Crise de gouvernance à BGFI
Secoué ces dernières années par une série de scandales, le groupe bancaire gabonais BGFI a décidé de renforcer son dispositif de surveillance.
BGFIBank est contraint de montrer patte blanche. En juillet 2018, le groupe gabonais renforçait son dispositif de contrôle et de surveillance en nommant de nouveaux responsables. Ces désignations intervenaient quelques mois après un autre événement passé inaperçu : en avril, BGFI a publié – une première – son rapport de contrôle interne pour 2017. Ce document nous apprend notamment que « l’exposition du Groupe BGFIBank aux risques est globalement restée “majeure” sur 2017, malgré les améliorations relevées sur l’ensemble des filières ».
Par ces différentes mesures, le groupe dirigé par Henri-Claude Oyima tente de redorer une image ternie ces dernières années par des affaires à répétition dans plusieurs de ses onze filiales : Gabon, Congo, RDC, Guinée équatoriale, São Tomé-et-Príncipe, Cameroun, Côte d’Ivoire, Bénin, Sénégal, Madagascar et Europe.
La dernière, passée quasiment sous silence, date de quelques semaines. Elle porte sur des soupçons de détournements d’actifs au sein de la filiale camerounaise. « Des achats de terrains et de véhicules pour le personnel qui sont en fait octroyés à des personnes extérieures », résume une source interne. Cette affaire, gérée avec discrétion, s’est soldée par la mise à l’écart d’une partie du comité directeur.
2013, annus horribilis
Les problèmes du groupe sont toutefois plus anciens. 2013 fut en effet une annus horribilis. La maison mère (qui n’a pas donné suite à nos sollicitations) a été obligée de recapitaliser sa filiale béninoise à hauteur de 15 milliards de F CFA (23 millions d’euros) à la suite de choix quelque peu hasardeux un an auparavant, sur fond de soupçons de malversations. Conséquence : vingt cadres, dont le directeur général, Benoît Zannou, ont été mis à la porte.
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Dans la foulée, Brice Laccruche Alihanga, le patron de la succursale gabonaise, la plus importante du groupe, et le directeur de l’audit ont également été remerciés. « Nous avons tiré les conséquences des diagnostics que nous avons menés au Bénin et au Gabon. Il y avait un dérapage au niveau des risques de crédit de la part des équipes dirigeantes locales », assurait Henri-Claude Oyima en juin 2014 dans les colonnes de Jeune Afrique.
Or, quatre années plus tard, la menace n’a pas été totalement éliminée. « L’évaluation du profil de risque du groupe met en exergue une forte exposition aux risques de crédit, mais aussi opérationnels et informatiques avec l’émergence de produits digitaux », note le rapport de contrôle interne.
Défaut d’institutionnalisation
Il est vrai que le PDG du groupe a été confronté l’année dernière au scandale le plus retentissant, celui des cartes prépayées Visa, après une alerte donnée par la multinationale. Au cœur de la fraude, des employés de la filiale gabonaise qui ont crédité des comptes adossés à ces cartes sans qu’il y ait eu au préalable de versements. Le préjudice s’élève à près de 2 milliards de F CFA. Cette affaire a finalement abouti à l’incarcération de plusieurs dirigeants, dont Edgard Théophile Anon, l’ex-patron ivoirien de la filiale à Libreville.
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« De telles déconvenues dénotent du défaut d’institutionnalisation qui a longtemps caractérisé cette entreprise. Sa croissance rapide n’a pas été suffisamment absorbée et ne s’est pas toujours accompagnée d’une élévation des standards », critique un banquier installé en Afrique de l’Ouest. « En passant outre les exigences de Visa en matière de sécurité pour adopter les siennes propres, BGFI Gabon a ouvert un boulevard à la fraude avec des complicités en son sein », résume un analyste.
Des filiales trop autonomes
BGFI, en proie à une crise de croissance ou à une crise de gouvernance ? Les deux, en fait. En se mettant en retrait pour piloter la seconde phase d’expansion du groupe entamée au début de la décennie, Henri-Claude Oyima a bien malgré lui accordé une certaine autonomie à des filiales qui n’ont pas toujours bénéficié de l’encadrement requis.
