Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo reprend les rênes du FPI
Aboudramane Sangaré décédé, Laurent Gbagbo, bien que détenu à La Haye, a décidé de reprendre les rênes du FPI. Reste à savoir quel rôle jouera Simone, son épouse.
Le soleil ne s’est pas encore couché, ce 3 novembre à Abidjan, quand Simone Gbagbo fait son apparition dans le jardin de sa résidence de la Riviera Golf. Il y a presque trois mois, le Front populaire ivoirien (FPI) y a célébré le retour de l’ancienne première dame, amnistiée le 6 août par Alassane Ouattara, avec une ferveur exceptionnelle. Mais aujourd’hui, l’ambiance est tout autre. Simone Gbagbo a le visage marqué. Elle descend difficilement un escalier et s’engouffre dans une Mercedes noire, direction le domicile d’Aboudramane Sangaré. Son ami, fidèle compagnon de Laurent Gbagbo, a rendu l’âme au petit matin.
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Le FPI est sous le choc. Une réunion du secrétariat général, convoquée en urgence par Simone Gbagbo, vient de s’achever dans la confusion. En consultant les réseaux sociaux, les participants ont pris connaissance, en pleine rencontre, d’un communiqué ordonnant la suspension de toutes les activités du parti. Le texte est signé par Assoa Adou, le secrétaire général du FPI, à Paris ce jour-là. Mais son véritable auteur, personne n’en doute, c’est Laurent Gbagbo. Est-il en train de désavouer son épouse ?
Le FPI sans « gardien du temple »
À Abidjan, certains proches de Simone Gbagbo font part de leur incompréhension. « Ce n’est pas normal », s’offusque même l’intéressée. À ce moment précis, la direction du FPI tangue. Personnage discret, rigide, Aboudramane Sangaré n’avait rien de charismatique. Mais, l’espace d’une journée, son surnom de « gardien du temple » a pris tout son sens. Sans lui, le FPI allait-il s’embourber dans une crise de leadership entre les différents courants qui le traversent ?
Ce flottement est lié à une question en apparence très simple : qui doit remplacer Sangaré au poste de président par intérim et de premier vice-président du FPI ? En tant que deuxième vice-présidente, Simone Gbagbo doit-elle récupérer la gestion intérimaire ?
Le problème a agité le parti de longues heures avant que Laurent Gbagbo ne tranche depuis La Haye : dans un communiqué publié le 16 novembre, ce dernier a expliqué qu’il n’y avait désormais « plus d’intérim » et qu’il assumera « pleinement la direction » du FPI. Aucun changement ne sera donc opéré dans l’organigramme du parti. Une décision temporaire en attendant que la Cour pénale internationale (CPI) ne se prononce sur la demande de non-lieu formulée par les avocats de l’ancien président, précise un de ses proches.
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Elle ne veut pas prendre la place de son mari. Mais après lui, ce sera elle et personne d’autre. Quand il était en exil de 1985 à 1988, c’est elle qui a géré le FPI !
« Laurent Gbagbo a estimé qu’il n’était pas souhaitable que Simone joue les premiers rôles, notamment car il craignait que cela perturbe son procès, qui a repris le 12 novembre. Mais il savait qu’elle n’accepterait qu’il choisisse quelqu’un d’autre pour assurer l’intérim. Il a donc coupé la poire en deux, explique notre source. Ça lui permet aussi de contrôler Simone. Désormais, c’est lui qui va gérer le parti via Assoa Adou, le secrétaire général du parti, et qui décidera quelle marge de manœuvre il laisse à son épouse. Il se donne également le temps de voir si le parti adoube celle-ci. »
Depuis sa sortie de prison, l’ancienne première dame a travaillé son image de militante disciplinée, légitimiste. Ses premières apparitions médiatiques et ses déclarations ont pu faire craindre à certains qu’elle fasse de l’ombre à Laurent Gbagbo. Mais il a rapidement été conseillé à l’ancienne députée d’Abobo d’arrondir les angles. Ces dernières semaines, elle prenait soin de ne pas gêner l’action de Sangaré, respectant sa supériorité hiérarchique et l’informant de chacune de ses activités. Épaulée par un carré de fidèles, dont Corentin Akpa, son directeur de cabinet, et Rodrigue Dadje, son avocat, elle attendait son heure.
Sangaré décédé, Simone Gbagbo compte bien jouer sa carte à fond. Elle sait que Laurent est le patron et elle n’a pas oublié qu’elle est toujours sous la menace d’un mandat d’arrêt de la CPI, mais elle estime que les textes du parti sont clairs, affirme l’un de ses proches : « Elle ne veut pas prendre la place de son mari. Mais après lui, ce sera elle et personne d’autre. Quand il était en exil de 1985 à 1988, c’est elle qui a géré le FPI ! » De fait, elle apparaît en position de force. Tout en réaffirmant sa loyauté à Gbagbo, elle peut avancer ses pions pour se poser en alternative naturelle. Elle s’en sent capable.
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Influente Nady Bamba
Toutefois, cette hypothèse est loin de faire l’unanimité au sein du FPI. Ces dernières années, certains se sont rapprochés de Nady Bamba, que Laurent Gbagbo a épousée selon les rites coutumiers mahouka et musulman en 2001. Mystérieuse et influente, celle-ci se tient au plus près de l’ancien président depuis le transfert de celui-ci à la CPI, le 29 novembre 2011, et coordonne depuis Bruxelles la mobilisation en sa faveur.
