Législatives au Gabon : opposition, année zéro

Grands perdants des législatives, les adversaires d’Ali Bongo Ondimba vont devoir tout reconstruire en vue de la présidentielle de 2023. Vaste programme !

Au premier tour, le taux d’abstention a atteint 41,37 %. Ici à Libreville, le 6 octobre. © JOËL TATOU/AFP

Au premier tour, le taux d’abstention a atteint 41,37 %. Ici à Libreville, le 6 octobre. © JOËL TATOU/AFP

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 22 octobre 2018 Lecture : 7 minutes.

Le hall d’entrée est désert. Le silence, pesant. Au quartier général du Rassemblement Héritage et Modernité (RHM), dans cet immeuble situé à quelques mètres du siège du Pari mutuel urbain gabonais (PMUG), on se rend à l’évidence : les jeux sont faits.

Les ténors de l’opposition souhaitaient prendre leur revanche sur la présidentielle de 2016 avec les législatives des 6 et 27 octobre. Ils rêvaient de mettre Ali Bongo Ondimba en minorité et parlaient de cohabitation. Mais, en ce 11 octobre, alors que les premiers résultats parviennent aux équipes de campagne, ils le savent : les électeurs ne les ont pas suivis.

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Les principales formations de l’opposition que sont le RHM, Les Démocrates (LD) et l’Union nationale (UN) n’ont remporté que quatre sièges de député au premier tour. Pis, elles ne se sont qualifiées pour le second tour que dans 27 circonscriptions sur 143 et y sont, dans la grande majorité des cas, en position incertaine, voire défavorable.

Quant à leurs leaders, ils ont mordu la poussière. Guy Nzouba Ndama, patron des Démocrates et ancien président de l’Assemblée nationale, a été battu par Jean Massima (Parti démocratique gabonais, au pouvoir) à Koulamoutou (province de l’Ogooué-Lolo). Même chose pour Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, en qui beaucoup voyaient une figure montante de l’opposition : l’ancien porte-parole de Jean Ping se classe troisième à Akanda (Estuaire).

Message brouillé

Au premier étage du QG du RHM, Alexandre Barro-Chambrier fait lui aussi les comptes. Il est qualifié pour le second tour, mais son visage est loin de refléter la satisfaction. Avec 40,19 % des suffrages recueillis le 6 octobre, la victoire ne lui est pas acquise – loin de là. Certes, les cadres de l’opposition viendront le soutenir dans l’entre-deux-tours, mais les réserves de voix risquent de manquer face à un adversaire du PDG, Séverin Pierre Ndong Ekomi (38,78 %), qui pourrait s’appuyer sur les 15,13 % de la candidate du Centre des libéraux réformateurs (CLR), Patricia Carlie Taye.

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« Barro » a-t-il perdu le contrôle du quatrième arrondissement, qu’il considère comme son fief ? « Le PDG a mis les moyens pour s’offrir une Assemblée qui servira de chambre d’enregistrement des décisions du gouvernement », accuse plutôt le fondateur du RHM, dénonçant des fraudes allant de l’« achat d’électeurs » à la « falsification de procès-verbaux ». « C’est l’argent qui a fait la différence, rien d’autre, déplore-t-il. L’abstention [41,37 %] a gagné. Mais ce constat ne doit pas nous exonérer d’analyser nos faiblesses. »

En 2016, nous avions réussi à mobiliser, mais cela n’a pas suffi

« Nous avons passé trop de temps à essayer d’obtenir le soutien de Jean Ping, qui a finalement privilégié le boycott », confie un cadre de l’opposition. « On avait l’idée d’imposer les législatives comme une deuxième manche de la présidentielle, mais notre candidat de 2016 ne nous a pas soutenus. Personne n’a compris sa stratégie, et cela a brouillé le message », ajoute un autre détracteur de Ping.

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« En 2016, nous avions réussi à mobiliser, mais cela n’a pas suffi », explique Chantal Myboto, affirmant ne pas regretter d’avoir milité pour la participation de l’opposition aux élections.

