Stratégie : pétroliers et distributeurs à l’assaut des services financiers

Après les opérateurs télécoms, pétroliers et distributeurs cherchent à leur tour à diversifier leurs revenus, à fidéliser leurs clients et à rentabiliser leurs points de vente en élargissant leur offre de services digitaux.

April Africa, station Total de Ngor, Dakar le 24 janvier 2017.© Clément Tardif pour JA © Clement Tardif pour JA

April Africa, station Total de Ngor, Dakar le 24 janvier 2017.© Clément Tardif pour JA © Clement Tardif pour JA

Publié le 4 janvier 2019 Lecture : 5 minutes.

Payer ses factures d’eau et d’électricité, déposer et retirer des espèces sur son compte mobile money, effectuer des transferts d’argent ou encore souscrire à des produits d’assurance.

Autant de démarches que pourront effectuer, d’ici à la fin de l’année, les clients des stations-service de Total dans huit pays africains – Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Kenya, Mali, Maroc, Guinée et Sénégal –, soit 500 points de vente.

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La major pétrolière française croit beaucoup en ce nouveau service. « Plus d’une centaine de contrats sont en cours de négociation avec des opérateurs de télécoms, des banques, des assurances, des sociétés de transfert d’argent, ainsi que des plateformes de biens et services », rapporte Thibault Flichy, vice-président marketing et digital Afrique de Total.

Un créneau convoité

Dans les 171 stations-service du groupe déjà équipées de l’agrégateur de moyens de paiement et de services digitaux développé par la fintech sénégalaise Touch, 10 000 transactions sont réalisées chaque jour par le biais de la plateforme, pour un montant global de 200 millions de F CFA (305 000 euros).

Pas une seule station-service ne s’ouvre aujourd’hui en Afrique subsaharienne sans services digitaux

Sur chaque transaction, les points de vente perçoivent en moyenne une commission de 1 %.

Total n’est pas le seul à vouloir occuper ce créneau. De l’aveu de l’ex-patron de Total Sénégal, « pas une seule station-service ne s’ouvre aujourd’hui en Afrique subsaharienne sans services digitaux ».

Par exemple, son concurrent Vivo Energy, qui exploite la marque Shell, propose aussi des services de paiement électronique et de mobile money avec Orange, MTN et Airtel, ainsi que des services de mobile banking à travers Yup, porte-monnaie électronique développé par Société générale dans plus d’une dizaine de pays africains.


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Portées par la montée en puissance des moyens de paiement et services digitaux, les enseignes sud-africaines de grande distribution se sont aussi positionnées sur ce marché au potentiel énorme, à l’instar de la chaîne Pick n Pay, de Shoprite, qui a annoncé en mai 2018 le lancement de son porte-monnaie électronique, ou encore de SPAR, qui, en plus de distribuer des produits d’assurance à travers sa « payzone », propose un service de transfert d’argent compatible avec les guichets automatiques de Standard Bank.

Des solutions pour faciliter les achats

Ces solutions annexes de porte-monnaie virtuel s’ajoutent aux services financiers destinés à faciliter les achats de leurs clients au sein de leur enseigne (crédit à la consommation, crédit-bail ou leasing…).

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Au Maroc, la chaîne d’hypermarchés Marjane, filiale du holding royal Al Mada, propose ce type de services (crédit, carte de paiement, réserve d’argent) en partenariat avec WafaSalaf, leader du crédit à la consommation dans le royaume, tout comme Géant Casino et Carrefour en Tunisie. « Les filiales de crédit à la consommation peuvent être une source de profit avec des marges très fortes », commente Yoann Lhonneur, directeur associé de Devlhon Consulting.

Le sud-africain Woolworths a fait le choix de développer de tels services en interne en créant sa propre société de crédit. À l’inverse, le distributeur panafricain CFAO, actionnaire à hauteur de 24,3 % du spécialiste de crédit-bail Alios Finance, a préféré offrir des solutions de crédit en partenariat avec des organismes bancaires locaux.

