Côte d’Ivoire : Bédié prend le maquis
Entre l’ancien et l’actuel président, le divorce est consommé. Le premier refuse de rejoindre le parti unifié cher au second et s’affiche aux côtés des ténors de l’opposition. Peu importe si les résultats des élections locales ne lui sont pas favorables, le « Sphinx » est en colère. Jusqu’où ira-t-il ?
Il est un peu plus de 16 heures ce 15 octobre quand les premiers incidents éclatent à Grand-Bassam, à l’est d’Abidjan. Les résultats des élections municipales viennent d’être annoncés et donnent la victoire à Jean-Louis Moulot, le candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Les partisans de son principal adversaire (Georges Ezaley, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire – PDCI) réagissent immédiatement : par dizaines, ils prennent d’assaut les rues sablonneuses de la ville. La résidence d’un proche de Daniel Kablan Duncan, le vice-président – à qui il est reproché d’avoir soutenu la candidature RHDP –, est attaquée. La cour royale est même saccagée.
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Presque au même moment, à 274 km plus au nord, le PDCI est réuni en congrès extraordinaire. Dans son fief de Daoukro, érigé ces derniers temps en capitale de l’ancien parti unique, Henri Konan Bédié s’affiche aux côtés des principaux opposants du chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara (ADO), Pascal Affi N’Guessan du Front populaire ivoirien (FPI), Daniel Aka Ahizi, du Parti des travailleurs ivoiriens (PTI) ou Anaky Kobena, du Mouvement des forces d’avenir (MFA) se succèdent à la tribune… Le ton est dur.
Dans l’assistance, plusieurs autres formations de l’opposition, ainsi que des représentants du président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Qui aurait pu l’imaginer il y a encore quelques mois ? Pas grand monde, y compris au sein du PDCI, dont certains cadres s’avouent surpris devant la virulence des propos.
Attaques frontales
Ce congrès et les élections locales ont-ils marqué un tournant dans les relations entre les alliés d’hier ? Depuis que le PDCI a claqué la porte de la coalition présidentielle, la tension est allée crescendo. Aujourd’hui, il n’est plus seulement question de « divergences » ou « d’incompréhensions ». On s’attaque frontalement et l’on s’accuse de fraudes à visage découvert. « Notre parti est en pleine mutation, explique un quadragénaire du PDCI. Sous l’impulsion de la base, nous avons renoué avec notre culture combative. Bédié a compris que, s’il ne s’alignait pas, il risquait d’être déposé. »
Vexé dans son amour-propre, l’ancien président s’est radicalisé à mesure que s’accentuaient les pressions. Il en est arrivé à tenir Alassane Ouattara et son entourage pour responsables de l’immixtion de la justice dans les affaires du PDCI (ses décisions sont régulièrement contestées devant les tribunaux). « Ils sont allés trop loin, il n’y aura plus de cadeau », a-t-il récemment confié à un visiteur du soir.
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Ces derniers mois, Bédié a renouvelé son cercle. Il reçoit plus qu’avant, semble plus ouvert, plus disposé à écouter les conseils, notamment de personnalités depuis longtemps opposées au parti unifié, comme Charles Konan Banny, Émile Constant Bombet ou le général Gaston Ouassénan Koné. Au lendemain du congrès, l’ancien chef de l’État a réorganisé son secrétariat exécutif, composé désormais d’une équipe de fidèles dévolus à la préparation de la présidentielle de 2020. On y retrouve des proches du chef, des protégés de son épouse, Henriette, mais aussi l’ancien maire de la commune du Plateau, Noël Akossi Bendjo, et Maurice Kacou Guikahué, maintenu au poste de secrétaire exécutif du PDCI.
Dans sa forme actuelle, le parti unifié est une arnaque. Il s’est construit sur du faux et ne tiendra pas
Les résultats des locales, largement remportées par le RHDP, n’ont pas entamé la détermination de Bédié. Dans son entourage, on se félicite même des scores du PDCI, qui a obtenu six conseils régionaux et 50 mairies (le RHDP peut, lui, revendiquer 18 conseils régionaux et 92 mairies). « Mais ces scrutins ont montré que l’ancien parti unique avait encore du travail, notamment pour mobiliser ses partisans, et qu’il ne peut pas continuer à exclure tous ceux dont la loyauté n’est pas certaine. C’est un avertissement », analyse un diplomate ouest-africain.
Bien qu’il répète qu’on ne peut être à la fois PDCI et RHDP, Bédié ménage pour le moment le secrétaire général de la présidence, Patrick Achi, ou le ministre des Eaux et Forêts, Alain Richard Donwahi, tous deux vainqueurs aux régionales avec les deux étiquettes.
« Tout le monde reviendra à la maison, affirme un baron du PDCI. Dans sa forme actuelle, le parti unifié est une arnaque. Il s’est construit sur du faux et ne tiendra pas, surtout si son candidat en 2020 est Amadou Gon Coulibaly. Albert Mabri Toikeusse, le ministre de l’Enseignement supérieur, n’a-t-il pas toujours dit qu’il voulait se présenter ? Et croyez-vous que Hamed Bakayoko [le ministre de la Défense] ou Guillaume Soro mouilleront le maillot pour Gon ? »
Le bal des ambitieux
Entre le PDCI et le FPI, c’est un jeu de dupes
Fétichiste des alliances, le PDCI affirme vouloir mettre en place une plateforme pour contrebalancer sa sortie du parti unifié. Il peut déjà compter sur le soutien d’un certain nombre de personnalités de second plan qui n’ont d’autre choix que de lier leur avenir à celui-ci. En revanche, la tendance du FPI dirigée par Laurent Gbagbo a préféré ne pas assister au congrès du 15 octobre. Les proches de l’ancien président, qui entretiennent depuis de longs mois des contacts avec le PDCI, ont peu goûté la présence de Pascal Affi N’Guessan à Daoukro.