« Nos partisans n’y croient plus, ils ont intégré l’idée que leur bulletin de vote était inutile face au pouvoir », ajoute encore la trésorière adjointe de l’UN, tête de liste aux locales dans le premier arrondissement de Libreville, après avoir vu sa candidature pour les législatives invalidée – abusivement, selon elle.

Surtout, l’unité qui avait prévalu en 2016 n’a pas résisté aux deux années de report des scrutins. Si des accords ont permis des candidatures communes dans certaines circonscriptions, l’entente n’a pas été parfaite. À Mouila, Jean Norbert Diramba (LD, 25,83 %) et Serge Maurice Mabiala (RHM, 23,62 %) ont joué un jeu dangereux en se partageant les voix au premier tour, laissant la tête à Léon Nzouba (PDG, 31,87 %). Même chose dans le deuxième arrondissement de Tchibanga, où LD (24,38 %) et RHM (16,16 %) se sont divisés, laissant le PDG Pierre Nzaou-Nziengui en pole position avec 27,6 %.

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Rancœurs tenaces

Dernier exemple : pour le troisième siège du département du Lolo-Bouénguidi, RHM, LD et UN présentaient chacun un candidat. Dans cette circonscription, les trois partis rassemblent 55 % des suffrages, et l’idée d’une victoire manquée au premier tour peine à s’estomper dans les esprits… Sauront-ils trouver, le 27 octobre, l’unité qu’ils ont en vain cherchée le 6 ?

Il faut que nous lancions la reconstruction en pensant à la présidentielle de 2023

Les rancœurs pourraient s’avérer tenaces, notamment entre le tandem UN-RHM et LD, les premiers reprochant au second d’avoir souhaité faire cavalier seul au premier tour. S’il n’est jamais prudent de verser dans la divination électorale, difficile d’imaginer le trio totaliser plus de dix députés dans la future chambre.

Alors qu’il observe les résultats compilés par un de ses collaborateurs, lui-même battu dans les urnes dès le 6 octobre, Alexandre Barro-Chambrier ne le cache pas : au mieux, l’opposition assurera une présence « marginale » à l’Assemblée. Est-ce un mal pour un bien ?

« Cela tourne la page de 2016 », confie un cadre de l’opposition. « Il faut que nous lancions la reconstruction en pensant à la présidentielle de 2023 », explique Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, pensant avant tout à l’UN.

Avec seulement cinq représentants au second tour, celle-ci sera-t-elle la première à faire sa mue ? L’ancienne formation d’André Mba Obame a, dans sa ligne de mire, son congrès national, en 2020, lors duquel Zacharie Myboto devra, conformément aux statuts du parti, abandonner la présidence.

Désistement en faveur de Jean Ping

Le patriarche, qui n’était pas candidat aux législatives, a commencé à se mettre en retrait (tout comme son vice-président, Casimir Oye Mba), et certains espèrent accélérer le calendrier en convoquant un congrès dès 2019. Qui pour lui succéder ? Sa fille, Chantal, n’a pas dévoilé ses ambitions mais entend jouer un rôle, tout comme le compagnon de celle-ci, Paul-Marie Gondjout.

Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, affaibli par sa défaite, ne semble pas intéressé par le poste mais conserve une influence dans le parti, tandis que Paulette Missambo, ex-ministre de la Santé issue du PDG, ferait partie des prétendants. Enfin, il faudra compter avec Maxime Minault Zima Ebeyard, secrétaire exécutif de l’UN, bien placé pour conquérir un siège de député – le seul pour son parti ? – à Okano (Woleu-Ntem).

Du côté des Démocrates, Guy Nzouba Ndama se sait lui aussi dans une posture délicate. Si sa formation s’en est mieux sortie que les autres, il a lui-même payé sa volonté de se faire élire dans une circonscription qui n’était pas la sienne, face à Jean Massima.