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Comme le souligne Yoann Lhonneur, « sur ce marché de masse dominé par le cash, le nerf de la guerre c’est de disposer du plus grand nombre de points de vente physiques ».

Total dispose d’une force de frappe exceptionnelle et, vis-à-vis des banques, d’un atout de masse critique

Il est vrai que 95 % de l’activité de la vente de biens de consommation et d’équipements en Afrique est générée par les réseaux informels de petits détaillants. Sur le continent, le réseau de points de vente des pétroliers est bien plus important que celui des acteurs de la grande distribution.

Avec un réseau dense de 4 500 points de vente dans 38 pays africains, jusqu’en zone rurale, Total dispose d’une force de frappe exceptionnelle et, vis-à-vis des banques, d’un atout de masse critique. Le réseau de Shell est composé de 1 800 points de vente. Par comparaison, Société générale dispose de 1 millier d’agences sur le continent.

L’enjeu des données clients

Mais cette offensive des pétroliers et distributeurs sur le porte-monnaie électronique ouvre-t-elle une nouvelle bataille dont les banques devraient avoir peur ? Pour les acteurs pétroliers et de la grande distribution, le « wallet » présente un avantage : il permet d’abaisser fortement les coûts de gestion et de marketing, tout en rendant possible l’instauration d’un programme de fidélité.


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À travers les informations requises à la création du compte et l’historique des transactions, les porte-monnaie électroniques offrent également une meilleure connaissance du client. « Les données clients collectées permettent d’établir des profils de risque de crédit afin de proposer des services financiers mieux adaptés », explique Yoann Lhonneur.

Reste que « la valeur de la donnée client est encore peu exploitée », nuance le consultant, sachant qu’il faut deux à trois ans pour construire un historique de données et développer ce type de modèle. Avec une marge faible pour de gros volumes, le paiement électronique est donc surtout un produit d’appel pour acquérir de nouveaux clients et proposer des services à plus forte valeur ajoutée.

Contraintes réglementaires

Pour Total, il s’agit en priorité d’obéir à une logique de « producteur distributeur » et d’éviter ainsi de se heurter à des contraintes réglementaires très lourdes. « Notre objectif est d’élargir notre offre de services pour optimiser notre réseau de points de vente. Nous affirmons ainsi notre volonté d’être le retailer de l’Afrique, alors qu’Orange se positionne avant tout en tant qu’opérateur et émetteur de monnaie électronique », commente Thibault Flichy.

« Ces acteurs ne veulent pas devenir des banques universelles, ce n’est pas dans leur ADN, relève Yoann Lhonneur. La problématique porte plutôt sur l’échelle à laquelle ils développent les services financiers. En Afrique de l’Ouest, par exemple, les enseignes de la grande distribution semblent concentrées sur la sécurisation de leurs positions » en raison du manque de maturité de ce marché. Cette zone représente en effet 1 % de la grande distribution en Afrique.

Jumia enrichit ses solutions de paiement

Depuis le début de l’année 2017, le géant africain de l’e-commerce, Jumia, dispose de sa propre solution de paiement, JumiaPay, et, depuis quelques mois, d’une plateforme de distribution de services digitaux baptisée Jumia One. « À terme, nous prévoyons de proposer des services de microprêt, de produits d’épargne et de crédits à la consommation, ainsi que des micro-assurances », explique Sami Louali, chargé de la stratégie des relations avec les investisseurs chez Jumia. À partir de 2019, la plateforme prévoit également d’offrir des facilités de paiement à ses clients sur sa plateforme.

Mobile Money, un succès qui ne se dément pas

Selon la GSMA, le lobby mondial des opérateurs de télécoms, plus de 122 millions de comptes mobile money sont actifs en Afrique subsaharienne. En 2017, 1,2 milliard de transactions ont été effectuées à travers ce service, pour un montant global de 19,9 milliards de dollars ( 17 milliards d’euros), en hausse de 14,4% par rapport à l’année précédente.

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