Cependant, les réticences du parti à l’égard de Simone ne se résument pas à sa rivalité avec celle qui, selon ses propres termes, « [lui] a volé [son] amour ». Certains s’inquiètent des « errances religieuses » de l’ancienne première dame, en référence à cette foi évangélique que la prison n’a fait que renforcer. Ils désapprouvent un mélange des genres qui, selon eux, expliquerait certaines des dérives du régime.
« Le FPI n’est pas une formation évangélique, mais laïque. Simone va devoir soigner ses éléments de langage », insiste un historique. En a-t-elle la volonté ? « Cette foi est en partie la source de sa popularité, fait remarquer un observateur. La prédication l’aide à consolider son autorité auprès de son électorat. Elle ne peut pas sortir du discours religieux. » « C’est un procès d’intention, rétorque un membre de son premier cercle. Depuis sa sortie de prison, elle ne parle que de réconciliation. »
Direction resserrée
Selon l’un de ses amis, Laurent Gbagbo souhaite mettre en place une direction resserrée et centralisée
Le cas Simone est d’autant plus complexe qu’il évoque un sujet tabou au FPI : l’état de ses relations avec Laurent Gbagbo. Les deux époux se parlent-ils encore ? Eux seuls peuvent répondre à cette question, même si tout porte à croire que ce n’est pas le cas. Le jour du décès de Sangaré, l’ancien président a appelé la clinique où son ami était admis, puis a parlé à son grand frère. Mais il n’a pas cherché à joindre Simone. Le couple Gbagbo, au sens premier du terme, n’existe plus depuis des années.
Pourtant, cette dernière revendique son statut d’épouse légitime, et, si Laurent Gbagbo semble refuser de la voir diriger le FPI, il sait qu’il doit la ménager. Animal politique au charisme intact, elle bénéficie d’un fort capital de sympathie chez les militants. Ses années de prison et le fait que son mari lui ait imposé Nady n’ont fait que renforcer ce sentiment dans l’opinion. Politicien pragmatique, Gbagbo prendra-t-il le risque de se la mettre à dos ?
Au moment où le FPI, enferré dans des années d’appel au boycott, doit encore prouver qu’il est capable de peser dans la course, l’enjeu est de taille. Sangaré était à la fois le gardien du temple Gbagbo et le fétiche de l’aile radicale du parti. Il est mort alors que le FPI était en pleine réorganisation. Plus de la moitié des structures de base ont déjà été renouvelées. Aux visiteurs qu’il reçoit dans sa cellule de Scheveningen, l’ex-chef de l’État donne l’impression de vouloir faire évoluer le FPI. Selon l’un de ses amis, il souhaite mettre en place une direction resserrée et centralisée.
Il estime également que le parti doit revenir à ses fondamentaux socialistes. « Gbagbo pense qu’on l’a empêché de mettre à exécution sa politique. Il souhaite être réhabilité », souligne notre source. S’il venait à être libéré, il n’aurait aucun mal à modeler le FPI à sa guise. Mais si son procès à La Haye devait se poursuivre, il pourrait être contraint de nommer un nouvel intérimaire qui partage sa vision ou applique ses directives à la lettre. Reste à savoir si c’est le cas de Simone Gbagbo.
Décès d’Aboudramane Sangaré
Constatant que l’état de santé d’Aboudramane Sangaré se dégradait, la direction du FPI avait décidé, en accord avec sa famille, de l’évacuer à Tunis. Cependant, ses proches se sont rendu compte que, malgré son statut d’ancien ministre, il n’avait pas de passeport diplomatique. Le document lui a été délivré en urgence, mais il est mort avant de pouvoir quitter Abidjan.
Affi, le grand perdant
La mort d’Aboudramane Sangaré a fait une victime collatérale : Pascal Affi N’Guessan. Depuis la fin de l’année 2014, début de la crise au sein du Front populaire ivoirien (FPI), l’ancien Premier ministre tenait tête à la frange menée par Sangaré. Si sa légitimité était de plus en plus remise en question, Affi N’Guessan s’accrochait à son statut de président légal du parti créé par Laurent Gbagbo. Le décès de Sangaré ressemble à un coup de grâce. En effet, une majorité des acteurs politiques ont rendu hommage au fidèle compagnon de Gbagbo en sa qualité de « président par intérim du FPI », légitimant à titre posthume son positionnement.
Pascal Affi N’Guessan avait déjà été considérablement affaibli par le décès, quelques jours plus tôt, de Marcel Gossio (l’ancien directeur général du port autonome d’Abidjan avait tenté, sans succès, de mener une médiation avec Laurent Gbagbo).
Considérant Affi comme un traître, Aboudramane Sangaré se montrait intransigeant à son égard. Beaucoup des cadres du FPI partageaient son avis. Simone Gbagbo se fera-t-elle plus conciliante, ne serait-ce que pour récupérer le nom officiel du parti, gagné en justice par Affi ? Venu présenter ses condoléances au domicile de Sangaré, le 14 novembre, l’ancien ministre de l’Économie sous le général Robert Gueï a insisté pour donner l’accolade à Simone. Mais sa présence n’a guère été appréciée.
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