Éliminé dès le premier tour, peut-il garder la main sur ses troupes et se placer en position de chef depuis l’extérieur de l’Assemblée nationale ? En a-t-il encore l’envie ? Certains quadragénaires (et quinquagénaires) de l’opposition ne cachent guère, en privé, leur envie de voir l’ex-­président de l’Assemblée se mettre en retrait, et lui-même semble moins goûter les joutes politiques depuis son désistement, un brin contraint, en faveur de Jean Ping pour la présidentielle de 2016.

New-look

« Si Barro-Chambrier est élu, c’est lui qui aura l’avantage et pourra se positionner comme chef de l’opposition car, contrairement à Guy Nzouba Ndama, il a joué le jeu de l’unité dès le premier tour. Mais s’il ne l’est pas, la place est à prendre », estime un politologue gabonais. Faut-il, dès lors, se passer des actuels leaders de parti ? Certains militent, pour le moment discrètement, pour trouver la perle rare : une personnalité qui ne vienne pas du système PDG et soit capable d’incarner l’opposition dans l’optique de la prochaine présidentielle. « Il faut que l’on cesse de nous associer au pouvoir. Les électeurs voient des ministres devenir opposants, puis des opposants devenir ministres. Comment peuvent-ils croire que ceux-là se battent contre le système ? », confie l’un de ces idéalistes.

Jean Ping (75 ans), Guy Nzouba Ndama (72 ans) et Alexandre Barro-Chambrier (60 ans) doivent-ils être mis hors jeu ? Et si oui, qui prendra leur place ? La liste des candidats potentiels n’est pour le moment pas très longue. « C’est la question à 1 million de francs ! », s’amuse Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi, 50 ans. « Il faut aussi être réaliste : beaucoup de choses peuvent se passer d’ici à 2023, mais je ne crois pas qu’on puisse se passer des ex-PDGistes, tempère Chantal Myboto. Qui a l’expérience et les moyens financiers de mener le combat, si ce n’est eux ? » L’opposition new-look n’est pas encore sur les rails.

La faute à Ping ?

L'opposant gabonais Jean Ping. © Vincent Fournier/JA

L'opposant gabonais Jean Ping. © Vincent Fournier/JA

Jean Ping s’appuie sur ses quelques partisans et croit toujours à « la victoire finale »

Jean Ping aurait-il précipité la défaite de l’opposition ? « En 2016, notre union avait mobilisé les électeurs. Pourquoi ne pas avoir continué ? » s’interroge Chantal Myboto.

Coupé des partis l’ayant soutenu en 2016, Ping s’appuie sur ses quelques partisans, comme Jean Eyeghé Ndong et Jean-François Ntoutoume Emane, et croit toujours, depuis sa résidence de Libreville, où il passe le plus clair de son temps, à « la victoire finale ». Mais pour combien de temps ?

Stratégie payante

Le président, Ali Bongo Ondimba, lors du premier tour, à Libreville. © JOEL TATOU/AFP

Le président, Ali Bongo Ondimba, lors du premier tour, à Libreville. © JOEL TATOU/AFP

Ces deux années ont isolé Jean Ping (…). Pendant ce temps, “Ali” faisait passer l’idée qu’il rajeunissait son parti

Ali Bongo Ondimba a choisi la discrétion. Pour les législatives, le chef de l’État n’a pas cherché à se poser en chef de la majorité. Pas question de donner à l’opposition l’occasion de transformer ce scrutin en vote sanction.

Il a fait le choix du retrait et de la patience. « Nous avons reporté les législatives pour saper la dynamique de l’opposition », glisse un ministre.

Résultat : depuis 2016, les divisions sont réapparues chez les opposants, dont certains ont intégré le gouvernement, comme Michel Menga M’Essone et Jean de Dieu Moukagni Iwangou, tous deux battus au premier tour des législatives.

« Ces deux années ont isolé Jean Ping et enfermé l’opposition dans une stratégie conçue pour 2016. Pendant ce temps, “Ali” faisait passer l’idée qu’il rajeunissait son parti », analyse un proche du palais. « La stratégie a payé », ajoute notre ministre.

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