Restitution du patrimoine maghrébin : les fastes envolés de Carthage, Rome et Byzance
Nombre de chefs-d’œuvre de l’Antiquité découverts par des archéologues coloniaux sont exposés dans des musées occidentaux. Quand ils ne dorment pas dans une réserve !
La France restituera-t-elle son patrimoine à l’Afrique ?
En annonçant son intention de restituer rapidement aux pays africains la quasi-totalité des objets et œuvres d’art dont ils ont été dépossédés, Emmanuel Macron brise un tabou. Et suscite espoirs et polémiques.
D’illustres hôtes du Louvre vont-ils devoir plier bagage pour regagner les terres nord-africaines qui les ont vus (re)naître sous les truelles des archéologues coloniaux ? On sait que l’apparition de l’archéologie scientifique coïncida, dans les années 1880, avec l’expansion coloniale de la France au Maghreb.
Des cargos entiers de stèles puniques, de statues romaines, de trésors byzantins et autres butins pris aux Ottomans rejoignirent alors les collections françaises. Pourtant, le rapport Sarr-Savoy a délibérément choisi d’ignorer l’Afrique du Nord.
Zahi Hawass et le buste de Néfertiti
Dès sa déclaration de Ouagadougou, Emmanuel Macron avait donné l’impression de vouloir se concentrer sur le sud du Sahara. Parce qu’il y a « un déséquilibre dans la répartition du patrimoine très spécifique à cette zone, alors que, au nord, l’Algérie et la Tunisie, par exemple, ont été dotées de riches musées », explique Bénédicte Savoy, coauteur du rapport.
Les musées du Caire (inauguré en 1902), du Bardo, à Tunis (1888), et des beaux-arts, à Alger (1897), n’ont en effet que très peu d’équivalents dans les quarante-huit pays subsahariens. Mais les revendications de certains États nord-africains sont connues depuis bien longtemps, à commencer par la célèbre pierre de Rosette, qui permit à Champollion de déchiffrer les antiques hiéroglyphes, et dont l’Égypte, par la voix de Zahi Hawass, chef du Conseil suprême des antiquités, réclame au British Museum la « restitution permanente » depuis décembre 2009.
Deux ans plus tard, ce même Hawass confirmait officiellement la demande adressée dès 1925 au Neues Museum de Berlin en vue de la restitution du non moins célèbre « buste de Néfertiti ». L’Algérie est, elle aussi, impliquée dans le processus, mais ses requêtes concernent des biens beaucoup moins antiques.
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Fin 2017, Macron a promis de restituer les crânes de trente-sept combattants algériens conservés depuis le XIXe siècle au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Évoquant l’Égypte et l’Algérie, le rapport Sarr-Savoy estime que « ces cas devront faire l’objet d’une mission et d’une réflexion spécifiques ».
Modération
Certaines capitales arabes du continent ne comptent cependant pas attendre. « Nous avons décidé, avec le ministre de la Culture, de constituer rapidement une commission spéciale afin de répertorier les biens marocains conservés à l’étranger et d’étudier d’éventuelles démarches », révèle Mehdi Qotbi, président de la Fondation nationale des musées du Maroc.
Un vrai travail de bénédictin. À lui seul, le Louvre possède quelque 460 000 objets d’art… « Je plaide pour la modération, précise Qotbi. Les pièces maîtresses qui témoignent de l’histoire et de la culture de notre pays doivent nous être restituées, mais notre souhait n’est pas de récupérer l’intégralité de notre patrimoine. Certaines œuvres exposées dans de prestigieux musées sont d’excellentes vitrines du Maroc à l’étranger. »
L’Égypte se défend, elle aussi, de vouloir vider les galeries occidentales pour remplir son nouveau Grand Musée. Elle insiste sur l’importance scientifique ou artistique des objets réclamés, qui contribuent selon elle à l’identité culturelle nationale.
Revendications algériennes
En Algérie, la nature des objets ressortit au récit national d’un jeune État largement fondé sur la résistance aux colonisateurs français. La restitution des crânes des combattants conservés à Paris est en cours…
Par ailleurs, en décembre 2012, la presse algérienne s’était félicitée de l’annonce par François Hollande de la restitution des clés d’honneur de la ville d’Alger que le dey vaincu en 1830 avait été contraint de remettre au maréchal de Bourmont. Les Algériens s’étaient réjouis trop tôt : à ce jour, les fameuses clés se trouvent toujours au Musée de l’armée, à Paris.
En mars 2003, Jacques Chirac, à l’occasion de la première visite d’État d’un président français en Algérie depuis l’indépendance, avait en revanche symboliquement offert le sceau avec lequel le dey avait frappé son acte de reddition. Il est vrai que l’objet, acheté pour l’occasion aux héritiers Bourmont, ne faisait pas partie des biens culturels inaliénables de l’État français.
Un autre symbole martial figure en première ligne des biens revendiqués par Alger : le Baba Merzoug, formidable canon de 7 mètres fondu par les Ottomans en 1542 et emporté comme prise de guerre, en 1830, pour être exposé, surmonté d’un coq, sur la place de l’Arsenal, à Brest.
En juillet 2013, Alger a demandé officiellement le retour du monstre de bronze, mais le ministère français de la Défense a vite fait savoir que « l’amirauté est très attachée à ce canon, qui fait partie de l’histoire de la marine nationale ».
Je regrette que des œuvres majeures dorment depuis des années dans les réserves du Louvre
Autre type de bien réclamé depuis des années par l’Algérie : les archives des cent trente-deux ans d’occupation. En décembre 2017, à Alger, Emmanuel Macron s’est aussi engagé à en remettre une copie.
En Tunisie, une question peu évoquée
À Tunis, la question n’a jamais suscité d’intérêt des autorités, explique Leïla Ladjimi Sebaï, directrice de recherche à l’Institut national du patrimoine (INP). Comme le Marocain Qotbi, elle se déclare fière que des œuvres tunisiennes soient exposées dans les plus beaux musées internationaux.
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« Mais, travaillant sur Carthage, je regrette que des œuvres majeures dorment depuis des années dans les réserves du Louvre, nuance-t-elle. Je pense notamment à un ensemble de quatre sarcophages puniques en marbre blanc, ceux de deux prêtres et de deux prêtresses, transféré à Paris pour l’Exposition universelle de 1900 et jamais rendus. Ces gisants sont aujourd’hui invisibles et l’ensemble est dépareillé. »
L’archéologue avait de même, il y a vingt ans, demandé au Louvre le retour d’une tête d’impératrice romaine monumentale venue de la basilique civile de Carthage. En vain : la pièce continue d’être reléguée dans une réserve. La restitution de cette tête et des deux sarcophages constituerait à coup sûr un geste fort à l’occasion d’une prochaine visite officielle.
C’est ainsi que, le 30 août 2008, la délicieuse Vénus de Cyrène, longtemps exposée au Musée des thermes, à Rome, a regagné sa terre libyenne dans les bagages de Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien, venu à Benghazi présenter à Mouammar Kadhafi les excuses de son pays pour la colonisation.
Qu’est-il advenu du chef-d’œuvre, dans les désordres de la guerre ? Le site de Cyrène, où il fut découvert en 1913, a été pillé par les milices islamistes, et, comme dans l’Égypte révolutionnaire, plusieurs musées libyens ont été victimes de vols et de dégradations. Il va sans dire que cette mésaventure a, hélas, conforté ceux qui, en Italie, s’étaient farouchement opposés au départ de la déesse…
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