – par exemple moins de 50 000 par an au Nigeria. Nous avons décidé d’aborder ces marchés de manière différente, en nous affranchissant des vieilles recettes utilisées ailleurs dans le monde, qui ont échoué jusqu’à présent à faire progresser les volumes sur le continent.

Votre groupe vend sur le continent des véhicules Volkswagen, mais aussi Seat, Škoda, Audi, Porsche et Bentley… Quelles sont les marques prioritaires de votre groupe ?

Notre direction générale a choisi une marque prioritaire pour chaque région, qui bénéficie d’investissements plus importants. Pour la zone Afrique subsaharienne, que je dirige, c’est Volkswagen qui a été choisi pour l’Afrique du Nord, pilotée depuis l’Allemagne, c’est Seat. La distribution commerciale de chaque marque est toutefois gérée par une équipe différente.

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Pour le moment, en dehors de l’Afrique du Sud, où vous êtes bien implanté, la marque Volkswagen reste derrière ses grands concurrents, notamment Toyota, les alliances Renault-Nissan et Hyundai-Kia… Comment comptez-vous reprendre l’avantage ?

Nous adoptons une approche pragmatique et progressive. Début 2016, nous avons fait une étude approfondie pour sélectionner les pays ayant les potentiels de croissance les plus élevés, des revenus par habitant notables ou en progression, un accès généralisé aux nouvelles technologies et qui soient bien classés en matière de climat des affaires. C’est ainsi que nous avons choisi le Rwanda, qui nous est apparu comme un pays extrêmement intéressant selon ces critères.

Les autorités du Kenya et du Ghana se sont montrées volontaires pour collaborer avec nous

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Le Kenya et le Ghana ont retenu également notre attention. Les autorités de ces pays se sont montrées volontaires pour collaborer avec nous. Il s’agit pour le groupe Volkswagen de tester de nouvelles manières d’aborder l’automobile et la mobilité, de voir ce qui marche, pour le reproduire ailleurs sur le continent.

Vous avez dit vouloir faire du Rwanda un laboratoire des mobilités africaines pour Volkswagen. De quoi s’agit-il ?

Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les Rwandais pour développer des services à la mobilité autour de l’automobile. Le marché local étant étroit [200 000 véhicules immatriculés et 12 millions d’habitants], nous avons réfléchi à ce qui pouvait stimuler la demande.

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Nous avons créé un service d’autopartage avec 800 véhicules Volkswagen, assemblés au Rwanda. Ils sont réservables via une application conçue pour des usagers locaux. C’est aussi une manière d’augmenter les cadences de notre usine d’assemblage de Kigali, lancée à la fin du mois de juin dernier, qui peut produire jusqu’à 5 000 véhicules par an, actuellement des modèles Passat et Polo.

Comment pénétrer des marchés subsahariens, encore envahis par les importations de véhicules d’occasion ?

Oui, chaque année, des centaines de milliers de vieilles voitures arrivent sur le continent. Sur la côte est du continent, elles viennent surtout du Japon – il s’agit de véhicules avec conduite à gauche. Sur la côte ouest, elles arrivent essentiellement des États-Unis et d’Europe – avec conduite à droite. Cette importation massive est le principal frein à la vente de véhicules neufs.

Si nous avons choisi le Rwanda, le Ghana et le Kenya comme terres d’expérimentation et marchés prioritaires, c’est aussi parce que les autorités de ces trois pays sont particulièrement désireuses de rajeunir leurs parcs de véhicules, disposent d’une réglementation contre l’importation de voitures vétustes, et sont déterminées à la faire respecter.

Si les marchés sud-africain et nord-africain sont les plus volumineux du continent, c’est parce que ces réglementations sont en place et respectées

Notons d’ailleurs que, si les marchés sud-africain et nord-africain sont les plus volumineux du continent, et fabriquent autant de véhicules – 600 000 par an dans la nation Arc-en-Ciel –, c’est parce que ces réglementations sont en place, et respectées.

Vous ne citez pas le Nigeria comme pays prioritaire. Pourtant, vous y avez annoncé, début septembre, l’implantation d’une usine d’assemblage…

Nous sommes conscients à la fois du potentiel du marché nigérian – on devrait y vendre 2 millions de véhicules neufs chaque année ! – et de la stratégie industrielle des autorités, désireuses d’implanter dans leur pays des usines automobiles. Volkswagen, tout comme près d’une dizaine d’autres constructeurs automobiles, a effectivement un projet d’usine d’assemblage dans le pays, mais qui sera modeste. Son évolution dépendra de la bonne coopération au niveau local, notamment en matière de lutte contre les importations de véhicules vétustes.

Au Nigeria, au Rwanda, au Ghana, au Kenya mais aussi en Algérie, les installations industrielles que vous avez implantées ou annoncées sont des usines d’assemblage SKD [Semi Knocked Down, remontage de véhicules démontés] et non pas des usines automobiles complètes, allant de l’emboutissage des pièces jusqu’au montage. N’est-ce pas de la « quasi-importation » ?

On ne développe pas du jour au lendemain une industrie automobile. L’Afrique du Sud a mis près de cinquante ans à constituer sa filière automobile, et la Chine, plus de vingt ans. Faute d’expertise et de fournisseurs locaux dans un pays, un constructeur lance toujours son implantation industrielle avec une usine d’assemblage. Une usine complète coûte autour de 600 millions d’euros, et cela n’inclut pas les investissements de ses fournisseurs.

Les usines d’assemblages SKD sont une étape nécessaire de l’industrialisation : les pays africains doivent en passer par là

Aucun groupe international ne ferait de telles dépenses industrielles au sud du Sahara, hors Afrique du Sud. Il n’y aurait pas de marché pour écouler la production, et ce ne serait pas rentable. L’Asie, où j’ai travaillé pour Mercedes et Volkswagen, a expérimenté l’assemblage en SKD pendant de nombreuses années. C’est une étape nécessaire de l’industrialisation. Les pays africains doivent en passer par là.

Vous êtes établi à Port-Elizabeth, la capitale de l’automobile sud-africaine. Vous dirigez la filiale locale de Volkswagen, en plus de la région Afrique subsaharienne. Quel rôle peuvent jouer vos équipes sud-africaines pour doper les ventes de Volkswagen dans d’autres pays subsahariens ?

Nous sommes très bien implantés en Afrique du Sud, où nous sommes arrivés voici soixante-huit ans. Nous y détenons 21 % de parts de marché, ce qui fait de nous le premier groupe automobile du pays. Nous y avons des équipes importantes de production – avec nos usines de Port-Elizabeth –, de recherche et développement, de test de véhicules, et de marketing. Nos modèles Volkswagen Polo et Vivo (remplaçante locale de la Citi Golf) sont sur les premières marches du podium des véhicules les plus vendus dans le pays.

Nos équipes sud-africaines vivent sur le continent, elles comprennent les logiques qui y sont à l’œuvre

Pour toutes ces raisons, il était logique de faire de Port-Elizabeth notre siège régional. Nous voulons mettre cette expérience au service des autres pays subsahariens. Nos équipes sud-africaines vivent sur le continent, elles comprennent les logiques qui y sont à l’œuvre.

Et, sur un plan simplement logistique, il nous est possible d’envoyer nos équipes sud-africaines au Nigeria ou au Rwanda pour des programmes de formation et d’assistance technique. Ce sont des avantages cruciaux par rapport à la période pendant laquelle la région était dirigée depuis notre siège allemand de Wolfsburg, avant 2016.

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