Bénin – Affaire Ajavon : le procureur spécial à la Criet n’a « pas d’états d’âme »

Le procureur spécial à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), Gilbert Ulrich Togbonon, répond aux questions de Jeune Afrique à propos de la condamnation de l’homme d’affaires à 20 ans de prison.

Gilbert Ulrich Togbonon, procureur spécial à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet). En octobre 2018, à Porto-Novo (Bénin) © EC_AHOUNOU/AID pour JA

Gilbert Ulrich Togbonon, procureur spécial à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet). En octobre 2018, à Porto-Novo (Bénin) © EC_AHOUNOU/AID pour JA

Fiacre Vidjingninou

Publié le 30 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

Critiquée après la condamnation de l’opposant Sébastien Ajavon pour trafic de drogue, la Criet met les points sur les « i ». Avec fermeté.

Jeune Afrique : La condamnation à 20 ans de prison de Sébastien Ajavon a suscité de nombreuses réactions. Certains ont dénoncé la partialité d’une cour qui avait permis la mise à l’écart de l’un des principaux opposants au président Talon, et dit que les juges béninois étaient aux ordres. Que répondez-vous ?

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Gilbert Ulrich Togbonon : Que je ne suis pas juge mais membre du ministère public, et que mes attributions sont définies par le Code de procédure pénale. Tous ceux qui proféreront des insultes à mon endroit doivent savoir que je me réserve la possibilité, aujourd’hui ou demain, de leur demander des comptes devant les juridictions compétentes.

La Criet est compétente pour juger toutes les affaires liées au trafic de drogue

Mais si beaucoup parlent d’instrumentalisation de la justice, c’est parce qu’en 2016 Sébastien Ajavon, qui était déjà accusé de trafic de drogue, avait été relaxé pour « insuffisance de preuves » et « au bénéfice du doute »…

Cette décision avait été rendue le 4 novembre 2016. Mais le procureur général avait fait appel le 26 décembre, soit moins de deux mois après que le jugement avait été prononcé, ainsi que le prévoit l’article 518 du code de procédure pénale. La relaxe n’était donc pas définitive, et il se trouve que la Criet est compétente pour juger toutes les affaires liées au trafic de drogue.

Comprenez-vous que certains puissent faire le parallèle entre les mésaventures judiciaires qu’a connues Patrice Talon du temps où Thomas Boni Yayi était au pouvoir, et celles que connaît maintenant Sébastien Ajavon ?

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Je ne me suis pas intéressé à la vie de l’un ou de l’autre. La Cour d’appel de Cotonou m’a transmis un dossier. Je l’ai étudié et j’ai prononcé mes réquisitions. C’est tout.

N’est-il pas dommage que les avocats de la défense, qui sont français, n’aient pas été autorisés à plaider ?

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Il ne serait pas inutile de leur rappeler que les droits français et béninois ne sont pas les mêmes. Je leur recommande la lecture combinée et croisée des articles 423, 431 et 438 de notre Code de procédure pénale.

>>> À LIRE – Bénin : accusé de trafic de drogue, Sébastien Ajavon engage un bras de fer avec la justice

Parmi les reproches formulés à la cour, il y a aussi le fait qu’elle juge en premier et dernier ressort et qu’elle ne donne pas la possibilité de faire appel…

Ce n’est pas une première au Bénin. Jusqu’à très récemment, la cour d’assises jugeait en premier et dernier ressort, par exemple. Et je n’ai jamais entendu ceux qui protestent aujourd’hui remettre en question sa légitimité pour cette raison-là.

L’objectif secret des détracteurs de la Criet est d’obtenir sa suppression

En outre, un pourvoi en cassation a été formulé contre la décision rendue le 18 octobre. C’est bien la preuve qu’il y a, malgré tout, une possibilité de faire entendre sa cause une seconde fois. L’objectif secret des détracteurs de la Criet est d’obtenir sa suppression. Mais, dans un pays démocratique, il revient au Parlement de décider s’il veut modifier ou abroger la loi qui a porté sa création.

Quel bilan peut-on dresser de l’action de la Criet depuis sa mise en place ?

C’est une juridiction spéciale dont le rôle est de réprimer les crimes de terrorisme, les délits et les crimes à caractère économique, ainsi que le trafic de stupéfiants et les infractions connexes. Le 3 novembre, elle aura deux mois d’existence. Elle a déjà reçu deux cents dossiers environ, et nous avons déjà rendu une trentaine de décisions en matière de trafic de drogue et d’infractions économiques.

En quoi la création d’une telle juridiction d’exception était-elle pertinente ?

La question, c’est qu’est-ce qu’une juridiction d’exception ? Il n’y a rien d’effrayant derrière cette expression. Une juridiction d’exception est en charge d’un type particulier de litiges, ou elle est réservée à une catégorie de personnes. Au Bénin, la Haute Cour de justice en est une, puisqu’elle ne peut juger que le président de la République et les ministres. Ce type de juridiction désigne tous les tribunaux dont la loi spécifie à l’avance les compétences.

Les gens se trompent de combat en faisant la guerre aux magistrats de cette Cour

Même en France, d’où certains sont venus nous donner des leçons, il en existe une panoplie : les prud’hommes, la Cour des comptes, le tribunal pour enfants, le tribunal de commerce… On parle de la juridiction d’exception comme d’un monstre ou d’un tribunal créé clandestinement par quelques magistrats. Ça n’a pas de sens. Les gens se trompent de combat en faisant la guerre aux magistrats de cette cour.

Toutes les affaires liées au trafic de drogue pendantes devant les tribunaux sont transférées à la Criet. Pourquoi un tel intérêt ?

Le trafic de drogue a pris ces dernières années des proportions alarmantes, au point d’écorner l’image du Bénin à l’étranger. Il s’agit d’un phénomène international qui impose aux États de coopérer pour y mettre fin. Si le Bénin ne s’engageait pas dans cette lutte, c’est qu’il aurait renoncé à ses engagements internationaux. Toutefois, et contrairement à ce que les gens disent, la cour ne fait pas de fixation sur les dossiers liés à la drogue.

Je ne regarde ni la couleur ni les convictions de quelqu’un pour le poursuivre

Elle a déjà rendu des décisions dans plusieurs dossiers à caractère économique. C’est notre quotidien. Je ne regarde ni la couleur ni les convictions de quelqu’un pour le poursuivre. Ce n’est pas mon job. Si quelqu’un est sous le coup de la loi pour des raisons relevant des compétences de la Criet, il devra répondre devant elle. Je ne fais que mon travail. Je n’ai pas d’états d’âme.

On annonce que d’anciens ministres et des députés seront bientôt déférés devant vous. La Criet est-elle compétente pour juger ces personnalités ?

Les ministres ne sont pas justiciables devant la Criet pour les faits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions – dans ce cas précis, c’est la Haute Cour de justice qui est compétente. Même chose pour les députés, à condition que l’Assemblée nationale lève leur immunité.

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