[Édito] L’Afrique n’est pas encore partie
Nombre d’entre vous s’interrogent et m’interrogent : l’Afrique est-elle, comme on nous l’assure, en train de rattraper son retard ? Ou bien est-elle encore en stagnation, voire en régression ?
Je me proposais de consacrer le Ce que je crois de cette semaine à cette question. Mais l’actualité m’impose d’aborder au préalable deux sujets non africains dont les médias du monde entier se font largement l’écho.
1) L’affaire Jamal Khashoggi, du nom de cet opposant saoudien assassiné le 2 octobre à Istanbul par des agents que le dictateur Mohammed Ben Salman (MBS) avait envoyés de Riyad à cet effet. Ce crime d’État continue de servir à la presse américaine et au président turc pour « remuer le fer dans la plaie ». Mais le président des États-Unis, Donald Trump, vient de dire, aussi cyniquement qu’il le pouvait, « passons à autre chose ».
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Le 21 novembre, il a fait cette déclaration, qui équivaut à un enterrement sans fleurs ni couronnes, et se veut définitive : « L’Arabie saoudite considérait Jamal Khashoggi comme un “Frère musulman” et un ennemi… Le prince héritier était au courant de l’assassinat – ou pas. Mais l’Arabie saoudite est un solide allié dans notre lutte contre l’Iran et un acheteur important de produits américains. Les États-Unis ont sanctionné les exécutants de cet horrible assassinat mais demeurent un fidèle ami et partenaire de l’Arabie saoudite et de son gouvernement. »
2) La chute de Carlos Ghosn
Recruté à Renault par Louis Schweitzer, cet homme d’origine libano-brésilienne, produit des grandes écoles françaises, était depuis près de vingt ans patron du français Renault et du japonais Nissan, qu’il a sauvé de la faillite. Il a fait de cet ensemble une alliance de sociétés solidaires et complémentaires, lui a adjoint Mitsubishi et constitué ainsi l’un des trois poids lourds de l’industrie automobile mondiale. Il a exigé et obtenu d’être très bien payé, de voyager en avion privé comme un chef d’État, de garder entre ses mains les rênes de cet immense groupe.
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Mégalomane, suffisant et arrogant, il s’est fait beaucoup d’ennemis, et celui qui a joué le rôle de procureur – et de Brutus – n’est autre que le Japonais Hiroto Saikawa, son numéro deux depuis quinze ans. La chute de Carlos Ghosn, aussi brutale qu’inattendue, rappelle celle, il y a plus de sept ans, de Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du FMI et promis à être élu président de la République française.
Nous avons tous, Carlos Ghosn inclus, sous-estimé l’humiliation ressentie par les Japonais
Carlos Ghosn, lui, a été cueilli par la police japonaise dans « son » avion à son arrivée à Tokyo. Il est, depuis une semaine, seul, sans l’assistance d’un avocat, dans une cellule non chauffée, accusé de fraude fiscale et d’autres délits plus infamants encore. Le procureur japonais espère ainsi le faire « craquer ». Il a été démis de toutes ses fonctions et encourt plusieurs années de prison. Il n’a été soutenu ou défendu par personne, ni en France, ni au Japon, ni ailleurs. Et nul n’a émis le moindre grief contre la justice japonaise, dont les décisions sont acceptées sans discussion dans le monde entier.
Nous avons tous, Carlos Ghosn inclus, sous-estimé l’humiliation ressentie par les Japonais, encore réduits à recourir à des Européens ou à des Américains qu’ils surpayent pour sauver leurs entreprises ; ils ont rejeté Carlos Ghosn dès qu’ils l’ont suspecté de vouloir fusionner Nissan et Renault, de faire ainsi de Nissan une marque française. Quant à Carlos Ghosn, il a été victime de son amour excessif de l’argent, qu’il n’a cessé d’amasser. Sa chute est « un tsunami », mais l’affaire Carlos Ghosn ne fait que commencer.
3) Le continent africain
Réunis à Addis-Abeba lors d’un sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA), une bonne vingtaine de chefs d’État ont adopté, le 18 novembre, les principales propositions de Paul Kagame, président en exercice de l’Union. Si elles sont mises à exécution, ces réformes rendront l’organisation panafricaine, à partir de 2019, plus efficace et plus autonome.
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Au début de 2018, l’Afrique du Sud s’est donné comme président Cyril Ramaphosa, en remplacement de Jacob Zuma, qui la menait à la ruine, tandis que l’Éthiopie se choisissait un Abiy Ahmed comme Premier ministre. L’un et l’autre ont suscité un immense espoir. Mais les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ? Souhaitons-le, car le reste de l’Afrique, à de rares exceptions près, va mal. En voici quelques exemples.
- Le Zimbabwe ?
Il a certes forcé Robert Mugabe, 94 ans et quarante années de pouvoir, à se retirer. Mais ce sont ses camarades qui lui ont succédé il y a déjà un an, et c’est son parti qui gouverne. Ils nous promettent le changement, et nous ne voyons que de la continuité.
- L’Angola ?
José Eduardo dos Santos a lâché prise après trente-huit années aux affaires, au cours desquelles lui, sa famille et son entourage ont pillé leur riche pays. Le successeur qu’il a installé a certes fait le ménage et multiplié les promesses. Mais, là aussi, nous avons surtout vu depuis un an des marques de continuité.
- Le Cameroun ?
Paul Biya, Premier ministre puis président depuis quarante ans, vient, à 85 ans, de rempiler pour sept années de plus. D’où viendrait le changement ?
- La RD Congo ?
L’actuel président, Joseph Kabila, a hérité de la fonction de son père au début de ce siècle. Il s’est enfin résigné à la quitter, mais semble avoir trouvé le moyen de partir tout en restant.
Dans combien de pays africains les élections sont-elles transparentes, pluralistes et honnêtes ? Un peu partout gagne celui qui triche le mieux
On a beau regarder le continent, on n’y trouve que des pays submergés de problèmes, comme le Nigeria ou l’Égypte, la Tunisie ou l’Algérie. Ou, plus grave, des pays sans État, comme la Somalie, la Libye ou la Centrafrique. Ou bien encore, comme au Sahel, des pays en guerre larvée, occupés par des armées étrangères qui assurent l’essentiel de leur (relative) sécurité.
Devrait préoccuper chacun de nous le fait que la pauvreté s’est accrue, que le paludisme fait davantage de victimes. Et la dérive de la démocratie à l’africaine. Certes, dans toute l’Afrique, le pouvoir ne s’acquiert désormais que par les urnes. Mais dans combien de pays africains les élections sont-elles transparentes, pluralistes et honnêtes ? Un peu partout gagne celui qui triche le mieux. Où voyons-nous en Afrique le vaincu d’un scrutin reconnaître sa défaite et féliciter le vainqueur ?
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