Shell, retour pleins gaz en Afrique

Après avoir délaissé le continent, où elle est surtout présente au Nigeria, la major anglo-néerlandaise s’active en Afrique de l’Est et s’apprête à revenir en Angola.

Un employé de Shell, au large du Nigeria, en décembre 2011 (photo d’illustration). © Sunday Alamba/AP/SIPA

Un employé de Shell, au large du Nigeria, en décembre 2011 (photo d’illustration). © Sunday Alamba/AP/SIPA

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 22 novembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Il y a tout juste un an, en novembre 2017, Shell finalisait la cession de ses actifs pétroliers gabonais en exploitation, revendus pour 540 millions d’euros au britannique Assala energy. Pour la major anglo-néerlandaise, pilotée par Ben Van Beurden, cette vente n’a pourtant pas sonné le glas de sa présence sur le continent africain, bien au contraire.

« Après la chute des cours du baril de 2014-2015, nous avons fait une revue de l’ensemble de notre portefeuille d’actifs extractifs, et ces gisements gabonais matures ne correspondaient plus à nos objectifs stratégiques, tant sur les volumes de brut extraits, insuffisants, qu’en ce qui concerne la rentabilité, trop faible », explique Diederick Bax, directeur du développement du groupe pour l’Afrique subsaharienne. Ce Néerlandais, parfaitement francophone, fait d’ailleurs valoir que Shell n’a pas abandonné le Gabon, puisqu’il a conservé deux blocs d’exploration en offshore profond au large de Port-Gentil, dont le groupe espère toujours beaucoup.

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Identifier de nouveaux gisements gaziers

Si en 2017 l’Afrique subsaharienne représentait seulement 7 % de la production du pétrolier (233 000 barils par jour, b/j), loin derrière l’Asie (34 %), l’Europe (19 %) et l’Amérique du Nord (19 %), la major n’entend pas y laisser les opportunités de découvertes à Total, ENI et BP. Identifier de nouveaux gisements gaziers comme ceux du Mozambique est aujourd’hui la priorité de Shell, qui est déjà numéro un mondial du négoce de gaz naturel liquéfié (GNL) et souhaite produire d’ici à 2050 dans le monde trois fois plus de gaz que de pétrole (contre moitié-moitié actuellement).

Avec cette stratégie, Shell s’offre aussi la possibilité d’un nouveau départ au Nigeria, sa première zone de production sur le continent, dont il a tiré 159 000 barils équivalents pétrole par jour (bep/j) en 2017. Pionnier du secteur dans le pays, où il s’est installé sous la colonisation britannique en 1936, premier opérateur international dans le delta du Niger, le pétrolier vit depuis les années 1990 au rythme des tensions autour de ses exploitations.

À la clé, des scandales de pollution et de corruption, des procès internationaux à répétition, comme celui qui, en 2015, a entraîné le paiement de 55 millions de livres sterling (75 millions d’euros) aux communautés ogonies de Bodo. Sans oublier les vols de carburant et les sabotages de ses installations qui en 2017 lui ont coûté 9 000 b/j, soit une hausse de 30 % sur une année.

>> A LIRE – Pollution au Nigeria : Shell indemnise les populations de Bodo et évite un procès

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Accélérer le désengagement de la région du delta du Niger

Pour sortir de cette spirale – sans pour autant quitter la région –, Shell a entamé en 2010 une transition vers le gaz, qui ne peut être volé, et vers l’offshore très profond, où les saboteurs ne peuvent aller. Les résultats de cette stratégie commencent à se faire sentir. Depuis 2010, la part en volume de gaz dans la production de Shell au Nigeria est passée de 39 % à 70 % (112 000 bep/j, en 2017).

Pour accélérer son désengagement de la région du delta du Niger, le groupe est actuellement en négociation pour revendre ses blocs 11 et 17 et une centrale à gaz, d’une valeur globale estimée à plus de 2 milliards de dollars, à un groupe d’investisseurs mené par le tycoon local Tony Elumelu. Si cette opération se concrétise, elle diminuerait encore les volumes produits à terre, déjà presque divisés par deux entre 2011 et 2017, après une série d’autres cessions à des groupes nigérians. Dans le même temps, Shell s’active pour faire progresser sa production en mer profonde (déjà 40 % des volumes).

