Côte d’Ivoire : les bons indicateurs économiques ne doivent pas cacher le risque d’essoufflement
Principaux indicateurs au vert, croissance au beau fixe. L’activité ivoirienne est l’une des plus dynamiques du continent. Mais certains secteurs clés donnent quelques signes d’essoufflement.
Côte d’Ivoire : la dernière ligne droite
Alors que l’exécutif est confronté à des choix décisifs pour mener à bien, à moins de deux ans de la présidentielle, les derniers grands chantiers de la décennie Ouattara, les positions des uns et des autres sont en train de se clarifier au sein des principales familles politiques.
La bonne santé de l’économie ivoirienne ne se dément pas. Le pays enchaîne les années de croissance à un rythme soutenu, et celle-ci devrait se maintenir aux alentours de 7 % dans les prochaines années. En matière de dynamisme, il se classe en Afrique juste derrière l’Éthiopie et le Rwanda. Tous les experts applaudissent.
Ainsi, Ruben Nizard, économiste Afrique subsaharienne chez Coface, estime que, « depuis 2011, la Côte d’Ivoire fait partie des pays les plus dynamiques du monde, avec des pointes de croissance à 10 % portées par des investissements publics réalisés prioritairement dans les infrastructures ».
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Bakary Traoré, économiste au Centre de développement de l’OCDE, applaudit quant à lui une inflation maîtrisée à 1,5 %, une dette contenue au-dessous des 60 % du PIB, un déficit budgétaire en baisse plus rapide que prévu… « La stabilité macroéconomique est le domaine où le plus d’efforts a été réalisé », constate-t-il. « Il y a un véritable élan, renchérit Jacques Morisset, chef de programme de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire. Le fait qu’aucun de ses indicateurs n’aille dans la mauvaise direction prouve que tout s’améliore. »
Il reste beaucoup à faire en matière de productivité
Est-ce parce qu’ils sont exigeants avec le bon élève ivoirien ? Tous mettent cependant un bémol à ce satisfecit : le risque d’un ralentissement à court terme en raison de la crise cacaoyère et du resserrement budgétaire. Pour l’avenir, ils soulignent la persistance de fragilités.
« Il reste beaucoup à faire en matière de productivité, rappelle Jacques Morisset. Cela prendra du temps parce que la Côte d’Ivoire figure parmi les pays les moins bien classés d’Afrique en matière de développement humain. Entre 2011 et 2015, son économie a crû de 80 %, mais la pauvreté a seulement reculé de 5 points. Où est passée la richesse créée ? Le secteur agricole et rural comme l’informel urbain en ont peu profité. »
Précarité et frustrations
Ruben Nizard déplore quant à lui que, « comme dans tant d’autres pays africains, les dividendes de la croissance ne ruissellent pas vers les populations les plus défavorisées ». Bakary Traoré enfonce le clou : « 75 % des travailleurs occupent des emplois précaires ou vulnérables. Et seulement 44 % des personnes interrogées se disent satisfaites de leurs conditions de logement. »
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Certes, il faut prendre patience. « Il faudra attendre une génération avant que les efforts du gouvernement en matière d’infrastructures aient un effet sur le portefeuille des ménages », analyse Jacques Morisset. Mais est-ce que les frustrations de ceux-ci ainsi que l’augmentation des inégalités ne se traduiront pas par une réelle impatience, par exemple par de nouvelles agitations – comme les mutineries de militaires ou les grèves des fonctionnaires de 2017 –, qui creusent les déficits budgétaires ? Est-ce que les échéances électorales et la perspective d’une transition à la tête de l’État en 2020 ne feront pas monter la tension au point de perturber sérieusement l’économie ? « Les fragilités politiques vont devenir de plus en plus présentes », reconnaît Ruben Nizard.
À l’écoute de la diaspora
Pour remédier à la faible inclusivité de la croissance ivoirienne, il faudra jouer sur plusieurs registres : une meilleure protection sociale et une politique de redistribution plus forte et mieux ciblée en faveur des plus démunis seraient bienvenues. Une poursuite de la diversification est également indispensable, notamment pour sortir de la dépendance à l’égard du cacao. La transformation domestique de la fève demeurera en effet limitée parce que le chocolat voyage mal et crée donc peu d’emplois, à la différence de celle de l’anacarde.
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Bakary Traoré estime que trois facteurs seront déterminants pour la pérennité de la croissance. « Il convient de permettre à l’investissement privé de prendre le relais de l’investissement public, qui a tiré la croissance jusqu’à présent, analyse-t-il. Le crédit au secteur privé doit être développé, car il ne représente que 26 % du PIB en Côte d’Ivoire, contre 70 % au Kenya. Ensuite, les revenus du gouvernement doivent être augmentés. En 2017, cela a été le cas, mais ils ne pèsent toujours que 17,4 % du PIB, contre 29,4 % en Tunisie, par exemple ! »
Une autre source de capitaux pourrait également être exploitée : les fonds des migrants. « La diaspora a tendance à les utiliser pour des dépenses de consommation, affirme Bakary Traoré. Elle exprime pourtant des désirs d’investissements, de l’ordre de 3 000 à 5 000 euros par an, mais elle ne trouve pas de structures fiables pour les concrétiser. Il faudrait prendre exemple sur le Ghana, l’Éthiopie ou le Maroc, qui ont créé des cellules spéciales pour informer la diaspora, l’orienter vers des produits innovants et lui assurer la sécurité. » Si elle veut poursuivre sur son élan, la Côte d’Ivoire n’en a pas fini avec les réformes.
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