Carlos Lopes : « Face à la Chine et aux États-Unis, les Européens prennent du retard »
Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), livre son analyse sur l’évolution de la relation qu’entretient Paris avec le continent.
Afrique-France : un autre regard ?
L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en France a-t-elle réellement été synonyme de nouvelles pratiques dans les relations entre la France et l’Afrique ? Un an après le discours du président français à Ouagadougou, Jeune Afrique fait le point.
En juillet, Carlos Lopes a été nommé haut représentant de l’Union africaine dans le cadre des négociations pour de nouveaux accords avec l’Union européenne après la fin de ceux de Cotonou, en 2020.
Avec les ministres africains des Affaires étrangères, l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA) a ainsi la lourde tâche de créer un nouveau cadre de coopération par-delà la Méditerranée. Fin connaisseur de la France et de ses institutions, il livre son analyse sur l’évolution de la relation qu’entretient Paris avec le continent.
Jeune Afrique : L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir provoque-t-elle une évolution de la relation entre l’Afrique et la France ?
Carlos Lopes : Il y a incontestablement une tentative du chef de l’État, dans l’approche et dans le discours, pour décomplexer cette relation. Il n’hésite pas à se rapprocher d’institutions, de secteurs, d’acteurs de la société civile, y compris hors du pré carré français.
Il l’a montré au Burkina Faso, lors de son dialogue avec les jeunes à l’université de Ouagadougou, mais aussi au Nigeria, en mettant en avant sa relation personnelle avec le pays. Le fait qu’il ait choisi de soutenir la candidate rwandaise à la présidence de l’OIF [Louise Mushikiwabo] est également significatif.
Sur l’aspect sécuritaire, la France poursuit ses interventions militaires en présentant son rôle comme indispensable dans la lutte contre le terrorisme
Le discours est aussi davantage centré sur l’avenir de l’Afrique, sur son potentiel. Ce changement est incarné par le nouveau directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, dont la vision dépasse la simple aide au développement.
Mais cela n’exclut pas une certaine continuité. Sur l’aspect sécuritaire, la France poursuit ses interventions militaires, suivant un processus pas totalement consultatif, en présentant son rôle comme indispensable dans la lutte contre le terrorisme.
Et elle est toujours aussi peu présente sur les questions de mobilité humaine, contrairement à ce qu’elle prétend. Paris ne prend d’ailleurs pas vraiment ses distances avec l’opinion publique européenne antimigrants.
Début septembre, l’Afrique s’est donné rendez-vous à Pékin pour un sommet avec la Chine. La France a-t-elle encore les moyens d’exister sur le continent face à la puissance financière de Pékin ?
S’il y a un changement d’approche, la France n’a pas vraiment encore évolué sur le fond. Elle commence à peine à reconnaître que le continent a besoin d’une transformation structurelle de son économie, d’une industrialisation nécessaire à la création d’emplois.
La baisse des investissements français, concentrés sur le secteur pétrolier, en est la parfaite illustration. Le problème vient en partie de la politique européenne, sur laquelle la France a un rôle à jouer.
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Dans le secteur bancaire, les règles prudentielles très strictes imposées par la BCE obligent les établissements français à surévaluer les risques africains. Ils se retirent in fine du continent.
Face à la Chine, mais aussi aux États-Unis, avec leur nouvelle agence de développement, les Européens et la France risquent de prendre du retard. Dernier point important, il faut absolument faire évoluer le franc CFA. Le statu quo n’est bon pour personne.
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