Mali : vieux crocodiles et jeunes loups, le choc des générations
Au sein de la majorité comme de l’opposition, la génération montante ronge son frein en attendant de prendre enfin le relais d’une élite qui gouverne le pays depuis vingt-cinq ans.
L’air solennel dans son boubou immaculé, il l’avait martelé lors de sa prestation de serment le 4 septembre, à Bamako : « Je veux faire de la jeunesse la grande cause de ce nouveau mandat et je veux être jugé sur cela. » Devant le parterre d’invités, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) s’était plu à incarner l’une de ses figures favorites, celle du père de la nation qui protège ses « enfants ».
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Quelques semaines plus tard, son entourage assure qu’il ne s’agissait pas que d’une déclaration d’intention, mais d’une véritable ambition pour son second quinquennat. Avant de quitter le palais de Koulouba, IBK souhaite faire émerger de jeunes talents capables de prendre la relève. « Il le répète régulièrement en privé : il faut miser sur la jeunesse et la préparer à gérer demain le pays », glisse l’un de ses collaborateurs. Le choix de Kamissa Camara, 35 ans, jusque-là inconnue du grand public et propulsée le 9 septembre à la tête du stratégique ministère des Affaires étrangères, illustre cette volonté présidentielle.
C’est vers une véritable transition générationnelle que s’oriente le Mali
Plus qu’un simple rajeunissement de quelques ministres, c’est vers une véritable transition générationnelle que s’oriente le Mali. Car derrière IBK, 73 ans, c’est toute une génération qui va progressivement être appelée à raccrocher les gants. Celle qui a marché contre le régime dictatorial de Moussa Traoré en 1991 et qui a érigé les bases de la démocratie malienne. Celle qui a fait les grandes heures de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) dans les années 1990 et 2000. Celle qui finalement dirige le pays depuis plus d’un quart de siècle.
IBK donc, mais aussi son Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga (64 ans), son principal rival, Soumaïla Cissé (68 ans) ou encore les opposants Tiébilé Dramé (63 ans) et Modibo Sidibé (65 ans)… « Pour beaucoup, IBK, Soumaïla ou Boubèye, c’est la même chose : des hommes politiques aux affaires depuis 1991. Il y a une vraie lassitude vis-à-vis de cette élite et du système qu’elle a bâti », explique Moumouni Soumano, politologue et directeur exécutif du Centre malien pour le dialogue interpartis et la démocratie (CMDID).
Si le consensus est général autour des acquis démocratiques arrachés par cette génération, les griefs à leur égard sont aussi nombreux. Affaiblissement de l’autorité de l’État, corruption, toute-puissance de l’argent… « Tout se décide en fonction de ce que vous avez ou non dans votre portefeuille, affirme Moussa Mara, 43 ans, le plus jeune Premier ministre (2014-2015) lors du premier mandat d’IBK. Les Maliens sont fatigués de ce mode de fonctionnement et veulent du changement, c’est indéniable. »
Un sentiment de défiance à l’égard des institutions et de l’élite politique bamakoise s’est affirmé, en particulier chez les jeunes
Au fil des ans, s’est affirmé un sentiment de défiance à l’égard des institutions et de l’élite politique bamakoise, en particulier chez les jeunes. Pour nombre d’observateurs, la forte abstention aux premier et second tours de la dernière présidentielle (respectivement 57,3 % et 65,5 %) en a une nouvelle fois été l’expression. « Plus de 5 millions de Maliens ne sont pas allés voter. Cela montre qu’ils ne croient plus aux promesses de leurs dirigeants », analyse Aliou Boubacar Diallo, 58 ans, arrivé troisième à la dernière présidentielle, derrière IBK et Soumaïla Cissé.
Comme d’autres candidats, Aliou Boubacar Diallo fait partie de la nouvelle génération qui a émergé ces dernières années. Quadras ou quinquas, ils se sont lancés en politique au XXIe siècle et ont pour noms Moussa Mara, Housseini Amion Guindo (48 ans) ou encore Mamadou Igor Diarra (51 ans). Qu’ils rongent leur frein dans les coulisses du pouvoir ou surfent sur le ras-le-bol populaire à l’égard d’un système à bout de souffle, ils rêvent d’incarner le renouvellement de la classe politique et – plus ou moins ouvertement – de pousser leurs aînés vers la sortie. « Le deuxième mandat d’IBK marquera la fin de cette génération d’après 1991 dont les représentants partagent tous le même ADN politique. Toute chose a une fin. Ils vont devoir passer la main », poursuit Diallo, patron de la société minière Wassoul’Or et président du parti Alliance démocratique pour la paix (ADP-Maliba).
