Industrie : les constructeurs automobiles avancent leurs pions

En dépit de ventes en berne, les géants du secteur réinvestissent sur le continent, multipliant la création d’unités de production. Mais celles-ci restent modestes et s’appuient souvent sur des équipementiers et des sous-traitants étrangers.

Inaugurée en 2012, l’usine Renault-Nissan de Tanger est la plus importante du continent, avec une capacité annuelle de 350	000 véhicules © Fadel Senna/AFP

Inaugurée en 2012, l’usine Renault-Nissan de Tanger est la plus importante du continent, avec une capacité annuelle de 350 000 véhicules © Fadel Senna/AFP

Publié le 10 octobre 2018 Lecture : 6 minutes.

Inaugurée en 2012, l’usine Renault-Nissan de Tanger est la plus importante du continent, avec une capacité annuelle de 350	000 véhicules © Fadel Senna/AFP
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Automobile : les constructeurs avancent leurs pions

En dépit de ventes en berne, les géants du secteur réinvestissent sur le continent, multipliant la création d’unités de production. Mais celles-ci restent modestes et s’appuient souvent sur des équipementiers et des sous-traitants étrangers.

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Attention, éruption d’usines automobiles sur le continent ! Depuis deux ou trois ans, pas un mois ou presque ne se passe sans qu’un constructeur occidental ou asiatique n’ouvre son usine d’assemblage ou n’annonce un projet. Le 4 septembre, à Pékin, à l’occasion du sommet Chine-Afrique, le géant SAIC (Shanghai Automotive Industry Corporation) signait ainsi un protocole d’accord avec le groupe Meninx Holding pour un projet d’usine en Tunisie, en présence du Premier ministre Youssef Chahed.

Le 24 septembre, c’était l’algérien Gloviz, filiale de Global Group, qui inaugurait à Djerma, dans la wilaya de Batna, une usine de 50 000 m2 vouée à Kia et portée par une coentreprise fondée avec le Coréen. Déjà engagé dans d’importants projets industriels en Algérie (Oran) et au Maroc (Kenitra), le français PSA doit pour sa part produire l’an prochain des SUV Peugeot et Opel à Walvis Bay, en Namibie. Il a aussi formé une coentreprise au Nigeria avec Dangote, qui assemblera sous licence des Peugeot 301 avant le printemps 2019 à Kaduna.

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Cet été, Peugeot avait déjà ouvert en Tunisie une petite unité d’assemblage pour son nouveau Peugeot Pick-Up conçu en Chine. Au Rwanda, c’est Paul Kagame en personne qui a fièrement inauguré le 27 juin dernier à Masoro, en périphérie de Kigali, l’unité d’assemblage du groupe Volkswagen, une première pour le pays.

Un grand nombre de constructeurs prennent conscience du potentiel du marché africain

Mais que cache ce soudain essor ? « Pour l’instant, le marché automobile en Afrique reste surtout le fait d’entreprises ou d’administrations. Mais un grand nombre de constructeurs prennent conscience du potentiel du marché et de l’émergence progressive d’une classe moyenne pouvant peu à peu accéder à l’acquisition de véhicules neufs », explique Marc Hirschfeld, directeur général de CFAO Automotive Equipment & Services, l’un des poids lourds de la distribution, notamment partenaire de Volkswagen pour son projet industriel rwandais et de Daimler au Nigeria.

Le paradoxe, c’est que cette floraison d’usines survient à contre-cycle, car les ventes des véhicules neufs font plutôt grise mine en Afrique. Depuis leur pic de 2014, elles ont plongé de 30 % à 1,195 million d’unités l’an dernier, dont 862 907 véhicules particuliers, selon l’OICA, l’association mondiale des constructeurs. La faute aux crises monétaires au Nigeria et en Égypte, aux strictes restrictions à l’importation en Algérie ou encore à la morosité de l’économie de l’Afrique du Sud, qui représente la moitié des ventes du continent. Mais les experts tablent sur une reprise du marché en 2018.

Futur relais de croissance au niveau mondial

Au-delà de ces soubresauts conjoncturels, avec un marché d’environ 1 million de véhicules neufs par an pour 1,2 milliard d’habitants, « l’Afrique reste la région la plus sous-­motorisée de la planète. À moyen terme, les industriels estiment que le continent constituera l’un de leur relais de croissance au niveau mondial, affirme Meïssa Tall, associé conseil responsable des secteurs industrie et automobile chez Deloitte. Depuis vingt ans, beaucoup d’industriels ont négligé ce marché. Mais la plupart ont compris qu’ils devaient revenir au cœur de celui-ci. »

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Ainsi, Volkswagen, engagé depuis peu dans une ambitieuse stratégie industrielle en Afrique, veut, au-delà de son important site sud-africain, se doter d’un réseau d’usines installées au Rwanda, en Algérie (usine Sovac ouverte en 2017), au Kenya ou au Ghana.

Quant à Peugeot, il a pour objectif de vendre 1 million de véhicules d’ici à 2025, en Afrique et au Moyen-Orient, soit six fois plus qu’en 2014. Changement symbolique, le groupe a transféré l’an dernier sa direction Afrique - Moyen-Orient des Émirats arabes unis à Casablanca, au Maroc, d’où intervient son patron, Jean-Christophe Quémard.

