Présidentielle en RDC : Martin Fayulu, le soldat enfin connu

Il aura été le candidat commun de l’opposition pour la présidentielle du 23 décembre durant vingt-quatre heures. Mais ce politique au parcours atypique veut croire en ses chances.

Martin Fayulu salue ses supporters à son arrivée à Kinshasa, le 21 novembre 2018. © John WESSELS/AFP

Martin Fayulu salue ses supporters à son arrivée à Kinshasa, le 21 novembre 2018. © John WESSELS/AFP

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Publié le 9 décembre 2018 Lecture : 8 minutes.

Félix Tshisekedi, quelques instants après la proclamation de sa victoire par la Ceni, dans la nuit du 9 au 10 janvier 2019. © REUTERS/Olivia Acland
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Présidentielle en RDC : l’alternance, et après ?

Après deux années d’une crise politique ouverte en décembre 2016, la RDC a renoué avec les urnes. Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur par la Ceni, devant Martin Fayulu et Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Une victoire accueillie entre joie et contestations.

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Qui l’eût cru ? Dans certaines villes de RD Congo, on s’arrache ses flyers de campagne. Fin novembre, à Kalemie, dans le sud du pays, son nom a été scandé en plein meeting d’Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat soutenu par Joseph Kabila et la majorité présidentielle. Même chose début décembre, à Kinshasa, alors que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe haranguaient la foule à Camp Luka, l’un des quartiers pauvres de la capitale.

Martin Fayulu, c’est l’homme que personne n’a vu venir et qui a déjoué tous les pronostics. Avant que, le 11 novembre dernier à Genève, les principaux leaders de l’opposition décident d’en faire leur candidat commun pour la présidentielle du 23 décembre, peu de Congolais avaient entendu parler de lui hors de Kinshasa, la ville qui l’a vu naître. Son ambition présidentielle n’est pourtant pas nouvelle, et cet « opposant radical » – ainsi que beaucoup le qualifient – n’a sans doute jamais été aussi proche de son objectif.

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Fin septembre déjà, il était convaincu que son heure était sur le point d’arriver. Il savourait l’instant, prompt à allumer son iPad pour montrer à son visiteur des images attestant sa notoriété grandissante. « Le triomphe de Martin Fayulu à Kananga, la caravane motorisée de Martin Fayulu à Goma, le meeting de Martin Fayulu au stade Les Volcans… », égrenait-il, passant d’une vidéo à l’autre sur YouTube.

Ce matin-là, comme souvent d’ailleurs, il nous recevait dans le restaurant de l’hôtel H Faden, dont il est propriétaire, situé dans la commune de La Gombe. Il nous disait être « fiscalement harcelé » par le pouvoir et évoquait les tractations en vue de la désignation d’un candidat unique de l’opposition. Félix Tshisekedi, le président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), et Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale et chef de l’Union pour la nation congolaise (UNC), étaient déjà annoncés favoris, mais lui n’avait pas abdiqué. « Rien n’est joué ! » ne cessait-il de marteler, froissé d’être toujours relégué au second plan.

Vital Kamerhe (à gauche) et Félix Tshisekedi. © Montage JA

Vital Kamerhe (à gauche) et Félix Tshisekedi. © Montage JA

Cela démontre aussi que le pouvoir en place dispose d’une méthode infaillible : l’achat des consciences

Deux mois plus tard, les événements semblent lui donner raison même si, dès le 12 novembre, Tshisekedi et Kamerhe lui retiraient leur soutien pour former un ticket. Fayulu, 62 ans, n’a pas digéré l’épisode : « Je suis déçu », dit-il, regrettant le manquement à « la parole donnée ». « Les valeurs sur lesquelles nous étions d’accord pour bâtir notre alliance ainsi que la société future de la RD Congo ne sont plus là, ajoute-t-il, taclant ceux qui l’ont lâché. C’est un problème de caractère et de légèreté. Cela démontre aussi que le pouvoir en place dispose d’une méthode infaillible : l’achat des consciences. »

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Martin Fayulu a conservé l’appui de l’ancien vice-président de la République, Jean-Pierre Bemba, et de l’ex-gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, ainsi que le soutien de Freddy Matungulu, qui fut ministre des Finances, et d’Adolphe Muzito, ex-Premier ministre, les quatre autres leaders de la coalition Lamuka (« réveille-toi », en lingala). Mais il a dû réajuster sa stratégie.