Révolution mentale
Tous prétendent incarner le changement espéré par leurs compatriotes et être le visage du « nouveau » Mali. « Il ne s’agit pas de tomber dans le jeunisme ou le renouvellement à tout prix, tempère Moussa Mara. Certains jeunes sont aussi corrompus que les vieux. Il ne faut pas juste changer les hommes, il faut amorcer une révolution mentale pour rompre avec les anciennes pratiques et instaurer de nouvelles méthodes de gestion. » Lui et les autres en appellent également à une vaste réforme des institutions et à une refonte du système électoral. Il leur faudra aussi régler le problème récurrent de l’inscription des jeunes majeurs sur les listes électorales s’ils souhaitent gonfler leur nombre de voix.
« Cette nouvelle génération est marquée par la volonté de moderniser l’appareil d’État et de le rendre plus efficace à tous les niveaux », assure un quadra proche d’IBK. À Bamako, certains pensent que le renouvellement ne doit pas concerner uniquement quelques dirigeants mais s’appliquer à l’ensemble d’une administration vieillissante. « Les pouvoirs publics n’ont pas suivi les mutations de notre société depuis 1991. Il faut que l’État soit au service des Maliens et qu’il réponde à leurs attentes », expliquait le politologue Naffet Keïta, mort dans un accident de la circulation le 22 octobre.
Face à la montée en puissance de ces jeunes ambitieux, les représentants de la génération d’après 1991 se laisseront-ils aisément mettre sur la touche ? Rien n’est sûr. Soumaïla Cissé, rival malheureux d’IBK aux deux dernières présidentielles, s’offusque d’ailleurs qu’une telle question puisse être posée. « Ce débat est biaisé et n’a pas lieu d’être, estime-t-il. Tout dépend de la qualité des hommes ou des femmes, pas de leur âge. Sans compter qu’on peut être de la même génération en ayant chacun ses particularités. Moi par exemple, je ne partage rien avec IBK. » Il croit dur comme fer en ses chances d’entrer à Koulouba en 2023 et ne considère pas ses cadets comme de sérieux concurrents.
Un nouveau poids politique
De fait, les dernières élections ont montré que les plus jeunes ne pesaient pas bien lourd face aux ténors. En 2013 comme en 2018, les deux premiers candidats, loin devant tous les autres, étaient aussi les plus âgés : IBK et Cissé. Tous deux ont patiemment tissé leurs réseaux après avoir quitté l’Adema-PASJ, au début des années 2000. Aujourd’hui, leurs partis, le Rassemblement pour le Mali (RPM) et l’Union pour la République et la démocratie (URD), sont les mieux implantés à travers le pays.
Le Mali reste profondément attaché à ses aînés, en particulier dans ses campagnes
À côté, l’ADP-Maliba d’Aliou Boubacar Diallo et Yelema de Moussa Mara font encore figure de poids plume. Surtout, le Mali reste profondément attaché à ses aînés, en particulier dans ses campagnes. La soif de changement générationnel est un phénomène très urbain, porté par la notoriété de quelques-uns (au premier rang desquels Mohamed Youssouf Bathily, dit Ras Bath). Celui-ci est très prégnant au sein de la jeunesse bamakoise, mais sans doute moins ailleurs.
Est-ce pour cela qu’un homme tel que Soumeylou Boubèye Maïga apparaît, en dépit de son âge et de sa longue carrière dans l’administration, comme un sérieux prétendant à Koulouba dans cinq ans ? Lui aussi a appartenu à l’Adema-PASJ et demeure une figure de la génération d’après 1991. Maintenu à son poste de Premier ministre en ce début de deuxième mandat, il a largement contribué à la réélection d’IBK en août. Pour beaucoup, en particulier dans les chancelleries occidentales, il est le véritable homme fort du régime.
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L’intéressé, lui, ne cache pas ses ambitions. S’il reste à la tête du gouvernement, s’il parvient à renforcer son parti (l’Alliance pour la solidarité au Mali, Asma-CFP), et si le président sortant l’adoube comme son successeur, il disposera de nombreux atouts dans sa manche. « Soumaïla Cissé comme Soumeylou Boubèye Maïga sont des ambitieux, convaincus qu’ils ont un destin présidentiel. Ils ne le crient pas sur tous les toits, mais ils se préparent activement pour 2023 », glisse un responsable politique qui les connaît bien. Dans la course pour la succession à IBK, le combat entre les vieux crocodiles et les jeunes loups ne fait que commencer.
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