Diabète : l’Algérie, un marché stratégique pour les laboratoires
Davantage attirés par des débouchés locaux en forte croissance que par les perspectives d’exportation, les géants du secteur pharmaceutique se sont trouvé un nouveau pôle industriel.
Santé : des opportunités pour le secteur privé
Dans ce dossier, Jeune Afrique dresse un panorama du secteur de la santé sur le continent. Stratégies, innovations, résultats…
Le groupe Novo Nordisk a lancé en mars, avec l’entreprise publique Saidal, les travaux de construction d’une usine de fabrication d’insuline en Algérie, à Boufarik, à une trentaine de kilomètres d’Alger, pour un investissement de 73,4 millions de dollars.
Dès 2019, elle pourra produire 45 millions d’unités de cette substance indispensable à la survie des personnes atteintes du diabète de type 1 et nécessaire à certains malades du type 2. Leader mondial dans le traitement de cette maladie, le laboratoire danois n’a pas attendu la restriction en Algérie, au début des années 2010, de l’importation de médicaments équivalents à ceux localement produits pour y investir.
Il a installé en 2006, à Tizi-Ouzou, sa seule unité mondiale de production d’antidiabétiques oraux, dont il a étendu les capacités en 2015. Il est aussi en partenariat depuis 2012 avec Saidal, à Constantine, pour couvrir les besoins nationaux en insuline humaine.
2,4 millions de diabétiques en Algérie
Dans son rapport annuel 2018, Novo Nordisk fait de l’Algérie un « marché stratégique » dans lequel investir, dans la région AAMEO (Afrique, Asie, Moyen-Orient et Océanie), aux côtés de la Russie et de l’Iran. L’obligation, depuis 2009, pour un investisseur étranger de s’associer à hauteur de 49 % au maximum avec un opérateur local n’a pas été une entrave pour l’entreprise danoise.
Pas plus que pour le numéro deux mondial de la production d’insuline, le français Sanofi, qui vient d’inaugurer son plus grand complexe en Afrique et qui souhaite y fabriquer ses antidiabétiques. Le PDG du groupe dans le pays, Haissam Chraiteh, a indiqué en octobre qu’il attendait une réponse des autorités à la demande qu’il a formulée en ce sens. L’allemand Merck a de son côté mis en route en novembre 2015 la production pour le marché local d’un antidiabétique oral, le Glucophage.
L’Algérie est le sixième pays qui compte le plus grand nombre de cas de diabètes de type 1 chez les enfants et les adolescents en 2017.
Si les géants mondiaux du secteur s’intéressent à l’Algérie, c’est d’abord pour la taille de son marché. L’International Diabetes Federation (IDF) estime à environ 2,4 millions le nombre de personnes qui y sont atteintes de diabète, quand les médecins locaux pensent que, dès lors qu’une personne sur deux ignore sa maladie, ce chiffre pourrait être deux fois plus élevé.
Une enquête réalisée en 2016-2017 par le ministère de la Santé, avec l’OMS, a révélé que plus de 14 % des Algériens âgés de 18 ans à 69 ans souffrent de diabète, contre 8 % il y a quinze ans. Toujours selon l’IDF, avec 42 500 cas, l’Algérie, derrière les États-Unis, l’Inde, le Brésil, la Chine et la Russie, est le sixième pays qui compte le plus grand nombre de cas de diabètes de type 1 chez les enfants et les adolescents en 2017.
Les marchés des bandelettes
Mais, pour qu’un fabricant puisse vendre ou produire ses médicaments dans un marché, encore celui-ci doit-il être solvable. Dans les pays émergents, le reste à charge est en moyenne de 60 % (25 % dans les pays matures), estimait en 2016 Peter Guenter, ancien responsable des marchés émergents à Sanofi. C’est un obstacle au déploiement des Big Pharma dans ces régions, pourtant un relais de croissance essentiel avec l’innovation. Pas en Algérie, où le diabète est pris en charge à 100 % par la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas).
En août, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale a détaillé la facture pour l’année 2017 : 1,5 million de personnes prises en charge, et des frais de médicaments qui se sont élevés à 37,76 milliards de dinars (278,5 millions d’euros). Au total, cela représente 19,6 % de la dépense globale en remboursement du médicament.