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>>> À LIRE – Automobile : Peugeot à la reconquête de l’Afrique

Pour leur part, le chinois Beijing Automotive et l’allemand Mercedes-Benz conduisent en Afrique du Sud deux énormes projets industriels, chacun chiffré en centaines de millions d’euros. Mais tout comme ceux de Peugeot, à Kenitra (capacité de 200 000 véhicules par an en 2020) ou de Renault, à Tanger (350 000 véhicules), ces grosses usines restent l’exception. La plupart des projets récents en Afrique ont une caractéristique commune : il s’agit de petites, voire très petites, unités, de l’ordre de 5 000 véhicules par an, parfois moins. Avec des coûts d’investissement de quelques dizaines de millions d’euros tout au plus.

Système peu efficient au plan industriel

Des chiffres très éloignés des standards du secteur, a rappelé l’an dernier la BAD dans un document assez sévère sur cette approche par le bas. Car outre leur taille souvent modeste, ces « nouvelles usines africaines » fonctionnent suivant les schémas dits SKD (semi knocked-down) ou CKD (completely knocked-down), un peu oubliés depuis les années 1970, qui consistent à importer des kits de véhicules à moitié ou totalement préassemblés avant d’opérer le montage final dans le pays de production.

Ce système a ses inconvénients, mais il permet à ces pays d’entamer un apprentissage de l’industrie automobile et de ses exigences en matière de qualité

Un système peu efficient au plan industriel qui doit être compensé, soit en interdisant les importations de véhicules complets (complete built-up unit, CBU), comme en Algérie, soit en instaurant des droits de douane qui les freinent, tout en favorisant le recours à des sous-ensembles, comme au Nigeria ou au Rwanda.

« Ce système a ses inconvénients, mais il permet à ces pays d’entamer un apprentissage de l’industrie automobile et de ses exigences en matière de qualité, notamment à travers la formation de la main-d’œuvre employée dans ces usines ou grâce à des partenariats industriels locaux », explique Bertrand Rakoto, consultant industriel installé à Detroit. Sur ce dernier point, Dangote, Stallion, le kényan Simba Corp, CFAO et le groupe public namibien NDC sont à la manœuvre.

« Enclencher un mécanisme vertueux d’industrialisation »

Les gouvernements, qui appuient ces projets sur le plan fiscal, sont mus par deux objectifs. Le premier, trivial, est de faciliter la production domestique pour limiter la charge des importations dans la balance des paiements du pays. Sous réserve d’un niveau minimal de valeur ajoutée locale, ce qui ne se vérifie pas toujours.

Ainsi, dans sa première phase SKD, l’usine algérienne Gloviz-Kia n’assure le montage que d’une centaine de sous-ensembles par véhicule. CFAO réalise pour sa part des projets industriels d’assemblage de camions et d’automobiles qui ont vocation à se complexifier : à terme, ce sont plusieurs milliers de pièces qui pourront être assemblées localement sur un véhicule, assure Marc Hirschfeld.

Le second objectif est d’« enclencher un mécanisme vertueux d’industrialisation, synonyme de montée en compétences des entreprises et de création d’emplois », pointe Meïssa Tall. L’idée étant de développer la capacité des usines pour des opérations gourmandes en investissements comme l’emboutissage ou le ferrage des carrosseries et de constituer un tissu local de fabricants de pièces détachées. De quoi dépasser les seuils symboliques de taux d’intégration, souvent inférieurs à 15 % sur le continent.

L'Afrique du Sud et le Maroc, champions continentaux. © JA

L'Afrique du Sud et le Maroc, champions continentaux. © JA

C’est là que le bât blesse, faute de volume. Car hormis les deux champions automobiles continentaux – l’Afrique du Sud et le Maroc – et, dans une moindre mesure, la Tunisie et l’Égypte, aucun pays africain ne dispose encore d’un réseau structuré d’équipementiers et de sous-­traitants. « Nous essayons d’intégrer au maximum dans nos opérations une part de contenu local comme des batteries, des fluides ou des joints. Développer ce sourcing prend du temps et requiert des volumes de vente importants », note Marc Hirschfeld.

Dans son étude, la BAD juge que cette vague automobile ne devrait se concevoir, au vu de la taille des marchés, que dans une optique régionale. Une optique devant conduire à une coordination des stratégies industrielles et fiscales entre pays voisins, générant un effet d’échelle et donc de performance pour les usines et les équipementiers. Chiche ?

Des poids lourds à l’assemblage

La nouvelle génération d’usines CKD concerne également les poids lourds. CFAO a ouvert par exemple fin 2017 au Nigeria un site d’assemblage de camions légers Mitsubishi Fuso (groupe Daimler) d’une capacité de 500 unités par an. Une marque déjà produite au Kenya par Simba Corp. En Algérie, Renault Trucks (Volvo) est en train de monter l’usine Soprovi au sud d’Alger avec le groupe BSF Souakri. Quant au chinois Sinotruk, il a signé en septembre un préaccord industriel avec le Ghana.

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