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« Nous comptons surfer sur la dynamique spontanée qui s’est déclenchée au sein de la population », précise son ami et bras droit, Albert Fabrice Puela, député de Matadi, dans le Kongo-Central.

Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka à la présidentielle en RDC, le 6 décembre à Goma, dans le Nord-Kivu. © REUTERS/Samuel Mambo

Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka à la présidentielle en RDC, le 6 décembre à Goma, dans le Nord-Kivu. © REUTERS/Samuel Mambo

Ces dernières semaines, sa candidature a pris de l’épaisseur

Le candidat mise surtout sur le fait que ses nouveaux alliés vont appeler à voter en sa faveur : le très populaire Katumbi dans l’ex-Katanga et dans la partie orientale du pays, Bemba dans l’ex-Équateur et dans le Nord, et le duo Muzito-Matungulu dans les provinces de l’Ouest, pour y renforcer sa position. Sans oublier le soutien de l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamwisi, très influent dans le Grand Nord, au Nord-Kivu, dans l’est du pays. « Grâce à eux, ma base électorale est plus importante que n’importe quelle autre ! » assure Fayulu.

Cela suffira-t-il ? Une chose est sûre : ces dernières semaines, sa candidature a pris de l’épaisseur. « Cela se remarque dans l’enthousiasme populaire qu’il suscite depuis sa désignation », commente Christophe Lutundula, un député proche de Katumbi. « Les Congolais ne sont pas naïfs : ils savent reconnaître ceux qui travaillent réellement pour leurs intérêts », s’empresse de souligner André Fabrice Puela.

De fait, depuis 2015, Martin Fayulu n’a manqué aucune manifestation anti-Kabila à Kinshasa. Il a même été touché à la tête par une balle en caoutchouc lors d’une marche, en septembre 2016. Dans la capitale, certains l’ont surnommé le « soldat du peuple ». Une reconnaissance sur le tard pour cet homme politique au parcours atypique.

Parties de tennis

Après des études de sciences économiques et de gestion à Paris et à San Francisco, Martin Fayulu rentre au pays au début des années 1980 pour y travailler. D’abord au sein de la Banque commerciale zaïroise, avant d’être débauché par le pétrolier américain Mobil (devenu ExxonMobil).

Dans la capitale, il fréquente d’anciens étudiants formés en Belgique, dont un certain Fidèle Babala. Aujourd’hui secrétaire général adjoint du Mouvement de libération du Congo (MLC), Babala se souvient d’ailleurs d’un Fayulu « teigneux » lors des parties de tennis disputées chez le père de Jean-Pierre Bemba ou à l’Athénée de La Gombe. Il se souvient aussi du groupe de réflexion où tout a commencé : un samedi par mois, lui, Fayulu et quelques autres conviaient ministres, responsables d’entreprise, voire représentants de partenaires financiers internationaux à débattre.

En avril 1990, au lendemain de l’avènement du multipartisme, Fayulu et ses camarades décident d’intensifier leurs activités. Le groupe se scinde en trois organismes : certains créent le Parti démocrate, d’autres la Ligue zaïroise des droits de l’homme. Quant à Fayulu et au reste de l’équipe, ils mettent en place une association baptisée Forum pour la démocratie et le développement (FDD).

Cette structure citoyenne se fait rapidement remarquer et, dès l’année suivante, ses membres sont sollicités par des participants de la Conférence nationale souveraine. « En réalité, lors de cette grand-messe, nous faisions office de conseillers pour Laurent Monsengwo [président de la conférence] et Étienne Tshisekedi, le chef de l’UDPS », se souvient Martin Fayulu. C’est de cette époque que date sa proximité avec l’opposant emblématique décédé en 2017, à Bruxelles. « Politiquement, Martin Fayulu a grandi dans la cour d’Étienne Tshisekedi », confirme Christophe Lutundula.

Alors qu’il siège au Haut Conseil de la République, qui faisait office de Parlement de transition sous Mobutu, Fayulu est muté aux États-Unis fin 1993. Mobil l’enverra par la suite en France, en Côte d’Ivoire, au Kenya, au Nigeria et en Éthiopie, où il officiera en tant que directeur général.

