Raul Villaron : « En Afrique, Embraer a tout à gagner d’un rapprochement avec Boeing »

Sur le point de se marier avec le géant américain, le constructeur brésilien affronte la concurrence sur le marché des avions régionaux de Bombardier, allié d’Airbus.

Avions du constructeur brésilien Embraer lors de la Brazil Aviation Exhibit, le 14 août 2018 à Sao Paulo. © Andre Penner/AP/SIPA

Avions du constructeur brésilien Embraer lors de la Brazil Aviation Exhibit, le 14 août 2018 à Sao Paulo. © Andre Penner/AP/SIPA

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Publié le 24 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

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Sur fond de montée en puissance des concurrents asiatiques et d’Ethiopian Airlines, les acteurs en place cherchent à consolider leurs positions.

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Embraer en Afrique, ce sont 150 appareils en activité (contre 40 il y a dix ans), 23 pays desservis, de grosses prises comme Kenya Airways (avec quinze E190), mais aussi des partenariats solidement entretenus pour sa gamme de monocouloirs (Airlink, Fastjet, Air Burkina, RAM, Petro Air, etc.) et une kyrielle de clients pour ses petits turbopropulseurs.

Depuis plus de huit années en Afrique, l’un des plus grands exportateurs du Brésil (5,8 milliards de dollars de CA en 2017) a tissé peu à peu sa toile dans de nombreuses compagnies aériennes. Au coude-à-coude avec son éternel rival Bombardier, désormais associé à l’avionneur européen Airbus, le brésilien, également en passe de se marier avec le géant américain Boeing, se prépare à dégainer une gamme élargie de ses jets historiques. Entré chez le constructeur brésilien en 2005, et désormais établi à Amsterdam, Raul Villaron, qui pilote depuis janvier la région Afrique - Moyen-Orient, a répondu aux questions de Jeune Afrique.

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Jeune Afrique : Vous venez de prendre vos fonctions à la tête de la région Afrique - Moyen-Orient. Quelle est votre feuille de route pour le continent ?

Raul Villaron : Mon objectif est de faire en sorte que l’Afrique n’ait d’yeux que pour Embraer. Ce qui implique de donner la possibilité aux compagnies aériennes les plus modestes de croître, sans pour autant qu’elles aient à dépenser trop. Mais également d’infiltrer les compagnies qui possèdent déjà de grandes flottes en proposant nos aéronefs de dernière génération. Je pense notamment à Kenya Airways, Ethiopian Airlines, Air Mauritius, Air Algérie et Royal Air Maroc (RAM), des cibles pour notre programme Embraer E2.

Quel est votre plan pour grignoter l’avance prise par votre rival Bombardier concernant les commandes d’appareils cette année ?

Nous avons beaucoup investi ces derniers mois et nous parions sur l’avenir. Nous multiplions les partenariats, comme avec Airlink, en Afrique du Sud, avec lequel nous avons injecté 10 millions de dollars dans une coentreprise pour la création de centres de formation des pilotes et la mise en place d’un simulateur de l’E-Jet. Nous progressons dans le processus de certification de nos derniers appareils du programme E2, lancé en 2013. Le tout premier E190-E2 – ­deuxième membre de la famille des E2-Jets derrière l’E175-E2 et devant le futur E195-E2, prévu pour la mi-2019 – a été livré en avril au norvégien Widerøe.

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Pour les dix ans à venir, nous tablons sur une demande d’environ 850 avions émanant de toute la zone Afrique - Moyen-Orient, dont 430 de l’Afrique seule, ainsi qu’une grosse demande d’appareils de seconde main provenant des États-Unis ou d’Europe.

Les compagnies qui s’effondrent sont souvent celles qui ont voulu s’attaquer d’abord à des vols long-courriers, transcontinentaux, avant de développer le réseau régional

Sachant que vos appareils affichent un prix catalogue moyen de 35 millions de dollars, vos objectifs sont ambitieux. Quelle est votre botte secrète pour vous démarquer de la concurrence acharnée de l’Airbus A220 (ex-Bombardier CSeries) ?

