Shirley Souagnon, l’humoriste garanti(e) sans autocensure
Dans un spectacle décomplexé, la comédienne Shirley Souagnon s’interroge sur la pluralité des identités et des modes d’être.
« Avant, j’étais raciste », affirme sans la moindre ironie l’humoriste franco-ivoirienne de 32 ans. Mais ça, c’était avant. Passée par l’écurie du Jamel Comedy Club – qu’elle juge « toujours enfermée dans des stéréotypes » – et par l’humour à la Michel Leeb, et n’hésitant pas à emprunter un accent « africain » à couper au couteau pour amuser la galerie, Shirley Souagnon a désormais trouvé sa voix. Son ton est sans concession.
Son style, dans la mouvance de la libération de la parole déclenchée par le mouvement #MeToo. Même si elle s’en défend. Ce petit bout d’humain de 1,59 mètre, né en banlieue parisienne, n’est pas « la fille qu’on drague ». Shirley Souagnon est plutôt « le porc qui tapote les fesses de son assistante », plaisante-t-elle dans son troisième et dernier spectacle, Monsieur Shirley, qu’elle défendra à Paris jusqu’à la fin de décembre.
Le « mec imaginaire »
Mais ce n’est pas la raison pour laquelle la comédienne au look androgyne fait abstraction du genre. Pour elle, l’identité est « une énergie, et non un sexe ». Des concepts qui ont été, selon elle, mis en place pour séparer les gens les uns des autres. Et qui l’ont d’ailleurs, à bien des égards, éloignée d’elle-même.
L’ancienne chroniqueuse, qui a fait ses armes sur France 2 (On n’demande qu’à en rire), s’est longtemps autocensurée. « Quand je passais à la radio, on me disait clairement d’éviter de parler de ma meuf, et si je pouvais évoquer un mec imaginaire c’était encore mieux », raille-t-elle à quelques heures de sa prestation à La Nouvelle Seine.
Aujourd’hui, elle lâche la bride. C’est avec décontraction, et sans s’enfermer dans une case, qu’elle parle de ses multiples appartenances. Avec ses dreads et sa consommation régulière de joints, on pourrait la croire membre du mouvement rastafari. Une belle erreur, réductrice. Et surtout « une insulte envers [elle]-même », glisse la pro du stand-up sur les planches du théâtre parisien en gesticulant sur un riddim.
« Le groupe crée la bêtise », soutient Shirley Souagnon
Sa façon à elle de pointer du doigt les diatribes homophobes utilisées dans le genre tout en reconnaissant apprécier la musique. On pourrait aussi très facilement en faire un porte-parole rigolo de la cause des Noirs, des homosexuels et des femmes. Mais, là encore, ce serait mal comprendre son discours.
Sujets tabous
« Toutes les communautés sont importantes – il y a une convergence des luttes –, mais il faut les traverser et ne pas y rester. Le groupe crée la bêtise », soutient celle pour qui l’important est de susciter des prises de conscience. Comme en mai dernier, quand elle rejoint une flopée d’actrices afrodescendantes pour participer à l’ouvrage collectif emmené par Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier (Seuil), et dénoncer le racisme latent qui règne dans le paysage audiovisuel français.
Et comme dans son show, où elle parle de l’islam et de la fois où elle a voulu se convertir, puis s’est ravisée après avoir tapé « lesbienne et musulmane » sur Google. Mais aussi du judaïsme et de l’antisémitisme, en mentionnant un obscur et drôlissime « zouk nazi ».
Elle s’empare de sujets encore tabous, comme le plaisir féminin, les attentats du Bataclan et les vestiges du colonialisme. « Quand j’ai appris que le franc CFA était fabriqué en France, dans le Puy-de-Dôme, il a fallu que j’en parle, même si ça met les Blancs un peu mal à l’aise, concède-t-elle. Je ne me suis pas donné de limites, mais il fallait que ce soit très drôle. »
La trentenaire est sans filtre, et ça fonctionne. Idem lorsqu’elle confie en interview avoir elle-même adopté des attitudes coloniales en voyage en Côte d’Ivoire. La faute au choc culturel. Et pourtant, c’est bien dans le pays d’origine de ses parents qu’elle aura le déclic.
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« En tombant sur une affiche publicitaire avec une femme noire, je me suis rendu compte que j’avais un manque dont je n’avais même pas conscience, celui d’être entourée de Noirs », avoue-t‑elle du haut de ses dix ans de carrière passés de plateaux télé en studios de radio majoritairement blancs.
La productrice et réalisatrice, qui a été approchée par le géant américain du streaming Netflix, cite aujourd’hui Rokhaya Diallo ou Amandine Gay parmi ses références féminines noires, autant qu’une plus pâle Blanche Gardin, dont elle admire la trajectoire. L’humoriste confirme : « Elle a réussi à atteindre qui elle était avec son art. Moi qui suis passée par trop de phases, comme la Noire de service, je me suis enfin trouvée. Ce spectacle est un vrai tournant pour moi. »
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