Tanzanie : au cœur du Vieux Boma, un passé en pierre de corail et bois de mangrove

Avec cet ancien bâtiment, le Dar Center for Architectural Heritage, qui milite pour la préservation du patrimoine de Dar es-Salaam, a trouvé son repaire.

Un édifice d’un blanc immaculé construit par le sultan de Zanzibar Majid Ben Saïd en 1866. © Photo12/Alamy

Un édifice d’un blanc immaculé construit par le sultan de Zanzibar Majid Ben Saïd en 1866. © Photo12/Alamy

Publié le 28 novembre 2018 Lecture : 4 minutes.

«Nous sommes fiers que le plus vieux bâtiment de Dar es-Salaam soit toujours debout, bien qu’il ait été menacé de démolition », se réjouit Aida Mulokozi, directrice du Dar Center for Architectural Heritage (Darch), une organisation qui milite pour la préservation du patrimoine architectural de Dar es-Salaam. C’est dans le Vieux Boma, une bâtisse d’un blanc étincelant posée sur le front de mer, que le Darch a installé ses quartiers. « C’est un lieu symbolique de ce qui était un village de pêcheurs il y a cent cinquante ans et est devenu l’une des principales villes d’Afrique de l’Est », ajoute Mulokozi.

Le Vieux Boma a été construit par le sultan Majid de Zanzibar en 1866 pour accueillir ses hôtes à cet emplacement qu’il avait baptisé « havre de paix » et qui est devenu la ville la plus peuplée de Tanzanie avec ses 4 millions d’habitants. Entre-temps, l’édifice a servi de bureau de l’administration coloniale allemande à partir de 1887, de poste de police et de prison sous la domination anglaise à partir de 1916, puis de bureaux de l’État tanzanien après l’indépendance, en 1962. « Ce seul bâtiment dit beaucoup de l’histoire de Dar es-Salaam, constate Annika Seifert, architecte allemande qui figure parmi les fondateurs du Darch. Nous n’aurions pas pu trouver meilleur lieu pour installer l’organisation. »

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Démolition évitée

Le Darch s’est formé en 2014 en réunissant des personnes et des structures désireuses d’œuvrer à la préservation et à la promotion du patrimoine d’une ville en pleine métamorphose. Parmi elles, on compte l’Association des architectes tanzaniens, l’université d’architecture de Dar es-Salaam, le Goethe-Institut de Tanzanie ou encore le magazine d’architecture Anza et la maison d’édition tanzanienne Mkuki na Nyota.

« Notre première idée était de défendre le patrimoine urbain et architectural, et pour cela de réfléchir à la manière d’en parler au gouvernement et aux différentes parties prenantes », explique Annika Seifert. Rapidement, l’organisation a souhaité s’installer dans un lieu qu’elle pourrait rénover en mobilisant les meilleures pratiques existantes.

C’est finalement le Conseil de la ville qui a proposé le Vieux Boma. « Le bâtiment était déjà protégé par la loi, ce qui est très rare en Tanzanie », explique Annika Seifert. Il a été reconnu patrimoine national en 1995, après avoir évité de justesse une démolition définitive…

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Visites guidées

L’architecture du Vieux Boma est typique des constructions d’inspiration omanaise de la seconde moitié du XIXe siècle, que l’on trouve notamment à Zanzibar. La structure en pierre de corail et en bois de mangrove est blanchie à la chaux. Ses trois étages sont surmontés d’un toit plat et crénelé. Une porte de bois massive sculptée et ornée de piques métalliques en constitue l’entrée. Le Darch a d’ailleurs engagé un entrepreneur de Zanzibar pour la rénovation, qui s’est achevée en 2016 après un an de travaux.

Le lieu a finalement été ouvert au public en juin 2017. Il propose une exposition permanente sur l’histoire de Dar es-Salaam, en swahili, la langue nationale, et en anglais. En croisant mémoire orale et archives entreposées en Tanzanie, en Allemagne et au Royaume-Uni, cette exposition retrace l’histoire de la ville de manière richement illustrée. L’espace réservé aux expositions temporaires en a déjà accueilli cinq.

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Des visites guidées dans les rues de Dar es-Salaam sont également organisées à la demande. « Ces tours sont une manière de donner l’occasion aux participants d’engager un dialogue avec l’architecture de la ville, de s’impliquer émotionnellement dans ses bâtiments », analyse Aida Mulokozi, qui a toujours à l’esprit que le combat du Darch est de s’assurer que les monuments historiques restent debout.

« En créant des connexions particulières entre les gens et les bâtiments, au moins nous aurons des personnes qui les connaîtront et qui pourront peut-être les défendre, si nécessaire », explique-t-elle. Ces visites guidées ont d’ailleurs été mises en place dès août 2016, un an avant l’ouverture du Vieux Boma et de son exposition permanente.

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Il y a toute une partie de notre histoire que nous ne connaissons pas, reconnaît un ancien cadre de l’ONU. La ville n’appartient pas qu’au gouvernement

« L’idée que le patrimoine urbain n’est pas en contradiction avec le développement se répand dans les discours publics, et j’aime à penser que le Darch joue un rôle dans cela », commente Annika Seifert. « L’un de nos défis est de sensibiliser à la préservation du patrimoine dès le plus jeune âge », ajoute Aida Mulokozi.

Depuis juin 2018, le Darch a ainsi rendu visite à une dizaine d’écoles publiques de Dar es-Salaam « pour parler aux élèves de l’existence et de l’importance de ces bâtiments historiques ». « Il y a toute une partie de notre histoire que nous ne connaissons pas, reconnaît cet ancien cadre de l’ONU qui a notamment travaillé au Rwanda. Nous allons dans les écoles pour réveiller un peu les consciences. La ville n’appartient pas qu’au gouvernement. »

La directrice du Darch estime que le Vieux Boma a reçu environ 5 000 visiteurs en un peu plus d’un an, et 1 500 personnes ont participé aux visites guidées dans la ville. « C’est aussi une manière d’obtenir des fonds. » Le lancement du Darch et la rénovation ont été permis par un financement européen pour le patrimoine culturel arrivé à terme en juin 2017. L’ONG cherche désormais à diversifier ses ressources.

Étymologie controversée

Le mot « boma » est couramment utilisé en Afrique de l’Est. Il sert généralement à désigner des bâtiments ayant accueilli l’administration coloniale allemande ou anglaise, comme ce fut le cas pour le Vieux Boma de Dar es-Salaam. Au fil du temps, une explication s’est forgée soutenant que Boma serait un acronyme pour « British Overseas for Military Administration ». Pourtant, les linguistes soulignent que ce terme swahili, d’origine bantoue, est antérieur à la colonisation. Il désignerait un « espace fortifié », et l’acronyme serait pure invention.

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