Le choix d’injecter de manière inconsidérée 17 milliards de F CFA dans la filière cotonnière béninoise, sensible politiquement, était le fait du management de la filiale locale. Une analyse que ne partage pas notre banquier ouest-africain. « BGFI souffre encore d’une tare ayant affecté d’autres acteurs panafricains à un moment ou à un autre de leur développement. Le groupe dépend encore d’une personne qui décide de tout depuis Libreville. Il est encore person driving au lieu d’être process driving. Un saut pourtant indispensable s’il souhaite se développer », souligne-t-il.
Un autre élément de fragilité réside dans sa politique agressive de crédit qui le pousse parfois à être moins regardant sur les emprunteurs. « Il est étonnant de constater qu’un important importateur, dont la réputation à faire défaut est largement connue dans le milieu et qui voit les portes des autres établissements se refermer à son approche, continue de trouver grâce auprès de la filiale locale de BGFI », observe, sceptique, un banquier camerounais.
Des piliers du pouvoir dans les conseils d’administration
Certes, les filiales sont dans l’ensemble rentables, et BGFI jouit d’une bonne santé. En baisse de plus de 25 % sur un an, le bénéfice s’établit à 29 milliards de F CFA, tandis que le total de bilan remonte de 1,6 %, à 2 982 milliards de FCFA. Mais un problème de liquidité peut parfois se poser lorsque l’établissement affiche plus de crédits que de dépôts. Alors que le ratio d’intermédiation généralement admis tourne autour de 75 %, il a dépassé les 100 % dans les filiales camerounaise, congolaise, ivoirienne et sénégalaise pour l’année 2017.
Pour assurer son expansion à marche forcée, le premier groupe bancaire a par ailleurs cédé à la tentation de se rapprocher de personnalités politiques. Cette pratique est courante en Afrique centrale. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que plusieurs piliers des pouvoirs en place sont présents dans les conseils d’administration des filiales gabonaise, congolaise et équato-guinéenne. « Le risque de voir se développer des engagements au-delà du raisonnable est très élevé. Ce type de prêt aux politiques se solde généralement par une forte hausse des créances douteuses », prévient le banquier camerounais.
Renouvellement des équipes
Le cas de Francis Selemani Mtwale est symptomatique des effets pervers qu’engendre la collusion entre banquiers et personnalités politiques. À présent directeur de développement du holding bancaire, ce proche du président Joseph Kabila a dirigé BGFI RDC pendant neuf ans, période au cours de laquelle le groupe a été impliqué dans plusieurs affaires.
C’est le cas entre autres des accusations de détournements de fonds par l’intermédiaire de cette filiale visant l’entourage du chef de l’État, comme l’a révélé, en novembre 2016, le quotidien belge Le Soir dans le cadre des « Lumumba Papers ». Même si on ne le reconnaît pas à Libreville, les changements intervenus en interne traduisent une volonté de tourner la page. Outre le départ de Francis Selemani Mtwale, Gloria Mteyu, qui fait également partie de l’entourage présidentiel congolais, a cédé ses parts, tandis que le tour de table accueillait de nouveaux investisseurs locaux.
Ce renouvellement des hommes dans les succursales et au sein du holding s’est accompagné d’une réorganisation de la gouvernance. Un pôle gestion globale des risques a été instauré et est supervisé par Huguette Oyini, la numéro deux du groupe. Six filières (audit interne, gestion des risques, contrôle permanent, conformité, révision comptable et sécurité des systèmes d’information) encadrent désormais le contrôle. Un arsenal qui sera progressivement renforcé, tant au niveau du budget que des ressources humaines. En musclant peu à peu le dispositif de contrôle interne de son groupe, Henri-Claude Oyima, 61 ans, s’attaque probablement à l’un de ses derniers chantiers avant de céder son fauteuil. Même si le sujet, de temps en temps évoqué, demeure dans les limbes quant à son échéance.
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