Télécoms : comment MTN veut contourner l’écueil nigérian

Frappé par de nouvelles sanctions, le géant sud-africain ne veut pas plier face aux demandes d’Abuja et prépare sa future croissance. Il envisage la vente de certaines filiales et se concentre sur le développement d’internet et des services en ligne.

Le chiffre d’affaires de l’opérateur a atteint 8,9 milliards d’euros en 2017. © Bloomberg via Getty Images

Le chiffre d’affaires de l’opérateur a atteint 8,9 milliards d’euros en 2017. © Bloomberg via Getty Images

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 30 novembre 2018 Lecture : 7 minutes.

A man looks at his mobile at the end of a strike of MTN workers outside the company’s headquarters in Johannesburg May 20, 2015. About 2,000 workers at MTN Group went on strike on Wednesday demanding higher pay, union leaders said, threatening a prolonged walkout at South Africa’s second-biggest telecoms firm by subscribers. Zodwa Kubeka, spokeswoman for the Communication Workers Union (CWU), said its members at MTN want a 10 percent pay rise and higher allowances for work done over weekends and holidays. REUTERS/Siphiwe Sibeko – GF10000101389 © REUTERS
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Télécoms : quel avenir pour MTN ?

Frappé par de nouvelles sanctions, le géant sud-africain ne veut pas plier face aux demandes d’Abuja et prépare sa future croissance. Il envisage la vente de certaines filiales et se concentre sur le développement d’internet et des services en ligne.

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« Continuez à travailler, le Nigeria ne doit pas nous empêcher d’avancer ! » C’est en ces termes que Rob Shuter, patron du géant sud-­africain des télécoms MTN, communique en interne depuis plusieurs semaines avec ses managers dans ses 21 filiales en Afrique et au Moyen-Orient. Après avoir payé une amende de 1,6 milliard d’euros (pour non-déconnexion de 5,2 millions de lignes aux utilisateurs non identifiés), qui a pesé lourdement sur ses résultats de 2016 et de 2017, l’opérateur aux 225 millions de clients se retrouve de nouveau sur la sellette dans son plus gros marché (27 % de son chiffre d’affaires global).

En août, la Banque centrale nigériane lui a reproché d’avoir illégalement sorti du pays 7 milliards d’euros sur une dizaine d’années. Puis, en septembre, le procureur général du pays a estimé que MTN n’avait pas payé 1,7 milliard de taxes et droits de douane.

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Immédiatement, le cours de l’entreprise, dont le chiffre d’affaires a atteint 8,4 milliards d’euros l’an dernier, a plongé à la Bourse de Johannesburg. Entre le 31 juillet et le 13 septembre, la valorisation du titre de MTN est passée de 114,5 rands (7,40 euros) à 70 rands, effaçant plus d’une décennie de hausse. Et même si elle a repris des couleurs depuis début octobre, elle plafonnait le 20 novembre autour de 85 rands. Jadis très élogieux sur la valeur, de nombreux analystes financiers découragent désormais les investisseurs d’intégrer MTN dans leur portefeuille de placement. « C’est un énorme pas en arrière pour le Nigeria et un nouveau coup dur pour MTN, nous surveillons la situation de très près », estime Michael Treherne, gestionnaire du fonds d’investissement sud-africain Vestact.

Une réussite éclatante, pas au goût du pouvoir politique ?

Alors, quand Rob Shuter, qui refuse toutes les interviews – au cours desquelles il serait inéluctablement interrogé sur le brûlant sujet nigérian –, se présente tout sourire le 13 novembre à l’AfricaCom, le plus important Salon des télécoms du continent, organisé au Cap, la bonne humeur semble un peu surjouée. « Il y a un véritable black-out sur les tractations en cours au Nigeria, par peur d’une fuite qui crispe les autorités d’Abuja », observe Thecla Mbongue.

Pour cette analyste du cabinet Ovum, le problème de MTN ne tient pas à la Commission de régulation des télécoms du pays, compétente et disposée à travailler avec le groupe sud-africain depuis le règlement de son amende de 1,6 milliard d’euros, mais au pouvoir politique, très souverainiste. La réussite éclatante de l’opérateur, pionnier et leader du marché depuis 2001, n’aurait pas suffisamment profité aux intérêts nationaux.

