Côte d’Ivoire : Kong, capitale d’un empire disparu devenue le fief electoral d’Alassane Ouattara

Le parti d’Alassane Ouattara y a recueilli 100% des suffrages lors des élections municipales du 13 octobre. À Kong, capitale d’un empire aujourd’hui disparu, la famille du président règne en maître. Et gare à ceux qui voudraient sortir du rang.

La bourgade ne compte plus désormais que quelques milliers d’habitants. © Alamy Stock Photo

La bourgade ne compte plus désormais que quelques milliers d’habitants. © Alamy Stock Photo

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Publié le 18 octobre 2018 Lecture : 7 minutes.

Fabakary Ouattara se désespère encore du non de ses aïeux. Au début du siècle dernier, « les vieux » ont refusé que le train des colons passe par Kong. C’était trop neuf, trop inconnu. À l’époque, on ne contrariait pas les puissants habitants de la ville : le chemin de fer a donc été construit à 90 km plus à l’ouest, à Ferkessédougou. C’est là désormais que se tient le marché, que se construisent des immeubles, que passent les camions et que s’arrête le bitume.

Pour aller à Kong, il faut encore deux bonnes heures sur une piste de latérite cahoteuse. La route est déserte : plus personne, ou presque, ne se rend dans ces confins du grand Nord ivoirien. La capitale de l’ancien empire de Kong est devenue une petite bourgade endormie de quelques milliers d’âmes. Seules ses deux mosquées soudanaises en pisé rappellent sa grandeur passée. Difficile d’imaginer que, au XVIIe siècle, son fondateur, l’intraitable Sekou Ouattara, régnait sur un territoire qui s’étendait jusqu’à l’actuel Burkina Faso et sur une partie du Mali.

« De tout temps, les Ouattara sont nés pour gouverner », assure Fabakary Ouattara

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La fierté n’a pourtant pas quitté ses habitants : c’est bien un descendant du roi Sekou qui dirige aujourd’hui le pays. « On savait qu’un jour Alassane arriverait à la tête de l’État. Il était fait pour ça. De tout temps, les Ouattara sont nés pour gouverner », assure Fabakary, le chef du village.

Le fan club de Kong

Sur une affiche de campagne jaunie par le soleil, le président pose en grand format à l’entrée du bourg. Le siège de son parti, le Rassemblement des républicains (RDR), trône au milieu de la rue principale. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre formation politique officiellement représentée ici. Chez la plupart des habitants, on trouve une collection de photos : Alassane avec sa femme, Dominique, Alassane avec son grand frère, Gaoussou, Alassane en campagne, Alassane en meeting… Kong a des allures de fan-club. Il faut dire que les trois quarts de ses habitants s’appellent Ouattara.

À la radio, on a bien entendu qu’un vent de contestation soufflait depuis 2017 sur le pouvoir ivoirien. Il y a eu les mutineries des anciens rebelles intégrés dans l’armée, les grèves de fonctionnaires et, désormais, les difficultés politiques qui s’amoncellent. Après des mois de tensions, Henri Konan Bédié, le patron du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a choisi de claquer la porte de la coalition présidentielle. Lors des élections municipales et régionales du 13 octobre, la bataille entre les deux anciens alliés a été féroce dans de nombreuses localités.

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Mais la capitale des Ouattara est à l’abri de ce genre de tempêtes. Il n’y avait qu’une seule liste, évidemment aux couleurs de la majorité et conduite par un proche du président, Berté Abdrahamane Tiémoko. C’est ainsi depuis trente ans, les Ouattara règnent ici en maîtres. Aux législatives de 2016, Téné Birahima Ouattara avait recueilli 99,76 % des suffrages. Lors de la dernière élection présidentielle, en 2015, seuls 15 bulletins sur 14 438 ne désignaient pas Alassane Ouattara.

« Recueillir une seule voix contre les Ouattara, c’est déjà un exploit », se félicite Anzoumana Ouattara. Le vieil homme vit à Lassana, un petit village situé à 22 km de Kong. Lui aussi est un descendant du mythique Sekou Ouattara, mais il a toujours été un militant du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de l’opposant Laurent Gbagbo. « Mille fois, mes parents m’ont demandé de quitter le FPI. Mais que voulez-vous ? Je suis socialiste ! » explique-t-il.

Dans la région, des gens sont contre le RDR, mais ils ont peur. Les fonctionnaires me disent qu’ils craignent de perdre leur travail, les agriculteurs, qu’ils redoutent les représailles…

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Anzoumana a connu les insultes et les intimidations, les mesquineries et les coups bas, comme lorsqu’on lui a abîmé sa moto il y a quelques années. Il se souvient de la défaite historique de Gaoussou aux législatives de 1990, de Basalia Ouattara, l’homme qui avait créé une éphémère antenne du FPI à Kong dans les mêmes années, ou, plus récemment, de Seydou Ouattara, un autre opposant… Ils sont si peu nombreux.

