Madagascar : la bataille des ex pour la présidence

Le scrutin présidentiel, dont le premier tour se déroule le 7 novembre, doit permettre d’enfin tourner la page de la crise ouverte en 2009. 36 candidats – dont les trois derniers chefs de l’État – s’y affrontent, dans une ambiance tendue.

10/10/2018 – Antananarivo, Madagascar – Affiche de campagne du candidat  Andry RAJOELINA dans les rues d’Antananarivo. PHOTO : RIJASOLO / RIVA PRESS © RIJASOLO pour JA

10/10/2018 – Antananarivo, Madagascar – Affiche de campagne du candidat Andry RAJOELINA dans les rues d’Antananarivo. PHOTO : RIJASOLO / RIVA PRESS © RIJASOLO pour JA

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Publié le 25 octobre 2018 Lecture : 4 minutes.

Vue du lac Anosy, à Tananarive, capitale de Madagascar. © Sascha Grabow/Wikimedia Commons
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Madagascar : la possibilité d’une (grande) île

Le 7 novembre, les électeurs se rendront aux urnes pour élire leur nouveau président. Avec l’espoir de mettre un terme à la crise politique qui mine le pays depuis 2009 et de consolider la reprise économique.

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«Si l’on mesure la bonne santé de la démocratie dans un pays au nombre de candidats à la présidentielle, alors elle se porte manifestement très bien à Madagascar », ironise un diplomate. Ils étaient 49 en 2013, ils sont cette année 36 prétendants, avec l’objectif de se qualifier au soir du 7 novembre pour pouvoir franchir la ligne d’arrivée en vainqueur le 19 décembre, date du second tour. « Beaucoup savent qu’ils n’ont aucune chance, mais ils se préparent à marchander leur soutien au second tour, contre un poste ministériel par exemple. Ou alors ils participent à une logique d’éparpillement des votes au profit de l’un des favoris », explique le représentant local d’une grande institution internationale.

Quelles que soient les motivations de chacun, tout le monde a bien pris le départ de la course à la présidentielle le 8 octobre, jour du lancement officiel de la campagne, même si certains poids lourds étaient déjà partis à la rencontre des électeurs depuis plusieurs mois.

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Une liberté prise avec le calendrier déjà pointée en son temps par les petits candidats, mais qui n’a provoqué aucune réaction des différentes institutions de contrôle et d’organisation de ces élections, pour qui l’essentiel est ailleurs. Après des mois de tension, et alors que la rumeur d’un report éventuel du scrutin continue d’être entretenue par une partie des candidats, la priorité de Jean-Éric Rakotoarisoa, le président de la Haute Cour constitutionnelle (HCC), est bien d’« amener le pays jusqu’aux élections ».

Madagascar aura bien un président élu en janvier, assure le gardien de la Constitution

Qu’importe si les listes validées fin septembre par l’OIF sont remises en question par une vingtaine de candidats, si la totalité des 25 000 bureaux de vote n’est pas encore installée, si le second tour aura lieu en pleine saison humide, amplifiant les risques de fraude dans les zones reculées, « Madagascar aura bien un président élu en janvier », assure le gardien de la Constitution.

Il peut compter sur le soutien du président d’une Commission électorale nationale indépendante réaffirmée dans son rôle par la visite des observateurs de l’OIF, mais déjà taxée de partialité malgré ses efforts de transparence, et sur un Premier ministre qu’il a contribué à installer au lendemain du « coup d’État constitutionnel », fin mai, pour justement remettre Madagascar sur la voie électorale. Il avait reçu pour cela l’aval de la communauté internationale, qui ne ménage pas ses efforts depuis le début de l’année pour s’assurer du bon déroulement des opérations et qui multiplie, ces dernières semaines, les missions sur place.

Coups tordus

Ces élections ne sont certes pas « une fin en soi », comme le rappelle le président de la HCC, mais, pour beaucoup d’observateurs malgaches et étrangers, « elles doivent permettre à Madagascar de tourner enfin la page de la crise ouverte en 2009 », résume Alphonse Maka, le président du Conseil de la réconciliation malgache (CFM), en première ligne des négociations ouvertes depuis de longs mois entre les trois anciens présidents.

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Car c’est bien d’eux qu’il s’agit : Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina et Hery Rajaonarimampianina, qui les a rejoints dans la course après sa démission le 7 septembre. Les multiples coups d’éclat et coups tordus entre les trois hommes rythment la vie politique malgache depuis 2002 . Et la campagne en cours.

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Disposant de moyens financiers importants, ils sillonnent le pays et comptent sur la mémoire sélective de leurs compatriotes pour tenir une nouvelle fois le rôle d’homme providentiel d’un pays pourtant économiquement exsangue depuis vingt ans. Chacun annonce déjà une victoire que seules les malversations commises par d’autres pourraient leur retirer. Un discours jugé dangereux, car « il y aura forcément des déçus », insiste Alphonse Maka, qui, comme beaucoup, craint déjà une nouvelle crise postélectorale.

À l’ombre de ce « combat des chefs », les autres candidats ont du mal à exister. Dans un pays où l’argent fait les présidents – Hery Rajaonarimampianina aurait selon l’UE dépensé 43 millions d’euros pour se faire élire en 2013 –, ils disposent de peu de visibilité.

Un fort taux d’abstention attendu

À deux exceptions près : le chanteur Zafimahaleo Rasolofondraosolo, dit Dama, qui s’appuie sur sa notoriété, et le populiste André Christian Dieudonné Mailhol, appelé Pasteur, qui compte sur son million de fidèles pour créer la surprise. La liste de ce dernier a d’ailleurs été créditée de plus de 8 % d’intentions de vote par divers sondages sur internet. Un score qui interpelle, « d’autant que, avec un nombre aussi important de candidats, 10 % peuvent suffire pour atteindre le second tour », calcule un expert international.

Le fort taux d’abstention – les derniers chiffres tablent sur 47 % – pourrait aussi jouer en sa faveur, alors que même les bruits d’ingérence étrangère, n’arrivent pas à soulever les passions.

Soif de revanche

Au soir du 19 décembre, il n’en restera qu’un. Et il y a de fortes chances que ce soit l’un des trois ex-présidents en lice : Marc Ravalomanana, aux manettes de 2002 à 2009, Andry Rajoelina, qui lui a succédé à la tête de la transition de 2009 à 2014, ou Hery Rajaonarimam-pianina, élu fin 2013 et qui a démissionné pour pouvoir se représenter.

Voilà des années que les trois hommes rêvent d’en découdre, sur fond de trahisons. Interdits de se présenter en 2013, au nom d’un « ni-ni » qui n’a rien résolu encore aujourd’hui, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina vont enfin pouvoir régler un différend qui date de 2009. Le premier espère récupérer son empire industriel, confisqué depuis lors. Le second compte bien se refaire une virginité par les urnes et se débarrasser de l’étiquette de putschiste qui lui colle à la peau.

Pour Hery Rajaonarimampianina, l’enjeu consiste davantage à confirmer sa stature d’homme d’État pour montrer qu’il n’est pas arrivé à la présidence par hasard. Une victoire l’émanciperait aussi définitivement de la tutelle d’Andry Rajoelina, qui a rappelé, dans le livre qu’il vient de publier, ce que lui doit son successeur.

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