RDC : Ramazani Shadary, l’homme du président

À la surprise générale, Joseph Kabila a fait de Emmanuel Ramazani Shadary son dauphin. Fort d’un solide réseau local, pourra-t-il fédérer son propre camp et, surtout, s’émanciper de la tutelle du chef de l’État ?

Dans la cathédrale Notre-Dame-du-Congo, à Kinshasa, lors du lancement officiel de sa campagne, le 24 novembre. © John WESSELS/AFP

Dans la cathédrale Notre-Dame-du-Congo, à Kinshasa, lors du lancement officiel de sa campagne, le 24 novembre. © John WESSELS/AFP

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Publié le 3 décembre 2018 Lecture : 8 minutes.

Félix Tshisekedi, quelques instants après la proclamation de sa victoire par la Ceni, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2019. © REUTERS/Olivia Acland
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Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?

Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.

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C’est un endroit discret dans le centre-ville de Kinshasa, au croisement des avenues Batetela et Gombe. De jeunes Kinois privilégiés ont pris place sur la terrasse. À l’intérieur du bâtiment, une boîte de nuit joue des anciens succès de la rumba congolaise. OK Jazz, Zaïko Langa Langa, Choc Stars… C’est ici qu’Emmanuel Ramazani Shadary a longtemps eu ses habitudes. Mais ça, c’était avant qu’à la surprise générale, le 8 août dernier, Joseph Kabila en fasse officiellement son dauphin et que la vie de cet homme, proche du président mais inconnu du grand public, bascule.

« C’était notre coin, raconte Adolphe Lumanu, l’un de ses bras droits. Mais vous vous doutez bien que, maintenant, il ne peut plus venir. Il est potentiellement le prochain chef de l’État ! » Sous la lumière des boules à facettes, cet ancien directeur de cabinet du chef de l’État dit ne pas avoir été surpris de le voir choisi comme candidat du Front commun pour le Congo (FCC) pour la présidentielle du 23 décembre. À l’en croire, le fidèle Ramazani a même toujours figuré sur la short list de Kabila. « Il ne le savait sans doute pas, mais le président le préparait depuis longtemps. »

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« Coup sur coup »

C’est peu dire qu’Emmanuel Ramazani Shadary vient de loin. Né il y a 58 ans dans l’est de la RD Congo, dans un petit village du territoire de Kabambare, dont est aussi originaire Mama Sifa, la mère de Joseph Kabila, il grandit dans une famille modeste. Sa mère est vendeuse de poissons, et son père comptable pour une église locale.

« Il était très engagé dans la vie paroissiale, mais aussi au sein du Mouvement national congolais, de Patrice Lumumba », raconte Ramazani. Et il croit son fils promis à un grand destin politique : « Quand j’ai eu 14 ans, il a commencé à me répéter qu’un jour je serais ministre et que j’exercerais de hautes fonctions au sommet de l’État. »

Après l’assassinat de Lumumba, en 1961, et pour échapper à la traque dont sont alors victimes ses partisans, Ramazani père se réfugie à Bukavu et abandonne la politique. Il se lance avec succès dans le commerce et envoie son fils à l’université de Lubumbashi. Celui-ci en sort cinq ans plus tard avec une licence de sciences politiques, obtenue avec mention, et un surnom : « coup sur coup ».

De retour dans le Maniema, il se découvre un goût pour la politique et milite au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, dont il affrontera le candidat – Félix Tshisekedi – le 23 décembre). Lorsqu’est organisée la Conférence nationale, au début des années 1990, il ne pèse pas suffisamment lourd pour que le parti l’envoie à Kinshasa. Mais il ne manquerait ça pour rien au monde et parvient, grâce aux Kassapards, l’association des anciens étudiants de l’université de Lubumbashi, à obtenir son ticket pour la capitale.

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Il y débarque, pressé de rencontrer les quatre leaders de l’UDPS qu’il admirait de loin : Étienne Tshisekedi, Vincent-Robert Mbwankiem, Frédéric Kibassa Maliba et Marcel Lihau, qui le prendra sous son aile. C’est la grande époque de la lutte contre Mobutu et, des années plus tard, Ramazani en garde encore « un très bon souvenir ».