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Mais l’objectif de Ben Van Beurden est surtout d’accroître ses activités ailleurs sur le continent, où il a été peu actif dans l’exploration jusqu’à présent, laissant les grandes découvertes gazières à ses concurrents.

Nouvelle filiale à Nouakchott

Le 24 juillet, Shell a acquis deux blocs d’exploration offshore en Mauritanie dans l’espoir d’y faire de nouvelles découvertes gazières dans la lignée de celle de Grand Tortue-Ahmeyim, à cheval entre le Sénégal et la Mauritanie, mis au jour par Kosmos Energy et repris par BP. Andrew Brown, le patron de la division exploration-production, avait fait le déplacement pour l’occasion à Nouakchott, où il a installé une nouvelle filiale, signe que la direction générale de Shell est particulièrement attentive aux perspectives dans cette zone. Diederick Bax, présent à la mi-octobre au forum pétrolier régional de Dakar (MSGBC Basin Summit), confirme que sa compagnie est à l’affût d’autres découvertes, y compris au Sénégal.

Shell regarde également à l’est et au sud du continent. La compagnie a pris position dans l’exploration au Kenya, en Tanzanie et en Namibie, mais aussi dans l’ingénierie gazière au Mozambique. « Nous sommes partenaires du premier projet GTL (Gas-to-Liquids) sur le continent, indique Diederick Bax. Il s’agit de transformer directement du gaz – venu d’un gisement exploité par Anadarko – en produits raffinés de grande qualité (du diesel propre, sans sulfure, et des lubrifiants), à l’image du projet que nous avons mis en service au Qatar », ajoute Diederick Bax, pour qui il s’agit d’un défi technologique majeur, au sein d’un partenariat compliqué.

>> A LIRE – Pétrole : Pourquoi les majors ne connaissent plus la crise

 Les signaux envoyés par le nouveau président, João Lourenço, sont très positifs, notamment sur les questions de gouvernance et de transparence

Enfin, la major réfléchit également à un retour en Angola, dont elle était totalement sortie en 2014, après une série d’échecs dans l’exploration sur le bloc 16 et des conflits – notamment fiscaux – à répétition avec les autorités sous le régime de l’ex-président Eduardo dos Santos. En juin 2018, plusieurs hauts cadres de Shell se sont rendus dans les bureaux texans de Sonangol, où est installée une data room sur la géologie pétrolière angolaise, pour évaluer les nouvelles perspectives offertes par ce pays.

« Les signaux envoyés par le nouveau président, João Lourenço, sont très positifs, notamment sur les questions de gouvernance et de transparence. Et les nouveaux dirigeants de Sonangol sont des gens pragmatiques et professionnels », estime Diederick Bax, qui était à Luanda il y a quelques semaines, signe que le retour angolais de Shell pourrait se concrétiser dans les prochains mois.

Comment Assala Energy veut métamorphoser Shell Gabon

Fondé en mars 2017 à l’instigation de son actionnaire unique, le fonds américain Carlyle, sur le modèle du franco-britannique Perenco, visant à optimiser l’exploitation de gisements de taille moyenne détenus auparavant par des majors, Assala Energy a fait du Gabon sa première terre d’élection en reprenant en novembre 2017 les actifs en exploitation de Shell dans le pays.

La toute nouvelle compagnie, menée par des anciens de Tullow Oil, Perenco et Maersk Oil espèrent stabiliser les volumes extraits de ces champs pétrolifères en 2017, autour de 35 000 barils par jour, enrayant le déclin observé ces dernières années de 15 % à 20 % par an, quand ils étaient gérés par Shell.

Pour cela, le groupe piloté par David Roux entend trouver de nouvelles réserves à proximité, reconditionner les puits existants, mais aussi réduire au minimum les coûts de management et d’exploitation, en misant sur la sous-traitance locale et sur une rationalisation des postes de travail des 400 salariés locaux issus de Shell.

Bras de fer avec Anadarko

Dans le cadre de son projet de production de diesel, de kérosène et de naphta au Mozambique, Shell a prévu d’être approvisionné en gaz par le pétrolier Anadarko. Mais ce dernier ne veut pas lui fournir les volumes nécessaires avant 2031, expliquant que les réserves certifiées sont insuffisantes. Dans ce bras de fer, la major anglo-néerlandaise a reçu le soutien de Maputo, qui attend beaucoup de ce projet pour développer l’industrie locale.

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