Infrastructures : Clyde Fakhoury, le nouveau visage de l’ivoirien PFO

Le groupe de BTP, sous la houlette de Clyde Fakhoury, fils de son fondateur, mise sur ses partenariats avec le français Veolia et le belge Besix pour poursuivre sa diversification.

Julien_Clemencot

Publié le 27 novembre 2018 Lecture : 7 minutes.

Après le père, le fils. Si l’architecte Pierre Fakhoury s’est fait un nom lorsqu’il a construit l’impressionnante basilique Notre-Dame-de-la-Paix à Yamoussoukro, inaugurée par le pape Jean Paul II en 1990, Clyde commence à se faire un prénom en Côte d’Ivoire en donnant une nouvelle dimension aux affaires familiales.

En septembre, le groupe ivoirien PFO, dont il a progressivement pris la direction opérationnelle à partir de 2011, a officialisé le rapprochement, entamé discrètement il y a trois ans, avec le français Veolia. L’entreprise confirme sa stratégie de diversification en s’ouvrant à de nouveaux métiers dans les domaines de l’eau, de l’environnement et de la gestion des déchets. Du côté de Veolia, on ne tarit pas d’éloges sur la qualité de cette collaboration : « PFO va nous faire gagner des années grâce à sa connaissance du pays. C’est un partenaire fiable et compétent », commente Patrice Fonlladosa, PDG de Veolia Afrique et Moyen-Orient.

Mon objectif est de bâtir un groupe qui puisse à la fois construire, faire de la promotion – notamment immobilière – et être concessionnaire

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Ensemble, les deux partenaires construiront dans le nord de l’agglomération abidjanaise une usine d’eau potable d’une capacité de 240 000 m3 par jour approvisionnée à partir de la rivière La Mé. Ce projet de 140 milliards de F CFA (213 millions d’euros) permettra d’alimenter les deux grandes communes de Yopougon et d’Abobo, qui concentrent la moitié des 5 millions d’habitants de la capitale économique.

L’autre chantier porte sur le réaménagement des 90 hectares de la décharge d’Akouédo, à l’est d’Abidjan, qui reçoit chaque année 1,2 million de tonnes d’ordures. Évalué à 150 millions d’euros, le projet consistera à la transformer en un grand parc doté d’un complexe sportif et d’un centre de formation aux métiers du recyclage des déchets.

Des partenaires pour monter en compétence

« Nos activités étaient trop liées au cabinet d’architecture fondé par mon père. Mon objectif est de bâtir un groupe qui puisse à la fois construire, faire de la promotion – notamment immobilière – et être concessionnaire. Sur ce dernier point, nous avons déjà commencé, puisque nous gérons la décharge d’Akouédo depuis un an en attendant sa fermeture », souligne Clyde Fakhoury.

En 2011, la crise postélectorale a constitué un facteur déterminant dans l’évolution du groupe. À son arrivée au pouvoir après plusieurs mois d’affrontement avec le camp de Laurent Gbagbo, le président Ouattara gèle le transfert des ministères publics d’Abidjan vers Yamoussoukro pour donner la priorité à la réhabilitation des infrastructures. « PFO a perdu beaucoup d’argent à cause de l’arrêt de projets jugés non prioritaires dans lesquels il avait déjà commencé à investir. Environ 200 milliards de F CFA », explique une source proche de PFO. Pierre Fakhoury a-t-il aussi payé sa proximité avec Laurent Gbagbo ? Non, assure son fils, le président Ouattara les aurait tout suite invités à se mobiliser pour participer à la reconstruction du pays.

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Pour profiter au mieux des opportunités, Pierre et Clyde Fakhoury – qui a rejoint son père en 2008, abandonnant son métier de courtier à Londres – décident de tout remettre à plat. Ils fusionnent la société de BTP PFO Côte d’Ivoire et le cabinet d’architecture Arche pour fonder PFO Africa. Parallèlement, l’entreprise, qui s’était diversifiée dans l’offshore pétrolier en acquérant plusieurs blocs à travers Yam’s Petroleum, les restitue à l’État. Le fondateur n’a conservé, hors du giron de PFO, qu’une petite part dans le permis CI-100 aux côtés de Total.

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Père et fils ont aussi cherché des partenaires pour gagner en compétence. Un premier accord a été conclu avec le groupe français Eiffage, mais aucune des offres soumises n’est parvenue à l’emporter. Un échec temporaire. Outre Veolia, PFO va collaborer avec le groupe belge Besix pour réaliser la future usine de production d’eau potable et construire la Tour F (haute de 283 m), à Abidjan.

Profonds changements dans les méthodes de travail

La restructuration des affaires familiales s’est accompagnée de changements dans les méthodes de travail. Pour ne plus dépendre des deniers publics, PFO apporte désormais des solutions de financement, profitant parfois de la garantie de l’État, comme c’est, par exemple, le cas dans l’aménagement en cours de l’esplanade du palais présidentiel à Abidjan. « Parce qu’elles nous font confiance, nous avons le soutien de banques régionales comme BGFI, NSIA, Banque Atlantique ou la Boad. Société générale, qui finance l’usine d’eau potable, est également l’un de nos principaux bailleurs », confirme Clyde Fakhoury.

