Ports : les terminaux africains en attente de connexions terrestres

Abidjan, Tema, Kribi… Les terminaux modernes se multiplient, mais ce développement se heurte au manque d’infrastructures sur terre, qui ralentit l’acheminement des marchandises.

Le numéro deux mondial MSC a fait de Lomé un hub efficace qui dépasse désormais Apapa et Tincan réunis. © ISSOUF SANOGO/AFP

Le numéro deux mondial MSC a fait de Lomé un hub efficace qui dépasse désormais Apapa et Tincan réunis. © ISSOUF SANOGO/AFP

Publié le 28 novembre 2018 Lecture : 7 minutes.

Le port de la capitale togolaise, dans lequel d’importants investissements ont été consentis. © Jacques TORREGANO pour JA
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Transport maritime : les terminaux africains dans une nouvelle ère

Abidjan, Tema, Kribi… De nombreux terminaux africains sont entrés en fonction ou ont été modernisés au cours des dernières années. Les armateurs et les logisticiens doivent maintenant s’adapter à cette nouvelle donne.

Sommaire

Le béton coule toujours en Afrique de l’Ouest. Moins sur terre, pour mieux relier les ports à l’arrière-pays, que le long des quais. Après la mise en service de plusieurs terminaux à conteneurs modernes ces dix dernières années – à Pointe-Noire, Lomé, Cotonou, Conakry, Kribi, Freetown, Owendo et Monrovia –, deux gros projets sont en cours.

À Tema, le consortium Meridian Port Services (MPS), formé de Bolloré Ports, d’APM Terminals (APMT, groupe Maersk) et de l’autorité portuaire publique du Ghana, prévoit de mettre en service une première partie du nouveau terminal à conteneurs MPS2, avec deux postes à quai, le 1er juillet 2019. « Un troisième poste sera livré un an plus tard, et un quatrième mi-2021 », annonce Olivier de Noray, le directeur général de Bolloré Ports.

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Après la construction d’une digue de 3 550 m, les travaux continuent sous l’égide de China Harbour Engineering Company (CHEC) – qui prévoit de terminer en avril 2019. Dans le même temps, Eiffage aménage le terminal proprement dit, avec la participation d’entreprises ghanéennes pour les superstructures et les bâtiments.

Passer de l’insuffisance au trop-plein, un risque réel ?

À Abidjan, le terminal à conteneurs numéro deux (TC2) avance avec un décalage d’environ un an et demi sur Tema. « Le schéma d’investissement n’est pas le même, précise Olivier de Noray, car c’est l’État ivoirien, à travers le Port autonome d’Abidjan, qui est le maître d’ouvrage de l’infrastructure de base et qui nous passera le relais à l’issue des travaux en cours. »

CHEC, toujours, doit théoriquement avoir terminé à la fin de l’année prochaine. « Si les caissons sont bien en phase d’alignement, il est peu probable que ce délai sera tenu », glisse un portuaire d’Abidjan. Dès que les infrastructures de base seront livrées, les concessionnaires – Bolloré Ports et APMT, comme à Tema – auront un an pour aménager le terre-plein et y installer leurs équipements. Le TC2 d’Abidjan doit donc arriver sur le marché fin 2020 au plus tôt. Pour le duo franco-danois, il viendra utilement soulager l’actuel TC1, pratiquement arrivé à saturation avec 780 000 EVP par an, notamment lors de la campagne de cacao et de noix de cajou.

Passer de l’insuffisance au trop-plein en moins de deux décennies, est-ce un risque réel pour le système portuaire ouest-africain ? « Je n’y crois pas, répond Yann Alix, délégué général de la Fondation Sefacil et bon connaisseur du système logistique ouest-africain. Tout simplement parce que, contrairement à ce que certains imaginent, le marché africain n’est pas encore mature. Si l’on prend un ratio simple, en comparant le PNB à la population des pays d’Afrique de l’Ouest, on est toujours dans “une sous-conteneurisation chronique”. » La concurrence portuaire risque néanmoins de croître, même si des projets sans réalité économique évidente, tel un hub à São Tomé-et-Príncipe, ne voient pas le jour.

