Télécoms : pourquoi les opérateurs rechignent à coter leurs filiales

Largement absentes des places financières africaines, les compagnies de téléphonie ne semblent pas disposées à inverser la tendance malgré les pressions des États.

MTN est présent en Afrique et au Moyen-Orient. © Vincent Fournier/JA

MTN est présent en Afrique et au Moyen-Orient. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 19 octobre 2018 Lecture : 6 minutes.

Comparées aux banques, autres piliers du secteur tertiaire, les compagnies de téléphonie sont notoirement sous-­représentées sur les principales places boursières du continent. À l’exception du Caire, qui en compte une demi-dizaine, les mieux loties n’en listent que deux (Abidjan et Johannesburg), voire qu’une seule (Tunis, Casablanca, Nairobi, Accra, Dar es-Salaam…). Le Nigeria, la Namibie, l’Ouganda et Maurice n’en comptent aucune.

Fustigeant les opérateurs qui préfèrent s’acquitter d’une amende plutôt que d’obéir à une loi de 2010 imposant la cotation, le président tanzanien, John Magufuli, a ordonné, à la mi-2017, le retrait des licences des récalcitrants : « La direction des impôts ne doit plus imposer d’amendes mais rendre ces compagnies [réticentes] complètement inopérantes. » Si Vodacom Tanzania, leader du marché s’est plié à l’injonction, fin 2017, ni Tigo ni Airtel n’y ont répondu pour l’instant.

« Pour Sonatel, aller à la cote, il y a vingt ans, était courageux » assure Cheikh Tidiane Mbaye

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L’ouverture du capital aux investisseurs locaux est désormais indispensable pour l’obtention d’une licence 4G à Accra. Seul MTN Ghana l’a pour le moment fait. Le Nigeria a imposé en 2016 une introduction à Lagos au géant panafricain MTN – coté à Jo’Burg –, contre une réduction de l’amende de 5,2 milliards de dollars infligée en 2015. Elle n’a toujours pas eu lieu. Ces réticences se manifestent de façon parfois plus subtile, comme le rachat, en avril, par Maroc Télécom de 10 % supplémentaires de sa filiale burkinabè Onatel auprès de l’état pour porter sa participation à 61 %, afin de renforcer son contrôle.

Ou encore son opposition, depuis plusieurs années, au projet de cession en Bourse de la participation du Mali dans sa filiale Sotelma. Artisan de l’introduction du sénégalais Sonatel à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), en octobre 1998, Cheikh Tidiane Mbaye, son ancien directeur général (1988-2012), avoue aujourd’hui sa stupéfaction : « Aller à la cote, il y a vingt ans, était courageux. Ce que l’on comprend plus difficilement, c’est que, depuis, seul Onatel a franchi le pas [en 2009]. » Et ce d’autant plus qu’en vingt ans la capitalisation de cette filiale d’Orange a été multipliée par dix, à près de 2 000 milliards de F CFA (3,05 milliards d’euros environ).

La bourse, un ralentisseur ?

Moins circonspect, l’analyste Kuda Kadungure, spécialiste du secteur des télécoms à Investec Bank, note que « le premier motif d’une introduction en Bourse est de lever des fonds propres. Or nombre de ces opérateurs peuvent financer leurs investissements à des coûts raisonnables, grâce notamment à l’appui de leurs maisons mères qui sont souvent des multinationales solides et bien notées. »

Une situation renforcée par le faible coût actuel du capital sur les marchés internationaux, ce qui obère un autre avantage des places financières locales, décrypte Godefroy Le Mintier, avocat chez Norton Rose. Pour son collègue Alain Malek, associé chargé du bureau de Casablanca, la Bourse peut être perçue par certains opérateurs africains, comme un « empêcheur de prise de décision rapide ».

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Cela concerne les modifications de participation ou les changements de contrôle, mais également des choix opérationnels importants. « Une multinationale peut utiliser les bénéfices réalisés dans un État et les allouer, selon ses propres choix stratégiques, à des investissements dans un autre État. Cet arbitrage est compliqué par une présence sur la place boursière locale, l’opérateur pouvant préférer réinvestir le bénéfice plutôt que de le distribuer aux actionnaires minoritaires », analyse Alain Malek. Un état de fait qui peut expliquer le nouvel engouement de certains États pour une cotation obligatoire, notamment ceux confrontés à des problèmes de change.

