Israël : une alya pour la paix

Alors que des heurts ont à nouveau éclaté entre Gaza et l’État hébreu, de jeunes Juifs nord-américains s’installent en Terre sainte pour tenter de faire évoluer la situation.

Une jeune immigrante à son arrivée à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, en juillet 2017. © jack guez/AFP

Une jeune immigrante à son arrivée à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, en juillet 2017. © jack guez/AFP

perez

Publié le 19 novembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Ce 12 septembre, le Boeing dans lequel a pris place Julie Weinberg-Connors se pose à l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Cette Américaine de 23 ans originaire de Boston n’en est pas à son premier séjour en Israël. Mais, au contrôle aux frontières, un agent de sécurité la retient.

« Vous êtes-vous rendue en Cisjordanie ? », insiste-t-il. Julie acquiesce, déstabilisée par son ton péremptoire. Elle cite notamment le village bédouin de Khan al-Khmar, menacé de démolition par les autorités israéliennes. « Vous n’avez pas le droit d’y aller et je ne peux pas vous laisser passer. Vous êtes là pour provoquer des troubles », rétorque l’agent.

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Elle a pourtant en sa possession un visa d’immigrant valable jusqu’en mars 2020, obtenu lors de son dernier passage en Terre sainte en avril. En tant que Juive, elle bénéficie de la loi du retour qui lui permet d’accéder à la citoyenneté israélienne.

Le problème ? Son activisme au sein de l’organisation juive américaine All That’s Left (« Tout ce qu’il reste à faire »), étiquetée d’extrême gauche car hostile à l’occupation des territoires palestiniens. Julie arrive à joindre son avocate. Plusieurs députés du parti Meretz se mobilisent en faveur de la jeune femme, qui est finalement relâchée au bout de deux heures et demie par les services de l’immigration.

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 J’ai commencé à me rendre en Cisjordanie et à voir la réalité de l’occupation. Ce sujet est devenu important pour moi, explique Julie Weinberg-Connors

« Dans la mesure où elle s’est engagée à obtenir un permis pour se rendre dans les zones sous contrôle de l’Autorité palestinienne, son entrée sur le territoire a été approuvée », résume Sabine Haddad, porte-parole du ministère de l’Intérieur, pour faire taire la polémique.

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Avec son look androgyne et ses tatouages discrets sur les bras, Julie Weinberg-Connors a plus l’air d’une adolescente en quête identitaire que d’une dangereuse militante. Jusqu’au dernier conflit armé à Gaza, en 2014, elle prenait d’ailleurs fait et cause pour l’État hébreu, admettant ne rien connaître ou presque des Palestiniens. Puis elle a suivi un séminaire à l’université de Tel-Aviv.

« J’ai commencé à me rendre en Cisjordanie et à voir la réalité de l’occupation. Ce sujet est devenu important pour moi », explique-t-elle. La jeune femme ne s’estime pas particulièrement sioniste, mais elle revendique sa place dans la société israélienne : « Si ce pays aspire à représenter les Juifs et à parler en mon nom, alors je dois faire en sorte qu’il reflète mes aspirations. Après ce qui m’est arrivé à l’aéroport, je suis encore plus déterminée à vivre ici et à combattre pour la justice. »

 © All That’s Left/Twitter

© All That’s Left/Twitter

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Nouveaux profils

Ce genre de parcours reste marginal. L’écrasante majorité des candidats à l’alya (la « montée » en hébreu) passe par l’Agence juive, une organisation para­gouvernementale chargée d’aider la ­communauté à immigrer en Israël. Tout est facilité depuis leur pays d’origine grâce à des antennes administratives, même si le processus peut aussi se faire de manière indépendante et graduelle, à l’issue d’un stage, d’un cursus d’études ou d’une expérience associative.

« Le schéma traditionnel d’immigration a évolué, les profils de certains nouveaux immigrants sont radicalement différents de ce qu’on pouvait voir dans les années 1960, explique Jury Malt, journaliste au quotidien Haaretz et spécialiste de la diaspora. Plutôt que de rejoindre un kibboutz [collectivité], de plus en plus de Juifs se portent volontaires pour aider des Palestiniens dépossédés de leurs terrains ou des demandeurs d’asile africains. »

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 L’alya doit être une contribution. Je regrette que le gouvernement actuel donne l’impression de ne pas vouloir de certaines personnes, explique Daniel Roth

Daniel Roth, arrivé il y a sept ans de Toronto, s’est d’abord essayé à l’écriture et à la photographie avant de diriger un programme de cinq mois baptisé Achvat Amim (« Solidarité entre les peuples ») qui s’adresse aux jeunes Juifs de 21 à 30 ans et aspire à créer des ponts avec la société palestinienne. Sur son site internet figure un extrait évocateur de la déclaration d’indépendance d’Israël : « L’État juif sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël. »

Passé par le mouvement sioniste de gauche Hachomer Hatzair (« la jeune garde »), Roth tient à préserver ces valeurs d’ouverture : « L’alya doit être une contribution. Chacun avec sa sensibilité. Je regrette que le gouvernement actuel donne l’impression de ne pas vouloir de certaines personnes. C’est troublant et contraire à l’idéal de ce pays. »

Néo-Israéliens

Pour esquiver les critiques malveillantes et ne pas entrer dans la ligne de mire des autorités, les responsables d’Achvat Amim ne sollicitent aucun financement étranger, contrairement à de nombreuses ONG israéliennes de défense des droits de l’homme qui bénéficient de l’aide de l’Union européenne.

Quand elle s’est inscrite au programme, Hailey Mann, 21 ans, a donc dû débourser près de 9 000 dollars, largement amortis par les allocations attribuées aux nouveaux immigrants. « J’ai pris la nationalité israélienne pour me protéger d’une expulsion à cause de mes activités et pour pouvoir voter », explique cette Californienne originaire de Davis, une ville réputée pour sa tolérance. Hailey passe la plupart de ses journées à Hébron, en Cisjordanie, où elle encourage de jeunes Palestiniens à raconter leur quotidien en anglais. « Ce pays est rude, je m’éloigne clairement du sionisme. Mais je vis ici pour le moment et ce que je fais me passionne. »

Les néo-Israéliens, garants de la promesse originelle de l’État ? « Il faut améliorer ce pays en s’inspirant de ce qu’il fait de meilleur et de pire, insiste Daniel Roth. Après tout, il y a plusieurs façons de se sentir connecté à Israël. »

Militants blacklistés

Depuis l’entrée en vigueur en mars 2017 d’une loi visant la mouvance BDS – qui prône le boycott d’Israël –, près de 500 jeunes touristes se sont vu interdire l’entrée sur le territoire israélien. Certains ont été refoulés dès l’embarquement par l’équipage censé les conduire à Tel-Aviv. Tous étaient présentés comme des militants propalestiniens. L’étudiante américaine Lara Alqasem, d’origine palestinienne, a, elle, défrayé la chronique en passant, en octobre, une quinzaine de jours dans une cellule des services d’immigration de l’aéroport Ben-Gourion. Comme elle était suspectée d’avoir milité au BDS, son nom apparaissait sur une liste noire.

La jeune femme de 22 ans, tout juste inscrite à l’Université hébraïque de Jérusalem, a été libérée sur injonction de la Cour suprême, qui a jugé que les preuves apportées par l’État ne justifiaient pas un bannissement. « L’impression inévitable est que l’annulation de son visa était due à ses opinions politiques. Si tel est le cas, alors il s’agirait d’une étape extrême et dangereuse, qui pourrait mener à l’écroulement des piliers de la démocratie », a déclaré l’un des juges.

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