Théâtre : s’aimer sous l’apartheid
Une adaptation théâtrale du roman d’André Brink, « Au plus noir de la nuit », ressuscite l’injustice et la folie du régime de Pretoria, l’apartheid en contant l’impossible idylle entre un Noir et une Blanche.
Au départ, il y a un roman brutal. Au plus noir de la nuit (Kennis van die aand), paru en 1973, a été le premier livre en afrikaans interdit par les autorités sud-africaines pour « pornographie ». Son auteur, André Brink (1935-2015), dut le traduire lui-même en anglais pour lui donner une vie à l’étranger.
L’ouvrage raconte l’histoire de Joseph Malan, un acteur noir d’Afrique du Sud qui réussit à partir à Londres, où il devient célèbre. Il décide néanmoins de revenir dans son pays d’origine pour lutter contre l’apartheid en créant une compagnie de théâtre mélangeant Noirs et Blancs. L’issue tragique de son histoire est révélée dès le départ : emprisonné, torturé, Malan attend son exécution pour le meurtre de la femme blanche qu’il aimait d’un amour impossible.
Il fallait d’abord ressusciter l’apartheid, mais aussi rendre crédible l’histoire de ce metteur en scène combatif mais suicidaire, humaniste mais criminel
Exercice d’équilibriste
L’enjeu pour le metteur en scène Nelson-Rafaell Madel, qui a adapté le roman, semble double. Il fallait d’abord ressusciter l’apartheid, la dureté, l’horreur de ce régime d’exclusion où un Noir et une Blanche ne pouvaient même pas se tenir par la main dans la rue, où toute relation sexuelle entre eux était illégale.
Pour conserver la « pureté » de la race. Il fallait aussi rendre crédible l’histoire – plutôt invraisemblable – de ce metteur en scène combatif mais suicidaire, humaniste mais criminel. Un exercice d’équilibriste d’autant plus difficile que six comédiens seulement interprètent trois fois plus de personnages de milieux sociaux et de convictions différentes, restituant la diversité de la société sud-africaine de l’époque.
Nelson-Rafaell Madel, également danseur, mise beaucoup sur les corps pour incarner cette tragédie
Pas de deux et transe
Le spectacle est convaincant en tous points. Certes, quelques numéros d’acteur non essentiels poussent la bouffonnerie un peu loin et rendent certains passages peu crédibles. Pour le reste, l’interprétation solide (Mexianu Medenou, dans le rôle principal, mais aussi Karine Pedurand et Gilles Nicolas, notamment) nous fait basculer dans le temps et l’espace, et donne à comprendre l’exil, les inégalités, les tensions raciales, la liaison subversive et, même, le choix fatal du héros.
S’appuyant sur un dispositif scénique rudimentaire (essentiellement des projecteurs disposés sur le plateau), Nelson-Rafaell Madel, également danseur, mise beaucoup sur les corps pour incarner cette tragédie. Paradoxalement, malgré le texte assez bavard d’André Brink, ce sont les passages où les personnages silencieux exultent en d’impossibles pas de deux ou d’ardents moments de transe qui disent le mieux la violence de l’apartheid.
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