Musique : le festival Oasis, club cinq étoiles

L’Oasis Festival s’impose comme le nouveau fief des hipsters au Maroc. Sur un modèle international, pour une jeunesse friande d’électro, de strass et de paillettes.

La scène principale a vu défiler de grands noms aux platines : Carl Cox, Virgil Abloh ou encore Black Coffee © Khris Cowley/Here & Now

La scène principale a vu défiler de grands noms aux platines : Carl Cox, Virgil Abloh ou encore Black Coffee © Khris Cowley/Here & Now

eva sauphie

Publié le 11 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

On se croirait au Berghain, le temple de la techno berlinoise. Pourtant, c’est bel et bien sur la route de Marrakech, à quelques kilomètres de la zone touristique Agdal, que s’est tenue la 4e édition du festival électro Oasis. Dans la luxueuse enceinte du Fellah Hotel, le décor fait rapidement oublier Berlin.

Des palmiers rythment les allées longeant les douze villas et mènent aux trois scènes. Des sculptures de dromadaire s’érigent au-dessus des bars à bière, un souk aménagé pour l’occasion accueille les amateurs de chichas et autres bebouch (escargots locaux), pendant que les voyantes berbères lisent les lignes de la main sur fond de BPM enlevé.

Bienvenue dans le QG d’une jeunesse dorée biberonnée à Instagram, où sexy attitude, luxe et culture underground sont de mise

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Ce sera tout pour le folklore. La couleur locale passe vite inaperçue, une fois le site investi par quelque 5 000 festivaliers. Microshorts en jean, tops transparents et sacs siglés côté filles, baskets du futur, chemise Technicolor ouverte, bandana fluo côté garçons… Bienvenue dans le QG d’une jeunesse dorée biberonnée à Instagram, où sexy attitude, luxe et culture underground sont de mise.

Si les influenceuses locales, dont Zahra El Hor, Miss Maroc 2015, ont été triées sur le volet par l’édition marocaine de Grazia, les Marrakchis se font rares. Pas étonnant, en regard des tarifs pratiqués – compter jusqu’à 200 euros le pass de trois jours –, justifiés par « l’exigence de la programmation et la qualité logistique », selon Marjana Jaidi, 35 ans, présidente du festival.

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50% d’étrangers

Les consommations se règlent cashless (paiement dématérialisé), le wifi est gratuit et fonctionne (!) partout, la programmation est accessible via une application, et des navettes circulent toute la journée, jusqu’à l’aube. Les sorties sont possibles deux à trois fois, selon les formules. De quoi permettre aux happy few de troquer leurs tenues taillées pour les pool parties et les séances de yoga organisées en journée contre un look du soir bien étudié.

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Bref, une mondialisation à 360 degrés. « Le but du festival est d’attirer les gens de l’étranger pour leur faire découvrir la beauté du Maroc et une autre facette du pays, haut standing », affirme l’ancienne photographe. Avec une agence de presse implantée en Europe et, nouveauté cette année, aux États-Unis, l’audience s’est ouverte aux Américains du Nord, lesquels représentent 4 % des festivaliers.

Proposer une nouvelle offre touristique moderne et cinq étoiles, qui s’affranchit des sentiers battus et du calendrier traditionnel des festivals de l’été sans perturber celui de l’hégire

Pas question pour autant de bouder la population locale. « Le festival n’est pas strictement destiné aux étrangers. Près de la moitié de notre audience est maghrébine, et une poignée de personnes vient aussi de l’Afrique subsaharienne », détaille Youssef Bouabid, cofondateur de l’événement. Proposer une nouvelle offre touristique moderne et cinq étoiles, qui s’affranchit des sentiers battus et du calendrier traditionnel des festivals de l’été sans perturber celui de l’hégire, voilà le pari d’Oasis, qui affiche complet depuis deux saisons.

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Ce succès, les associés le doivent aussi à une production qualitative et à un bookeur de talents londonien exigeant qui leur a permis de gagner la confiance des managers dès le premier millésime. Sans oublier celle des sponsors, prêts à signer chaque année. Ces derniers « voient l’avantage d’être présents à un événement où il y a des jeunes », confirme la cofondatrice.

Avec un pass de trois jours à hauteur de 200 euros, seuls les plus aisés sont de la party © Solovov.be

Avec un pass de trois jours à hauteur de 200 euros, seuls les plus aisés sont de la party © Solovov.be

Carl Cox, Black Coffee, Virgil Abloh, Actress, The Black Madonna… Ces noms ne vous évoquent peut-être pas grand-chose, pourtant ils font partie de la crème des DJ internationaux. En marge de cette programmation pointue, les artistes locaux comptent aussi parmi les priorités des organisateurs. Les Marocains Amine K, Bassam ou encore Casa Voyager ont eux aussi fait monter l’ambiance sur la scène Mirage. « Ce sont les ambassadeurs de la musique électronique au Maroc, rappelle Youssef Bouabid. Ils font vivre le genre depuis une dizaine d’années. On n’hésite pas à les inviter d’édition en édition pour qu’ils se fassent un nom sur le pourtour méditerranéen et ailleurs. »

La promotion de la culture locale passe aussi par les nouveaux gourous du cool. À commencer par le styliste Amine Bendriouich – fraîchement plébiscité par le magazine Vogue US – venu présenter, dans l’une des villas aménagées en concept store, sa collection de prêt-à-porter créée en collaboration avec le photographe Hassan Hajjaj, le Warhol marocain.

>>> À LIRE – Les ambassadeurs du style – Maroc : Amine Bendriouich et Karim Adduchi, les sensations

Tandis qu’une réplique de la boutique du Musée d’art contemporain Macaal invite les Oasiens à dénicher des accessoires de mode confectionnés par des designers de la région et héberge la version miniature de l’exposition « Flying Over Africa », présentée l’année dernière à la galerie nationale Bab Rouah, de Rabat. « Je donne carte blanche aux artistes en qui j’ai entièrement confiance. Leur travail et leur professionnalisme parlent d’eux-mêmes », concède l’Anglo-Marocaine.

« Voguing »

Oasis, c’est aussi et surtout un espace d’expression personnelle, où il n’est question ni de genre, ni de couleur, ni d’appartenance. « Il ne faut pas mélanger religion et culture. Le Maroc a une politique culturelle très forte soutenue par notre souverain et commandeur des croyants », rappelle Youssef en récitant le discours contre l’obscurantisme prononcé à plusieurs reprises par le roi Mohammed VI.

Un seul mot d’ordre : la fête

On aperçoit ici un danseur de voguing, plus loin une jeune fille accompagnée de son papa et des groupes d’amis s’enivrant au rythme des boucles électroniques. Un seul mot d’ordre : la fête. Laquelle n’est néanmoins autorisée qu’à partir de l’âge de 18 ans et est encadrée, dès l’entrée, par la Direction générale de la sûreté nationale.

De l’underground au grand public

L’électro, l’une des industries musicales les plus puissantes du monde, n’a vu le jour au Maroc que début 2010, grâce à des collectifs locaux comme Moroko Loko ou encore Runtomorrow, à l’origine du festival Moga, lancé en 2016 à Essaouira.

D’abord timide dans la région du Maghreb, où seule la Tunisie s’imposait en maître, le genre né à Détroit dans les années 1980 gagne du terrain au pays du couchant lointain. Il quitte la sphère underground en ouvrant sa programmation à l’international et s’offre un troisième concurrent d’Oasis, l’Atlas Electronic Music and Arts, né également à Marrakech en 2016.

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