Militant de l’UDPS au début des années 1990, Ramazani (1) en admirait les leaders Étienne Tshisekedi (2) et Frédéric Kibassa Maliba (3). © DR

Militant de l’UDPS au début des années 1990, Ramazani (1) en admirait les leaders Étienne Tshisekedi (2) et Frédéric Kibassa Maliba (3). © DR

À mesure que le temps passe, il prend de l’épaisseur. En 1997, il est élu par acclamation vice-gouverneur du Maniema, sous le regard de Laurent-Désiré Kabila, le porte-parole de la rébellion qui, quelques mois plus tard, chassera le vieux maréchal du pouvoir. Mais dès l’année suivante, alors qu’il a été promu gouverneur, une nouvelle insurrection appuyée par le Rwanda le contraint à fuir vers Kinshasa.

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C’est le début d’une longue traversée du désert, « une période très difficile ». Dans la capitale, il peine à trouver sa place, loue ses services de consultant ici et là, puis finit par être approché par les services de renseignements. Un épisode qu’il préfère passer sous silence, se contentant de reconnaître qu’il a « travaillé comme correspondant ». Ce Mubangubangu discret mais tenace rebondit sur la scène politique en 2001, quand Joseph Kabila arrive au pouvoir.

Ascension politique

Les deux hommes se connaissent depuis longtemps, « depuis l’époque où il était encore chef d’état-major des forces terrestres, et moi gouverneur », précise Ramazani Shadary. Son père vient d’être assassiné, et le nouveau président tient à s’entourer d’un petit cercle de fidèles. Ramazani n’en fait pas vraiment partie, mais il s’en rapproche, jusqu’à devenir l’un des membres fondateurs du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la formation de Joseph Kabila. En 2006, il se fait élire député de Kabambare – siège qu’il conservera en 2011.

Petit à petit, il s’impose comme l’un des piliers de la majorité à l’Assemblée. Mais c’est à l’approche de la fin du second mandat de Kabila, en décembre 2016, que son ascension s’accélère. Le voici nommé vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur. Il laisse donc son siège de député à sa première suppléante : son épouse, Wivine Païpo Ngweli. À Kinshasa, certains murmurent d’ailleurs qu’elle « a un peu trop d’ascendant sur lui ». Mais l’intéressé conteste : « Ma femme ne s’occupe pas des affaires politiciennes. Elle m’aide beaucoup dans la prière. C’est ce qui fait notre force. »

J’ai déjà sillonné le pays à plusieurs reprises, je connais les problèmes et les attentes de la population plus que tout autre candidat

Nommé au gouvernement, Ramazani prend soin de se rendre dans les 145 territoires du pays pour installer des responsables locaux. Et ce faisant, il se construit un réseau local dense et solide, qui lui sera très utile le 23 décembre. Même ses adversaires le reconnaissent. Désigné secrétaire permanent du PPRD en février dernier, il n’hésite pas à refaire « un tour du Congo ».

« Finalement, avec cette campagne électorale, je ne procède qu’à une vérification de routine sur le terrain, nous confiait-il le 28 novembre. J’ai déjà sillonné le pays à plusieurs reprises, je connais les problèmes et les attentes de la population plus que tout autre candidat. »

Sanctions européennes

En mars 2017, l’Union européenne l’a sanctionné pour « entraves au processus électoral » et « violations des droits de l’homme » lorsqu’il était au gouvernement. Cela ne risque-t-il pas de le gêner dans sa course à la magistrature suprême ? « L’UE a été induite en erreur par Didier Reynders [ministre belge des Affaires étrangères et européennes]. Ce monsieur que je n’ai jamais rencontré a pris parti pour certains opposants et pensé qu’en s’attaquant à moi il affaiblirait le président. C’est injuste parce que d’autres candidats peuvent se permettre d’aller faire du lobbying en Europe et pas moi. »

Ce n’est pas Barnabé Kikaya Bin Karubi, le conseiller diplomatique du chef de l’État, qui lui demandera de tempérer son propos : « À qui les ambassadeurs des États de l’UE présenteront-ils leurs lettres de créance ? Parce que notre candidat a 90 % de chances de gagner la présidentielle. L’UE doit retirer ses sanctions arbitraires avant les élections. Sinon, nous considérerons qu’elle avait l’intention de nuire à notre candidat, et nous en tirerons les conséquences. »

Dans la cathédrale Notre-Dame-du-Congo, à Kinshasa, lors du lancement officiel de sa campagne, le 24 novembre. © John WESSELS/AFP

Dans la cathédrale Notre-Dame-du-Congo, à Kinshasa, lors du lancement officiel de sa campagne, le 24 novembre. © John WESSELS/AFP

En attendant, c’est d’abord au sein de son propre camp que Ramazani Shadary doit convaincre et fédérer. Au PPRD, sa désignation a laissé des traces. Frustrés, ceux qui rêvaient de se voir désigner à sa place ne se montrent pas enclins à battre campagne. C’est le cas de l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, originaire comme lui du Maniema.