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Développer l’économie et désenclaver le pays

Dans la sous-région, les ports ont trois vocations. Ils servent d’abord, bien sûr, de portes d’entrée et de sortie pour l’économie du pays où ils sont situés. Un marché sur lequel l’opérateur du terminal a peu de leviers d’action.

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« Tout va dépendre de la croissance économique et démographique du pays, analyse Olivier de Noray – dont le groupe aura, en incluant Tema et le TC2, investi 3 milliards d’euros en douze ans dans les plateformes portuaires africaines. Notre rôle est d’anticiper la croissance pour que les infrastructures portuaires ne freinent pas le développement et accélèrent au contraire le dynamisme des économies régionales. » Une croissance estimée en Afrique de l’Ouest entre 3 % à 5 % par an, tant à l’import qu’à l’export.

Mais les ports constituent aussi des liens précieux avec le monde pour les pays enclavés. Ces derniers ne peuvent donc voir l’accroissement de l’offre en cours que comme une excellente nouvelle. Ils utilisent généralement un corridor naturel tel qu’Abidjan-Ouagadougou ou Dakar-Bamako, mais tous essaient aussi de se ménager au moins une alternative, voire deux. Le Niger est traditionnellement desservi par Cotonou, mais Lomé est à l’offensive. Le Burkina, qui bénéficie du chemin de fer reliant Ouaga à Abidjan, essaie aussi de passer par Tema et Lomé, ou par Cotonou. Même le Mali peut se connecter à Tema.

Les armateurs s’offrent le plus de souplesse possible

Quant au nord du Nigeria, il ne veut pas dépendre uniquement de Lagos et se branche depuis longtemps sur Cotonou et Lomé. « En multipliant l’offre de terminaux modernes, on participe au développement des pays enclavés, qui bénéficient de cette concurrence nouvelle », revendique Olivier de Noray.

Troisième vocation des ports : le transbordement purement maritime. Là, les armateurs ont clairement la main, choisissant de constituer ici ou là une plateforme régionale adaptée à de grands navires pour réaliser des économies d’échelle sur les liaisons océaniques à destination ou en provenance d’Afrique de l’Ouest. « L’intérêt des armateurs est de démultiplier les offres pour s’offrir le plus de souplesse possible », analyse Georges Serre, le conseiller Afrique de CMA CGM, numéro quatre mondial du transport de conteneurs et numéro deux sur le continent, derrière Maersk.

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Le Cameroun est un pays majeur en Afrique centrale, et Kribi, une fois qu’il sera bien connecté à l’économie régionale, a vocation à desservir ce pays, mais aussi la Centrafrique et le Tchad

Le transporteur français a ainsi choisi de miser sur le nouveau terminal de Kribi, ouvert en mars et dont il est l’opérateur aux côtés de Bolloré Ports, son partenaire et aussi son premier fournisseur en Afrique. Tout en conservant Pointe-Noire comme hub pour sa ligne venant d’Asie via l’Afrique du Sud. Tout le monde y trouve son compte, semble-t-il. « Kribi totalisera 150 000 EVP en 2018, en transbordement pour 90 % d’entre eux. Pointe-Noire progresse également », confirme Olivier de Noray, qui participe à la gestion des deux ports (avec APMT en ce qui concerne le port congolais).

Si CMA CGM a misé cette année sur Kribi, Maersk continue à développer ses transbordements à Pointe-Noire. « Et Douala progresse aussi, car nous n’y employons pas les mêmes navires, et n’y exerçons pas les mêmes métiers », ajoute Georges Serre. Pour résumer : Douala, port de rivière au cœur d’une agglomération de 4 millions d’habitants avec un faible tirant d’eau – 8 mètres quand la drague vient de passer –, est un port de marché avec un bon corridor conduisant au nord du Cameroun. Alors que Kribi reste, en l’état, un port de transbordement qui accueille de grands navires d’Europe et d’Asie et en charge de plus petits, pour l’essentiel vers Douala et le Gabon.