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Sur le segment des monocouloirs de moyenne capacité [de 100 à 160 sièges], il est vrai que Bombardier, désormais marié à Airbus pour créer la famille A220, qui cible les mêmes marchés que les nôtres, reste notre plus grand rival. Mais nous croyons très fort aux Embraer E2. Nous avons d’ailleurs surnommé le programme profit hunter (« chasseur de profit »). Même si rien n’est gagné, nous pensons qu’il est particulièrement adapté au marché africain, qui, en raison de son volume moyen de trafic, a besoin d’avions d’une capacité de moins de 150 passagers.

Les trois avions de la famille E-Jet E2, version remotorisée de trois des quatre jets Embraer (ex- ERJ) en cours de développement, ont la bonne taille pour l’Afrique. D’une capacité qui s’étale de 80 à 146 sièges, selon les configurations, ils sont parfaitement adaptés aux compagnies du continent qui développent leur réseau de trafic régional.

Des exemples de bons et de mauvais élèves ?

Je ne me permettrais pas de dénoncer quiconque. Ni de préjuger de l’avenir. Mais on constate que les nouvelles compagnies aériennes fleurissent en Afrique. En tout cas, celles qui s’effondrent sont souvent celles qui ont voulu s’attaquer d’abord à des vols long-courriers, transcontinentaux, avant de développer le réseau régional, qui est à mon avis la stratégie à adopter pour être à même de survivre et de concourir face à la RAM, à Ethiopian, Kenya Airways ou South African Airlink.

Les Chinois comme les Russes sont présents là où ils ont une influence politique

C’est donc sur ce point que votre partenariat tant annoncé avec Boeing peut devenir stratégique pour Embraer. Où en est le processus de rapprochement ?

L’aval des autorités et l’ensemble des autorisations sont toujours attendus pour la première moitié de 2019. Aujourd’hui, un joint-­venture existe entre les deux, ce qui nous permet déjà une complémentarité en proposant un large éventail d’aéronefs. Et bien sûr de nous frotter directement à Airbus-Bombardier. Nous sommes très impatients de voir le projet aboutir, en particulier pour l’Afrique, qui est un « continent Boeing » et qui offre donc davantage d’ouvertures pour Embraer.

Ethiopian Airlines a annoncé récemment la conclusion de partenariats avec cinq compagnies africaines, ce qui devrait générer une croissance du trafic entre ces pays. Embraer s’est-il positionné sur ce marché, et sur d’autres en particulier ?

Ethiopian Airlines a pour stratégie de connecter tout le continent. Elle ambitionne de croître rapidement et aura donc besoin de plusieurs catégories d’aéronefs pour accéder à la variété du marché africain. Embraer a bien évidemment répondu à l’appel à manifestation d’intérêt d’Ethiopian lancé un peu plus tôt cette année, avec notre nouvelle génération d’appareils. Nous sommes également bien positionnés pour remplacer les deux Embraer E170 d’Air Burkina. Nous avons proposé de les remplacer par trois appareils d’occasion. Nous attendons la réponse dans les prochains jours.

Le prix d’un avion ne représente que 20 % du coût d’un appareil, auxquels il faut ajouter la maintenance et les dépenses imprévisibles

Parmi les avionneurs qui cassent les prix, comme le chinois Comac ou le russe Sukhoï, qui pourrait vous faire de l’ombre ?

Nous ne jouons pas sur les mêmes terrains. Les Chinois comme les Russes sont présents là où ils ont une influence politique. Pour moi, les prix cassés par rapport à ceux des constructeurs historiques dissimulent de forts coûts cachés.

Le prix d’un avion ne représente que 20 % du coût d’un appareil. À cela il faudra ajouter les coûts de maintenance, et tous les coûts imprévisibles. Sur ce point, Embraer a développé Total Support Package, un service spécifique pour l’E2 qui permet de s’adresser aux petites compagnies qui n’ont pas les financements suffisants pour entretenir leurs avions.

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