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Par ailleurs, « la faible liquidité de plusieurs des places africaines implique que des difficultés parfois mineures peuvent avoir un impact disproportionné sur la valorisation des filiales, ce qui affecte les comptes consolidés de la maison mère », explique Alain Malek. « Cela donne aussi plus de poids aux facteurs psychologiques » , complète Kuda Kadungure.

« Les avantages d’une cotation locale sont clairs, en matière de notoriété auprès du grand public, de capacité à lever des ressources substantielles et même dans les relations avec les bailleurs traditionnels »

Le cas de MTN vient à l’esprit. Fin août, la Banque centrale du Nigeria a ordonné au sud-africain de rapatrier 8 milliards de dollars supposément sortis illégalement du pays entre 2008 et 2015. Cette décision inattendue, vigoureusement contestée par MTN, a non seulement fait perdre un tiers de sa valeur au titre à Johannesburg, mais aussi refroidi les investisseurs d’Accra, qui n’ont souscrit qu’à un tiers des actions MTN Ghana proposées à la cote au même moment.

Indépendance et transparence ?

Pour ne rien arranger, la performance récente des titres laisse à désirer. L’indice MSCI EM/Telecom qui couvre le secteur dans les marchés émergents et comprend MTN, l’émirati Etisalat (maison mère de Maroc Telecom) et l’indien Bharti Airtel, indiquait, fin septembre, un recul annuel de – 8,5 %, contre – 0,44 % pour l’indice des marchés émergents. Une situation conjoncturelle, assure Edoh Kossi Amenounve, directeur général de la BRVM, qui l’attribue principalement aux incertitudes sur les conséquences africaines du Brexit et de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, mais aussi à la surperformance de l’économie américaine et du dollar, qui rendent les marchés émergents moins attrayants.

« Les avantages d’une cotation locale sont clairs, en matière de notoriété auprès du grand public, de capacité à lever des ressources substantielles et même dans les relations avec les bailleurs traditionnels », explique le dirigeant, selon qui celle-ci peut entraîner une baisse de deux à trois points du coût de financement bancaire. Même écho chez Anouar Hassoune, administrateur délégué intérimaire de l’agence Wara : « La Bourse demande certes un apprentissage, mais en levant des fonds propres et en émettant des obligations, cela permet à la fois d’être moins tributaire des banques et de faire preuve de transparence vis-à-vis des investisseurs étrangers. »

Si ce message semble être reçu par les opérateurs, ceux-ci paraissent plus enclins à la cotation de holdings régionaux, de préférence sur des places internationales. C’est le choix que privilégierait Orange pour ses filiales en Afrique et au Moyen-Orient. Mais aussi de Bharti Airtel, qui, selon la presse spécialisée, a désigné en septembre UBS, JP Morgan and Citi pour introduire son holding africain à… Londres. Il semble que les Bourses africaines doivent encore patienter.

Trajectoires opposées au nord et au sud du Sahara

Les places financières subsahariennes ont plutôt réussi aux opérateurs de télécoms. Sonatel, présent au Sénégal, au Mali et en Guinée, a vu sa capitalisation multipliée par dix en vingt ans, à Abidjan. En dix ans, celle du kényan Safaricom a quadruplé au Nairobi Stock Exchange. Avant de chuter à la suite de l’amende imposée en 2015 au Nigeria, le titre de MTN Group avait crû de près de 1 600 % en une décennie à Jo’Burg. La situation de leurs confrères nord-africains est plus mitigée. Telecom Egypt enchaîne les performances en dents de scie au Caire, depuis 2006. Entre 2008 et 2013 Maroc Telecom a accumulé les mauvaises performances à Casablanca avant de rebondir depuis, grâce à une généreuse politique de dividendes.

Il en va tout autrement hors du continent

Sonatel n’est pas la seule société du groupe Orange en Bourse. Ses filiales en Pologne et en Belgique sont également cotées. Le groupe français a toutefois retiré de la cote, à la mi-2015, l’espagnol Jazz Telecom, qu’il venait de racheter. L’indien Airtel, présent dans quatorze pays africains, a introduit sur le marché sa filiale dévolue aux infrastructures, Bharti Infratel Ltd. Outre sa filiale panafricaine Vodacom à Joburg, le britannique Vodafone a aussi coté celles du Qatar et de l’Inde.

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