« Dans la région, des gens sont contre le RDR, mais ils ont peur. Les fonctionnaires me disent qu’ils craignent de perdre leur travail, les agriculteurs, qu’ils redoutent les représailles… Je ne parviens pas à les rassurer. »

Les difficiles années Gbagbo

Ni le président Ouattara ni ses frères et sœurs ne sont pourtant nés dans le village paternel. C’est Gaoussou, le grand frère du président, qui, le premier, est revenu sur ces terres. Cadre du PDCI puis fondateur du RDR, ce « baobab » de la politique ivoirienne a été le premier maire de Kong. Sans difficulté, il a fait adouber son petit frère. Ex-haut cadre international marié à une Blanche, Alassane n’était pas vraiment imprégné des coutumes de cette terre empreinte de mysticisme, raconte-t-on à Kong, mais qu’importe.

« On savait bien qu’il n’avait pas grandi là, mais c’est notre enfant. Alors quand, en 1995, Bédié a inventé l’ivoirité et qu’Alassane a été exclu de la présidentielle, c’est comme si on nous avait tous reniés », s’indigne Fabakary.

Parfois, on aimerait confier la mairie à d’autres. Pourquoi pas à un gars de Guillaume Soro ?

Les habitants de Kong gardent un souvenir amer et quelques rancœurs de ces années de braise. Sous Laurent Gbagbo, ils ont ensuite subi privations et représailles. Les maîtres d’école sont partis, l’eau, l’électricité étaient parfois coupées plusieurs mois d’affilée. « Ils voulaient nous punir, Kong avait été jeté aux oubliettes », poursuit le notable.

Alors depuis la victoire d’Alassane, en 2011, Kong revit. Il n’y a rien de grandiose dans le village du président, ni immense demeure ni beau jardin dans cette région aride. Seuls les hommes en armes postés autour du mur de la cour familiale rappellent qu’un chef d’État est susceptible de passer dans ce coin isolé. Alassane, d’ailleurs, vient très rarement : la dernière fois, c’était en 2015, lors de la campagne. Et il n’a pas dormi ici.

Le président ivoirien, Alassane Ouattara. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Le président ivoirien, Alassane Ouattara. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Mais avec son arrivée au pouvoir, le président a commencé à transformer la petite ville. Il y a un hôtel, qui appartient à son frère Téné Birahima, un hôpital en lente construction. La petite Kong a été érigée en chef-lieu de département, alors de nouveaux bâtiments ont poussé : préfecture, impôts, douanes ; leurs fonctionnaires sont arrivés. Venus parfois de loin, ils ont des langues plus déliées que celles des vieux habitants de Kong.

La révolte n’est pas pour demain

À La Détente, le seul maquis de la ville, il ne faut que quelques minutes pour que Joseph fasse part de sa lassitude. « Ici, c’est de la folie, la Drogba [grande bière de 1 l] coûte 800 F CFA [1,2 euro], contre seulement 500 à Abidjan. Les loyers, c’est pareil ! Tu paies 35 000 F CFA pour un chambre-­salon, contre 25 000 à Ferkessédougou, et même le bus, c’est 10 000 F CFA pour aller à Abidjan. Résultat, on ne bouge jamais et on se morfond », déplore-t-il.

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Avec les travaux et le développement, les prix ont tant flambé que les autorités de la ville ont été saisies. Ces derniers mois, elles ont tenté de raisonner les commerçants et de faire taire les mécontents. « Parfois, on aimerait confier la mairie à d’autres. Pourquoi pas à un gars de Guillaume Soro ? » lance Joseph. Le président de l’Assemblée nationale, originaire de Ferkessédougou, ne cache pas son soutien à des candidats indépendants, ailleurs dans le pays. « Mais ici, tu n’as pas le choix. Ils sont tous à 100 % avec le président, alors tu dois suivre et te taire. »

Dans la loyale Kong, la révolte n’est pas pour demain. À l’ombre d’un manguier centenaire, les notables de la ville sont unanimes. « Le mieux pour la présidentielle de 2020 ? C’est un troisième mandat pour Alassane ! » assure Fabakary, immédiatement appuyé par d’autres membres du conseil municipal. Juste avant l’élection, une route bitumée, qui doit relier le petit bourg du président à la grande Ferkessédougou, doit être terminée. Kong rêve de sortir ainsi de l’oubli et, qui sait, grâce à l’enfant de la ville, de retrouver un jour un peu de sa puissance d’antan.

Tel frère, telle sœur…

Tandis qu’Alassane Ouattara confiait la région paternelle du Tchologo à son jeune frère, il donnait à sa sœur, Aissiata Ouattara, le contrôle de Gbeleban, dans le Nord-Ouest. Le village de leur mère a été érigé en mairie spécialement pour elle, il y a quelques mois. Elle était d’ailleurs la seule candidate.

Un Tiémoko dans le tableau

C’est une petite révolution : pour la première fois, l’édile de Kong n’appartient pas à la famille du président. Après Gaoussou Ouattara (1995-2013) et Téné Birahima Ouattara (2013-2018), le président a choisi de confier la mairie à Berté Abdrahamane Tiémoko. Natif de la ville et très proche du chef de l’État, il est le directeur de l’IPS-CGRAE, la caisse générale de retraite des fonctionnaires.

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