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>> A LIRE – Télécoms : Rob Shuter met MTN au pas

Parce que notre filiale nigériane est profitable, les autorités seraient comme incitées à vouloir nous infliger à nouveau d’autres sanctions sur des motifs fallacieux

À Joburg, après une phase d’audit interne qui, selon une source du groupe, n’a pas révélé d’irrégularités, le dossier est suivi au quotidien par un nombre restreint de responsables au sein de la direction financière, du contrôle interne, des services juridiques et réglementaires – en plus de la direction de la filiale, pilotée depuis décembre 2015 par le Sud-Africain Ferdi Moolman. Contrairement à 2015, année de la première amende record, aucune sanction n’a été prononcée contre le management local.

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En l’absence de preuves, le groupe entend ne rien céder aux Nigérians. « Si nous acceptions de payer, ce serait comme ouvrir la boîte de Pandore, alors que nous nous sommes déjà acquittés d’une lourde amende ces deux dernières années. Parce que notre filiale nigériane est profitable, les autorités seraient comme incitées à vouloir nous infliger à nouveau d’autres sanctions sur des motifs fallacieux. Et cela pourrait aussi mal inspirer les autorités d’autres pays subsahariens », assure un haut cadre de MTN.

Et ce, même si la presse nigériane puis l’agence Bloomberg se sont fait l’écho début novembre d’un possible accord à l’amiable autour de 710 millions d’euros pour la seule amende (rien n’a filtré en revanche du côté du redressement fiscal).

Point de recharge MTN Mobile Money (image d'illustration). © Olivier pour Jeune Afrique

Point de recharge MTN Mobile Money (image d'illustration). © Olivier pour Jeune Afrique

Acquisition d’une licence de mobile-banking en 2019

Pour l’heure, en attendant les audiences judiciaires des 3 et 4 décembre à Abuja, ces nouveaux rebondissements ne remettent pas en question la présence de l’opérateur dans le pays, bien au contraire. Rob Schuter a annoncé que MTN allait acquérir une licence de mobile banking au deuxième trimestre de 2019 pour pouvoir lancer son service de paiement mobile maison, MoMo (pour mobile money), dans le pays. Un créneau qu’il ne veut pas laisser à ses principaux rivaux, Airtel, Globacom et 9Mobile, eux aussi sur les rangs, dans un marché au potentiel gigantesque, puisque 115 millions de Nigérians n’ont pas de compte bancaire.

Le groupe se dit aussi désireux de poursuivre le projet d’introduction d’une partie de son capital de sa filiale à la Bourse de Lagos, également souhaitée par les autorités, pour asseoir sa base locale, à l’image de celle qu’il a réalisée au Ghana en mai 2018. Mais seulement une fois que ses différends avec la Banque centrale et le procureur général seront résolus, pour ne pas voir la valorisation de sa filiale pénalisée par les affaires en cours.

Éviter de faire des péripéties nigérianes de MTN un feuilleton quotidien semble être la première préoccupation de la direction. Plutôt que d’en parler à l’AfricaCom, Rob Shuter a préféré profiter de l’événement, qui rassemblait 14 000 professionnels, pour dévoiler sa stratégie afin de doper la part de ses clients accédant à l’internet sur leurs mobiles. « Seulement un tiers d’entre eux – autour de 72 millions de personnes – se connectent régulièrement à internet via leur téléphone, le reste se contentant des communications vocales et des SMS. Nous devons plus que doubler cette proportion chez nos abonnés dans les cinq années à venir », a martelé le CEO et président du groupe, qui fut jadis directeur financier de Vodacom, ennemi intime de MTN en Afrique du Sud.

>> A LIRE – Mobile money : Orange et MTN lancent l’interopérabilité de leurs services en Afrique

Développement de services financiers et divertissements en ligne

Avec cet objectif, le dirigeant formé à l’université du KwaZulu-Natal et à celle du Cap a annoncé le lancement d’un smartphone non tactile à 20 dollars, accédant aux réseaux 3G, doté d’applications Google basiques et du paiement sur mobile, conçu en partenariat avec China Mobile et la start-up KaiOS (lire encadré p. 58). MTN espère en écouler dix millions d’exemplaires dans les trois années à venir.