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Mais, depuis La Haye, Gbagbo – qui saura d’ici à la fin de l’année s’il peut quitter sa cellule de la Cour pénale internationale – temporise. Il a demandé à ses troupes de poursuivre les discussions, sans formaliser une quelconque alliance. Prudent lui aussi, Bédié s’est pour le moment bien gardé de prendre position publiquement. Sans doute est-il conscient que cette hypothèse divise certains de ses cadres et qu’une partie de la communauté internationale n’y est franchement pas favorable.
« Entre le PDCI et le FPI, c’est un jeu de dupes, estime un avocat proche de l’ex-président. D’un côté, Bédié n’a aucun intérêt à ce que le parti de Gbagbo revienne au premier plan. De l’autre, le FPI souhaite que le PDCI mène le combat face à Ouattara. Quitte à ce qu’il en sorte affaibli, ce qui pourrait profiter à Gbagbo. »
Le PDCI semble faire front pour sauvegarder son héritage. Mais sera-t-il uni au moment de choisir son candidat pour 2020 ? Le 15 octobre, le parti a annoncé qu’il tiendrait une convention en 2019, sans doute entre juillet et octobre. De Jean-Louis Billon à Jeannot Ahoussou Kouadio, en passant par Noël Akossi Bendjo, Charles Konan Banny et Charles Diby Koffi, les prétendants ne manquent pas, mais aucun ne fait l’unanimité. Entre ces ambitieux, les rivalités sont très fortes.
Et quid de Bédié ? Un certain nombre de cadres sont persuadés qu’il souhaite se présenter en dépit de son âge avancé (il aura 86 ans en 2020). C’est également ce qu’a confié Alassane Ouattara, fin juillet à Lomé, à ses pairs de la Cedeao. Mais, fidèle à lui-même, l’intéressé entretient le suspense. « Bédié est sans doute le seul à pouvoir nous mener jusqu’à la présidentielle, résume l’un de ses proches. Mais s’il décidait d’être candidat, il fragiliserait considérablement le parti. »
Ouattara-Bédié : préparer la guerre pour avoir la paix
Entre Alassane Dramane Ouattara (ADO) et Henri Konan Bédié, le contact direct est rompu depuis le 8 août. De nombreux émissaires ont pourtant tenté de les rapprocher.
Sur proposition du ministre du Tourisme, Siandou Fofana, et du secrétaire général à la présidence, Patrick Achi, le chef de l’État a dépêché son vice-président, Daniel Kablan Duncan, et l’ancien ministre Lambert Kouassi Konan le 23 septembre, à Daoukro.
Plusieurs autres personnalités ont ensuite tenté de convaincre l’ancien président d’assouplir sa position. C’est notamment le cas de l’archevêque Paul Siméon Ahouana ou de l’ancien ministre de Félix Houphouët-Boigny Camille Alliali, à la veille du congrès du 15 octobre. Mais aucun n’a pour le moment obtenu gain de cause.
Conforté par les résultats des élections locales du 13 octobre, ADO compte poursuivre ses actions visant à affaiblir Bédié en donnant du poids aux membres du PDCI favorables au parti unifié et en limogeant les autres.
Vers des concessions d’ADO ?
Le 17 octobre, Adam Kolia Traoré, le gendre de Bédié tout juste élu président du conseil régional de l’Iffou, et Narcisse N’Dri, porte-parole du PDCI, ont été écartés de leurs postes respectifs de président du conseil d’administration de la Loterie nationale de Côte d’Ivoire (Lonaci) et de la Caisse nationale d’assurance maladie. Le premier a été remplacé par Lenissongui Coulibaly, l’ex-directeur de cabinet de Bédié, récemment limogé par ce dernier. Et le second par Kramo Kouassi, un ancien proche d’Amara Essy.
Dans le même temps, ADO continue d’espérer que Bédié puisse être ramené à de meilleurs sentiments. Certains de leurs proches estiment qu’il est encore possible que les deux hommes acceptent de faire des concessions dans l’optique de relancer leur alliance. Plusieurs sources affirment notamment que le chef de l’État n’exclut pas de reporter la création effective du parti unifié, dont le congrès fondateur est prévu avant la fin de l’année, pour revenir à l’esprit du groupement politique.
Jérôme N’Guessan, le trublion
Après avoir contesté devant les tribunaux les décisions prises lors des deux dernières réunions du bureau politique du PDCI, Jérôme N’Guessan a décidé de saisir l’inspection du parti pour tenter de faire annuler le congrès du 15 octobre. Exclu dudit bureau, cet administrateur civil est peu connu au sein de la formation, même s’il a gravité autour de plusieurs de ses cadres.
« Lorsque Charles Konan Banny était président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), N’Guessan était assis tous les soirs à sa table », raconte un membre du parti.
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