Les deux hommes ont un temps été proches, mais leurs relations sont aujourd’hui exécrables. Un conflit de leadership local ? « Je travaille avec lui en coulisses », élude Ramazani. Et Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale ? « Lui semble avoir digéré l’affaire et mouille le maillot », affirme un proche du candidat.

>>> À LIRE – RDC : la grogne des Katangais après la désignation de Ramazani Shadary comme dauphin de Kabila

Quid du clan des Katangais, dont les membres tiennent encore l’appareil sécuritaire et occupent plusieurs postes clés au sein des institutions ? « La grogne est passée. Nous sommes désormais tous derrière lui », assure un sécurocrate. Même Henri Mova Sakanyi, le nouveau vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, souvent cité comme l’un des pourfendeurs de Ramazani ? « Le jour de la présentation du candidat au stade Tata-Raphaël, il n’a pas porté la chemisette à l’effigie de Ramazani comme tout le monde », pointe un cadre du PPRD. « C’est risible, rétorque de son côté Mova Sakanyi. Ce jour-là, les chemises étaient trop petites ! On en a même plaisanté avec Ramazani ! »

Alors sur qui peut vraiment compter le candidat ? Réputé proche de l’aile dure du parti, il s’applique à jouer les rassembleurs : « Mon noyau, c’est le kabilisme. Je connais le background de tous mes camarades du FCC, et j’aurai besoin de l’apport de tous ! » « Dans les faits, il ne gère ni sa campagne ni son agenda, estime le politologue Bob Kabamba. C’est Kabila lui-même qui contrôle tout et décide de tout, à travers son directeur de cabinet, Néhémie Mwilanya Wilondja, qui accompagne le candidat partout. »

Joseph Kabila reste le seul patron à bord estime » le politologue Bob Kabamba

La stratégie du dauphin a été confiée à Adolphe Lumanu, et l’ex-président de l’Assemblée nationale Évariste Boshab s’est occupé du programme. Enfin, l’aspect financier de la campagne est géré par Jaynet Kabila, l’influente sœur jumelle du chef de l’État, et par le pasteur Moïse Ekanga, qui joue par ailleurs les intermédiaires entre le gouvernement et les firmes chinoises.

Tous ces personnages « doivent d’abord allégeance au président sortant, souligne Bob Kabamba. Joseph Kabila reste le seul patron à bord ». S’il est élu, le candidat du FCC pourra-t-il s’émanciper ? « Comme le chef de l’État, Ramazani excelle dans l’art de cacher son jeu. Mais il apparaît tout de même aujourd’hui très lié, voire inféodé, à la famille présidentielle.

Ce qui réduit considérablement sa marge de manœuvre pour le poste qu’il veut occuper », relève un haut responsable politique à Kinshasa. Ramazani, lui, se veut rassurant : « J’exercerai mes fonctions conformément à la Constitution. »

Ses 4 grandes priorités

85,68 milliards de dollars, c’est le coût estimé de son programme, sur cinq ans :

  •  la restauration de l’autorité de l’État
  • la diversification de l’économie
  • la lutte contre la pauvreté
  • le renforcement du rôle géostratégique de la RD Congo

Liaisons dangereuses ?

Le candidat a-t-il des liens avec des miliciens Maï-Maï, dans sa région de Kabambare ? Depuis quelques années, un groupe d’individus perturbe les activités de Namoya Mining, une filiale de la société canadienne Banro. En mars dernier, alors qu’il était vice-Premier ministre, et contrairement à ce que préconisait Kalev Mutond, le patron des renseignements, Ramazani s’est opposé au recours à la force contre ces miliciens qui venaient de kidnapper cinq salariés de la compagnie – les otages ont été libérés trois mois plus tard, après d’âpres négociations. Interrogé à ce sujet, Ramazani, qui demeure influent dans cette partie de l’Est, nie tout lien avec eux et explique que ce ne sont que « des jeunes gens qui réclament des portions de terre pour continuer de leur côté l’exploitation artisanale de l’or ».

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