MTN est confronté, comme ses concurrents, à une stagnation de ses revenus voix. Leur croissance ralentit à mesure que le taux de pénétration de la téléphonie mobile progresse (souvent supérieur à 100 %) et que WhatsApp et les autres services gratuits se substituent aux services des opérateurs pour passer des appels et envoyer des messages via internet, notamment vers l’international.

Pour Rob Shuter et ses concurrents, l’augmentation de la consommation d’internet est la promesse d’un accroissement des revenus des opérateurs grâce à la vente de data et de services payants. Outre le développement de services financiers, MTN parie sur les divertissements en ligne, notamment ceux de Simfy Africa, service de streaming musical pourvu de nombreux contenus africains, racheté fin octobre 2018, ou encore de vente en ligne via Jumia, dont MTN est le premier actionnaire.

Une affiche de l'opérateur de téléphonie mobile MTN à Cotonou, au Bénin © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Une affiche de l'opérateur de téléphonie mobile MTN à Cotonou, au Bénin © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Cinq millions de nouveaux clients dans l’Internet mobile

Cette stratégie commence à porter ses fruits. La présentation des résultats du troisième trimestre de 2018, avec pas moins de 5 millions de nouveaux clients dans l’internet mobile et une progression de 10 % des revenus du groupe par rapport à la même période l’année précédente, explique l’essentiel du petit rebond boursier du début d’octobre.

« Il faut reconnaître que le portefeuille de 225 millions de clients de MTN, dont les dépenses dans l’internet mobile progressent sensiblement mois après mois, est un argument majeur pour être optimiste à long terme », reconnaît Michael Treherne du fonds d’investissement Vestact.

Parallèlement à son plan pour la croissance de l’internet mobile chez ses abonnés, la direction générale de MTN a reconnu il y a plusieurs mois réaliser une revue de son portefeuille de filiales. Le directeur financier du groupe, Ralph Mupita, avait averti en mars 2018 que les filiales du Bénin, du Cameroun, du Liberia et de la Guinée étaient sur la sellette, soit en raison de leur faible rentabilité, soit de leur environnement trop difficile.

>> A LIRE – Téléphonie : MTN affirme son intention de garder ses filiales béninoise et camerounaise

Envisager des cessions pour mieux pénétrer les nouveaux marchés

Pour les observateurs, cette politique pourrait être inspirée par les dirigeants du groupe passés par Vodacom (dont Rob Shuter, mais aussi le directeur des opérations, Jens Schulte-Bockum, ainsi que le directeur de la filiale sud-africaine, Godfrey Motsa), un rival moins éparpillé géographiquement (dans cinq pays subsahariens contre seize pour MTN), mais dont la capitalisation boursière à Johannesburg est plus importante (221 milliards de rands pour Vodacom contre 158 milliards pour MTN le 21 novembre).

Au Bénin, où MTN est leader du marché, avec 4 millions d’abonnés, des discussions approfondies avec les autorités, le paiement d’une amende pour des redevances impayées et la réintégration à la fin de mai 2018 de Stephen Blewett à son poste de DG de la filiale, expulsé du pays en novembre 2017, auraient mis un terme aux tensions. Quant à la filiale camerounaise, si elle est jugée insuffisamment rentable, avec une activité dans la partie anglophone rendue compliquée par la situation politique, la taille du marché et son potentiel ont fait réfléchir les dirigeants du groupe. Selon nos informations, seules les cessions de deux filiales seraient encore envisagées : au Liberia, où la guerre avec Orange casse ses marges, et en Guinée.

En septembre, MTN avait déjà annoncé la vente de sa petite filiale chypriote, son unique présence dans l’Union européenne, avec laquelle le groupe avait peu de synergies. Des cessions sur le continent seraient aussi une façon de prouver aux pouvoirs publics que MTN est capable de quitter un pays, s’il juge que l’environnement des affaires ne lui est plus favorable. Et de financer en partie son entrée sur de nouveaux marchés prometteurs dont il est absent, comme l’Éthiopie et l’Angola, qui sont en train de s’ouvrir aux investisseurs étrangers.

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