Afrique-France : la rupture à pas comptés
Par plusieurs gestes hautement symboliques en direction du continent africain, le président français Emmanuel Macron montre qu’il veut changer de paradigme. Sans pour autant renoncer à ses positions stratégiques.
Afrique-France : un autre regard ?
L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en France a-t-elle réellement été synonyme de nouvelles pratiques dans les relations entre la France et l’Afrique ? Un an après le discours du président français à Ouagadougou, Jeune Afrique fait le point.
En allant rendre visite, le 13 septembre dernier, à Josette Audin, la veuve du militant communiste torturé à mort par l’armée française en juin 1957, pendant la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a marqué une rupture.
Pour la première fois, un président français a reconnu un « système de torture institué alors en Algérie par la France ». Et au-delà des mots, le chef de l’État français a annoncé l’ouverture des archives concernant les innombrables disparus algériens et français pendant le conflit.
Déjà, le 28 novembre 2017, lors de son discours devaoint des étudiants à Ouagadougou, au Burkina Faso, il avait promis la déclassification de tous les documents français concernant l’assassinat de Thomas Sankara, en octobre 1987.
>>> À LIRE – [Document] Le discours d’Emmanuel Macron à Ougadougou
Autre geste éminemment symbolique : le projet de restituer aux ex-pays colonisés par la France tout ou partie de leurs biens culturels. Fin novembre 2018, la mission d’expertise conduite par Bénédicte Savoy et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr rendra son rapport sur les modalités de ces restitutions. Comme le dit Felwine Sarr, « Macron est en mouvement dans l’espace symbolique ».
Après sa visite très médiatique, le 3 juillet dernier, au Shrine, salle de concert créée par Fela Kuti à Lagos, au Nigeria, il est clair que le jeune président français veut se distinguer de ses prédécesseurs en valorisant la culture africaine.
Le 27 août, lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, il a lancé, à propos des relations franco-africaines : « Ce que nous construisons touche par touche, c’est en quelque sorte la conversion d’un regard réciproque, […] un nouvel imaginaire entre la France et le continent africain. »
Rupture politique…?
Au-delà des champs mémoriel et culturel, Emmanuel Macron est-il aussi prêt à marquer une rupture dans le domaine politique ? Au vu de son nouveau partenariat avec Kigali, oui.
Soutenir une Rwandaise, Louise Mushikiwabo à l’OIF, c’est rompre avec la Françafrique… tout en espérant un rapprochement entre Paris et Kigali
En février, quand il a suscité la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le chef de l’État français a choisi sciemment, comme dit l’un de ses proches, un pays « qu’on ne peut pas soupçonner d’allégeance à l’égard de la France ».
…et realpolitik
Soutenir une Rwandaise, c’est rompre avec la Françafrique… tout en espérant un « effet collatéral » en faveur d’un rapprochement entre Paris et Kigali. Rupture oui, mais non sans realpolitik.
Jusqu’où peut aller cette rupture ? Comparant Macron à « un joueur d’échecs qui avance masqué en Afrique pour défendre, à fronts renversés, les intérêts de la France », l’essayiste Antoine Glaser, dans une préface inédite de la version poche de son livre Arrogant comme un Français en Afrique (éditions Pluriel), suggère au président de nommer à la Banque de France l’économiste togolais Kako Nubukpo, « le plus acerbe et affûté critique du franc CFA ».
Pas sûr que le locataire de l’Élysée aille jusque-là. « Avec Macron, je vois des inflexions, des additions, notamment grâce à l’augmentation de l’aide publique au développement, mais pas de changements », affirme un proche de l’ex-président François Hollande.
« Dans sa défense des intérêts économiques et des positions militaires de la France, Macron est davantage dans la continuité qu’il ne le croit », glisse un conseiller de l’ex-président Nicolas Sarkozy.
Sur le terrain de la lutte contre les jihadistes du Sahel, le Macron impétueux de 2017 a évolué. Le 13 décembre 2017, lors d’une réunion sur le G5 Sahel à la Celle-Saint-Cloud, près de Paris, il se fixait publiquement un objectif militaire : « Avoir des victoires au premier semestre 2018. »
>>> À LIRE – Ce qu’il faut retenir du sommet du G5 Sahel à Niamey
Le 29 juin, le premier semestre s’est terminé… par une attaque jihadiste contre le quartier général de cette force conjointe, à Sévaré, dans le centre du Mali. Depuis, ces locaux ont été prudemment relocalisés à Bamako, dans le Sud, et le président français, qui mesure désormais l’ampleur de la tâche, multiplie les efforts pour que les quelque 5 000 soldats africains du G5 Sahel se lancent dans des engagements plus robustes et plus réguliers. En attendant, les 4 500 soldats français de l’opération Barkhane restent sur le pied de guerre, au risque de s’enliser.
Rupture avec les Etats-Unis ?
Dans son discours anti-Trump à l’ONU, le 25 septembre à New York, Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de dénoncer « la loi du plus fort » et l’unilatéralisme du président américain. Il a plaidé pour une « nouvelle Alliance avec l’Afrique », autour des thèmes du multilatéralisme, de l’intégration régionale et de la démocratie.
Dans son agenda, trois rendez-vous qui se dérouleront dans l’Hexagone et qu’il veut voir réussir : le sommet du G7, à la mi-2019, à Biarritz – « la lutte contre les inégalités sera la priorité de la présidence française du G7 », déclare-t-il –, le sommet Afrique-France et la Saison des cultures africaines, tous deux programmés pour 2020.
Seront-ils synonymes de rupture ou de continuité ? Emmanuel Macron veut avant tout défendre les positions politiques et économiques de la France, au moment où celles-ci sont sérieusement malmenées.
Conseillers sans filtre
Quelques mois après son élection, Emmanuel Macron a complété le dispositif élyséen destiné à l’Afrique en créant, en août 2017, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont la coordination a été confiée au Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou.
Pour la plupart trentenaires et en majorité binationaux, francophones ou anglophones, ses membres sont issus de la société civile ou du monde de l’entrepreneuriat et sont « en prise directe avec la réalité du continent », comme le résume Vanessa Moungar, directrice chargée du genre et des femmes à la BAD, et qui travaille sur ces mêmes questions pour le CPA.
Volontariat
En contact permanent, chaque sous-groupe se réunit une fois par semaine. Et le conseil se retrouve au complet, autour d’Emmanuel Macron, tous les trois mois. À eux alors de souffler – sans filtre et sans concession – à l’oreille du président les petites indications et les grandes inflexions qui l’aideront à établir sa nouvelle relation avec l’Afrique. Certaines intonations du discours de Ouagadougou sont ainsi directement sorties du CPA.
« Ce n’est pas un simple effet cosmétique, affirme Vanessa Moungar. C’est un réel engagement de sa part. » Et de la part des membres du CPA, puisque leur mission s’appuie uniquement sur le volontariat.
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