« Mais le Cameroun est un pays majeur en Afrique centrale, et Kribi, une fois qu’il sera bien connecté à l’économie régionale, a vocation à desservir ce pays, mais aussi la Centrafrique et le Tchad », estime Olivier de Noray, qui y vise un trafic de 230 000 EVP en 2019. « Il faut que les entreprises camerounaises et internationales investissent aussi dans la zone de Kribi pour ancrer le trafic, ajoute Yann Alix. Avec des entrepôts et une industrie de transformation, notamment dans le bois, le potentiel est important. » Georges Serre confirme : « Kribi, c’est le début d’une aventure. »

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MSC a fait de Lomé un redoutable rival pour Lagos

Mais si tout ce qui est côté mer est au niveau requis, les infrastructures terrestres demeurent très insuffisantes. « Il faut deux heures pour aller de Kribi à Douala, mais aussi deux heures supplémentaires pour rentrer dans Douala et un temps très variable pour y circuler », constate Yann Alix. « Comme de nombreux ports en Europe et aux États-Unis, Lagos s’est développée à l’intérieur de la ville, et, sous certains aspects, on en atteint les limites », reconnaît Peder Sondergaard, le patron de la région Afrique-Moyen-Orient d’APMT (qui gère Apapa, longtemps premier terminal d’Afrique de l’Ouest).

À Lagos, il a suffi que l’économie reprenne avec la remontée du cours du brut depuis quelques mois pour que la thrombose s’installe. Un camion peut mettre une semaine pour couvrir les cinq derniers kilomètres menant au port. S’estimant pénalisés, les armateurs ont frappé fort en mettant en place des surcharges temporaires vers les deux terminaux de Lagos (Apapa et Tincan) au mois d’octobre. Lagos a perdu beaucoup de plumes. Le numéro deux mondial, MSC, a fait de Lomé un hub efficace et un redoutable rival, qui dépasse désormais Apapa et Tincan réunis.

Il faut en moyenne une journée et demie en Asie pour que le conteneur quitte l’environnement portuaire, deux à trois jours en Europe et quinze jours en Afrique

« Si les ports ouest-africains ont maintenant la même cadence que Rotterdam, on ne peut pas en dire autant du temps de sortie des boîtes d’un terminal, relève Olivier de Noray. Il faut en moyenne une journée et demie en Asie pour que le conteneur quitte l’environnement portuaire, deux à trois jours en Europe et quinze jours en Afrique. »

Tout l’enjeu d’un développement réussi du continent réside dans le fait de bien connecter les ports à l’intérieur des terres. « Les grandes villes portuaires ne pourront pas absorber une croissance de 5 % par an sur dix ans, estime Yann Alix. Il faut veiller à ne pas reproduire un “modèle” – littoraliser et métropoliser 80 % de la population – sur lequel les Chinois eux-mêmes reviennent, sinon on risque de connaître un sacré chaos. »

Le trafic de conteneurs en hausse de 7,2 %

Selon les chiffres fournis par CMA CGM, le trafic conteneurisé global de l’Afrique subsaharienne progresse de 8,2 % sur les neuf premiers mois, à 7,5 millions d’EVP.

L’Afrique de l’Ouest en représente la moitié, soit 3,451 millions d’EVP, en hausse de 7,2 %. Si le Ghana gagne 10,5 %, le trafic croît de 7,1 % au Nigeria, de 3,3 % en Angola et de 1,8 % en Côte d’Ivoire, mais ce chiffre sera réévalué avec la prise en compte de la campagne de cacao et noix de cajou, qui doit commencer prochainement.

L’Afrique de l’Est (avec 2,115 millions d’EVP, et une hausse de 8,7 %) ainsi que l’Afrique australe (1,664 million, + 11 %) avancent plus vite. La moitié des flux à l’importation de l’Afrique subsaharienne sont en lien avec l’Asie, 31 % dépendent de l’Europe et 19 % émanent des Amériques et d’autres régions du monde.

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