Dix années se sont écoulées lorsqu’il décide de retourner à Kinshasa. Il y démarre la construction de son hôtel, gère trois stations-service Shell, lance l’Institut pour la liberté et la démocratie, et se prépare pour les élections à venir : il est élu député national en 2006 et député provincial la même année. C’est à l’Assemblée provinciale qu’il choisit de siéger. « J’avais un plan : me faire élire d’abord comme gouverneur de Kinshasa par les députés provinciaux, diriger la ville pendant cinq ou dix ans, puis briguer la magistrature suprême », raconte-t-il.

« Pas de transparence »

Mais le plan n’est pas sans accroc. Sans le soutien d’une formation politique, il est obligé de revoir ses ambitions à la baisse et, contre toute attente, apporte son appui à André Kimbuta, le candidat du parti au pouvoir, au poste de gouverneur de Kinshasa. A-t-il touché 40 000 dollars en échange de sa voix, comme l’affirment ses détracteurs ? « C’était un prêt, réfute l’un de ses proches. Cette histoire a été remise sur la place publique pour tenter de salir son image ! »

Martin Fayulu, en août 2016 à Kinshasa. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

Martin Fayulu, en août 2016 à Kinshasa. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

Pentecôtiste pratiquant, il promet aujourd’hui une « gouvernance intègre »

« La somme a été remboursée depuis, et l’affaire est close », insiste un autre. Réélu député national en 2011, Fayulu cède définitivement son siège à l’Assemblée provinciale pour rejoindre la chambre basse du Parlement. De cette seconde expérience, il dit n’avoir gardé que des frustrations : « Pas de transparence, aucun contrôle de l’exécutif. Des noms cités dans les Panama Papers, des détournements de deniers publics signalés chaque jour, et jamais l’Assemblée nationale n’a réagi. »

Pentecôtiste pratiquant, il promet aujourd’hui une « gouvernance intègre ». À deux semaines du scrutin, il continue aussi de s’opposer au recours à la machine à voter pour les élections présidentielle, législatives et provinciales, et à demander le nettoyage d’un fichier électoral qu’il estime « corrompu », sans toutefois appeler au boycott du scrutin. Une position ambivalente qui exaspère certains de ses soutiens.

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« Il faut sortir de cette confusion, insiste le député Delly Sesanga, le secrétaire général d’Ensemble pour le changement, la plateforme de Katumbi. Soit nous appelons clairement au boycott, soit nous participons aux élections avec la machine à voter et nous nous donnons les moyens d’exercer un contrôle civique sur le processus. » En face, Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante, se moque : « Sept opposants se sont retrouvés à Genève pour choisir leur candidat. Ils n’ont pas utilisé de machine à voter, mais il y a tout de même eu contestation… »

Pour l’instant, fidèle à son image, Fayulu ne lâche rien. Mais jusqu’à quand ? « Il y a un vrai rejet du régime en place mais, en misant sur Fayulu, nous partons tout de même de loin, conclut un autre de ses camarades de l’opposition. On parle de quelqu’un qui est candidat à la présidence, mais qui ne dispose pas d’un parti ancré dans l’ensemble du territoire et qui, en 2011, a été élu député avec moins de 9 000 voix ! »

Comme un avion sans ailes

Empêché de se présenter à la présidentielle, Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga, a promis une « campagne à l’américaine » à Martin Fayulu. Pour lui permettre de se déplacer du 23 novembre au 23 décembre, il a loué trois appareils pour un minimum de quatre heures par jour et moyennant 8 000 dollars l’heure de vol : un jet privé et deux avions à hélices.

Mais le 4 décembre, seul le jet de huit places avait atterri à Kinshasa. Les deux autres appareils étaient cloués au sol, en Afrique du Sud, dans l’attente d’une autorisation de survol de la RD Congo.

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« C’est la faute de Charles Bushiriri Deschryver [responsable de l’aviation présidentielle et de la logistique] et de Kalev Mutond [patron de l’Agence nationale de renseignement], qui ont demandé à l’Autorité de l’aviation civile congolaise d’exiger un contrôle technique préalable de tous ces appareils », accuse un responsable de la coalition Lamuka.

« Faux, rétorque-t-on dans l’entourage du président Kabila. Le pays a simplement renforcé son règlement pour fermer notre ciel aux cercueils volants. »

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