En interne, le nouveau dirigeant a aussi bouleversé les habitudes en instituant des équipes de projet distinctes, indépendantes les unes des autres, et en investissant dans un véritable système d’information afin d’améliorer l’exécution et le suivi des chantiers. Il a ajouté aux missions des managers des objectifs forts de formation pour faire émerger des talents qui accompagneront la croissance de l’entreprise. PFO va ainsi passer de 400 collaborateurs en 2012 à plus de 1 800 aujourd’hui, dont 40 ingénieurs spécialisés.

« Ces changements nous ont permis de nous repositionner en un temps record », confie à Jeune Afrique Clyde Fakhoury. Le groupe a ainsi pu remporter la réhabilitation, réalisée en seulement treize mois, du Centre de commerce international d’Abidjan (CCIA) pour 50 millions d’euros, puis la rénovation du siège historique de la BAD, toujours dans la capitale ivoirienne (58 millions d’euros) devant des concurrents comme les groupes Bouygues ou Arab Contractors.

Pierre Fakhoury toujours incontournable

Parallèlement aux chantiers de réhabilitation, PFO s’est intéressé dès 2012 aux projets routiers. Au total, le groupe s’est vu confier la construction de 400 km de routes ; cette activité représente aujourd’hui la moitié du chiffre d’affaires de l’entreprise (115 millions d’euros).

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La longévité de Pierre Fakhoury et celle de ses affaires tiennent à la qualité des relations qu’il sait entretenir : il a connu cinq présidents et plus de deux cents ministres

S’il se tient en retrait, refusant toutes les interviews, Pierre Fakhoury, toujours entre deux avions, reste incontournable et informé de toutes les décisions prises par son fils. « Parfois après coup, sourit ce dernier, qui n’occupe sur le papier que le poste d’administrateur général adjoint. Nous sommes très proches, et je suis très fier de son parcours qui est une source d’inspiration. »

« La longévité de Pierre Fakhoury et celle de ses affaires tiennent à la qualité des relations qu’il sait entretenir. Il a connu cinq présidents (Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Robert Guéï, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara) et plus de deux cents ministres avec lesquels il a toujours gardé le contact, malgré les alternances », souligne un homme politique proche de Bédié.

Projets au Sénégal, au Burkina Faso et en Guinée

Encore discret dans la vie publique, son fils entend davantage se consacrer à son rôle d’ambassadeur du groupe. Membre de la Chambre de commerce européenne de Côte d’Ivoire, Clyde se dit d’ailleurs prêt à rejoindre le patronat ivoirien, à condition de pouvoir y jouer un rôle important. Il reste en revanche, comme son père, à l’écart de la communauté libanaise, même s’il se dit attaché à ses racines levantines.

Porté par son développement ivoirien, le trentenaire nourrit des ambitions régionales. « Nous n’avons pas encore entamé de chantiers hors de Côte d’Ivoire. Mais plusieurs projets sont en phase de conception et d’étude au Sénégal, au Burkina Faso et en Guinée », précise-t-il.

L’architecte de la basilique de Yamoussoukro espère s’offrir une réalisation de prestige avec la construction de la nouvelle présidence sénégalaise à Diamniadio pour laquelle son groupe est en compétition. Les besoins en infrastructures liées à la prochaine exploitation des ressources gazières dans le pays ­suscitent également l’intérêt du groupe, même s’il faut encore, pour y participer, intégrer sans doute de nouveaux métiers. Avec de la méthode et de bons partenaires, rien d’insurmontable, pense probablement Clyde Fakhoury.

Les routes, un marché concurrentiel

Plus encore que la construction et la réhabilitation d’immeubles, les projets routiers ivoiriens attirent de nombreux concurrents : les groupes français Vinci, via sa filiale Sogea Satom, Bouygues, le tunisien Soroubat, le burkinabé Ebomaf, le groupe chinois CSCEC, ainsi que la société ivoirienne Nicolas Srouji Établissement. Le groupe suisse LafargeHolcim est lui aussi sur les rangs et propose d’innover en construisant des routes en ciment.

Le Club Med enfin en travaux

Après plus de dix ans d’attente, Pierre Fakhoury a enfin débuté les travaux de transformation de l’ancien Club Méditerranée à Assinie. D’ici douze à dix-huit mois, le site proposera 160 chambres en résidence hôtelière et 30 cabanons de deux à six chambres à louer sur le moyen et long terme. Ce projet, qualifié de sentimental par Clyde Fakhoury, coûtera 7 milliards de F CFA (10,7 millions d’euros) et vise avant tout la classe moyenne présente en Côte d’Ivoire. Le site d’Assouindé, également acheté au groupe français, sera lui aussi réhabilité dans un second temps. PFO devrait en outre dévoiler début 2019 un projet immobilier sur la commune de Cocody, mêlant résidentiel, bureau et commerce.

J.C.

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