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L’Algérie est privilégiée en Afrique, où l’insuline, pourtant vitale, n’est disponible pour le public que dans 30 % des pays, selon une étude (portant sur 26 pays de l’Afrique subsaharienne) publiée par la revue scientifique The Lancet. Mais tous les produits n’y sont pas pris en charge, et des progrès restent à réaliser.
L’un des dossiers remis sur la table en août concerne la limitation du nombre de bandelettes d’autosurveillance glycémique remboursées pour certains malades. Après s’être attiré les foudres des associations de patients, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a assuré que ces bandelettes sont « importées à des proportions inquiétantes » (8,5 millions de boîtes) et ont coûté 13,5 milliards de dinars en 2017.
Une opportunité qu’Ascensia, né en 2016 du rachat de Bayer Diabetes Care par Panasonic Healthcare Holdings, veut saisir. Leader dans la fabrication des produits d’autosurveillance de la glycémie, elle a investi cette année 25 millions de dollars dans la construction de sa deuxième usine dans le monde, à l’ouest d’Alger, en association avec le laboratoire Imedial.
Les travaux dureront deux ans, et la moitié des 10 millions de bandelettes produites sera rachetée par les filiales d’Ascencia (31 pays en filiales et 125 en distribution) pour faire de l’Algérie « une plateforme de production pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique ».
Réduire les frais liés aux complications
L’autre débat porté notamment par Novo Nordisk, qui revendique 60 % de part de marché en Algérie dans les antidiabétiques, concerne le schéma thérapeutique. Le groupe met en avant l’efficacité de traitements récents, notamment dans le contrôle du risque cardiovasculaire et dans celui de l’hypoglycémie, qu’il aimerait voir remboursés. Outre l’amélioration de la santé des malades, ces produits permettraient de réduire les frais liés aux complications associées au diabète.
« La population diabétique algérienne est surinsulinisée », commentait en octobre le vice-président Maghreb de Novo Nordisk, Jean-Paul Digy, lors d’une conférence de presse consacrée aux nouvelles recommandations internationales. « Des études, expliquait-il, ont démontré que les nouvelles molécules réduiraient le taux de l’insulinisation entre 8 % et 24 %, avec des économies qui se comptent en milliards de dollars. » Le Dr Sellam, président de la Société algérienne des affaires réglementaires et de la pharmaco-économie, estimait ces économies à 40 000 dinars par patient et par an. La seule variété de ce produit autorisée sur le marché algérien est le Victoza, importé par Novo Nordisk et bientôt fabriqué dans son usine de Blida, mais il n’est pas encore pris en charge. « Si le Victoza n’est pas remboursé, nous ne le produirons pas dans notre nouvelle usine », a prévenu Jean-Paul Digy.
Le Lantus
Autre enjeu : l’usine que Sanofi, numéro un en Algérie avec 12 % de part du marché du médicament, souhaite construire doit notamment produire le Lantus. Cette insuline, star du groupe français, a généré 6,3 milliards de dollars de revenus en 2014. Mais, importée sur le marché algérien depuis 2004, elle est concurrencée dans le monde après avoir perdu son brevet en 2015, ce qui a permis la fabrication de « biosimilaires », moins onéreux.
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Aux États-Unis, plus grand marché mondial, l’arrivée du Basaglar, biosimilaire produit par les groupes Eli Lilly et Boehringer, a fait fondre les revenus de Sanofi, alors même qu’explosait une polémique, en justice, sur les coûts des antidiabétiques. CVS, l’un des organismes de remboursement américains, a remplacé en 2017 le Lantus par le Basaglar.
Moins de 1 % des dépenses mondiales
En 2017, les personnes atteintes de diabète en Afrique subsaharienne ont, selon l’International Diabetes Federation, dépensé 3,3 milliards de dollars en soins de santé. Cela représente moins de 1 % des dépenses mondiales, alors que la région abrite 3 % des personnes malades. La Guinée équatoriale, l’Afrique du Sud et la Namibie sont les pays dont les dépenses moyennes ont été les plus élevées, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et Madagascar présentant les dépenses les plus faibles.
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