Cemac : comment en finir avec la crise ?

Après deux années de récession, la croissance reprend timidement des couleurs en Afrique centrale. Mais, si la catastrophe a pu être évitée, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Après la récession et la stagnation, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale renoue timidement avec la croissance. © CELIA LEBUR/AFP

Après la récession et la stagnation, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale renoue timidement avec la croissance. © CELIA LEBUR/AFP

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Publié le 2 janvier 2019 Lecture : 4 minutes.

Après la récession et la stagnation, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale renoue timidement avec la croissance. © CELIA LEBUR/AFP
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Cemac : comment en finir avec la crise ?

Après deux années de récession, la croissance reprend timidement des couleurs en Afrique centrale. Mais, si la catastrophe a pu être évitée, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

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Les six économies de la Cemac (Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, Centrafrique, Congo, Tchad) ne sont pas passées loin de la catastrophe en 2017. La chute spectaculaire des cours du pétrole à partir de 2014 a non seulement cassé la croissance, mais aussi déséquilibré gravement les budgets des États, aggravé les déficits des comptes courants et surtout asséché les réserves en devises, qui étaient tombées pour l’ensemble de la communauté à 1,7 mois d’importations de biens et services, le Tchad n’ayant plus rien en caisse.

Le couteau sous la gorge et menacés d’une dévaluation de leur monnaie commune, le franc CFA, les six États ont taillé dans leurs dépenses, notamment en matière d’investissements. L’aide du FMI et des bailleurs de fonds leur a permis de rendre un peu moins douloureux cet ajustement qui, chez plusieurs d’entre eux (le Gabon et le Tchad, notamment), a provoqué des coupes sévères dans la masse salariale de la fonction publique.

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Enfin, le roi pétrole, qui gouverne les comptes de cinq pays sur six, a repris ses largesses en quantité (la production devrait connaître une hausse de 2,6 % en 2018) comme en niveau de prix (plus de 70 dollars le baril en moyenne en 2018, contre 50 dollars en 2017).

Les déficits se sont réduits et, à la fin de cette année, les réserves en devises équivalent à trois mois d’importations. Après la récession en 2016 (– 0,7 %) et la stagnation en 2017 (+ 0,9 %), la Cemac devrait renouer avec la croissance (+ 2,7 % en 2018 et + 3,4 % en 2019), selon le FMI.

En tête cette année, la Centrafrique (+ 4,3 %), suivie du Cameroun (+ 3,8 %), du Tchad (+ 3,5 %), du Congo et du Gabon (+ 2 %). Seule la Guinée équatoriale connaît les affres de la récession (– 7,7 %).

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Optimisme mesuré

« On assiste à une reprise prudente, commente Ruben Nizard, économiste spécialisé dans l’Afrique subsaharienne à la Coface. Le PIB par tête progresse très légèrement, car la croissance, notamment dans le secteur de la construction, reste trop faible en raison de l’ajustement budgétaire, qui a été douloureux. Il est donc difficile de dire que la zone est sortie de la crise. »

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Daniel Ona Ondo, le président de la Commission de la Cemac, est un peu plus optimiste certes, mais il ne dit pas autre chose : « Les perspectives macroéconomiques sont prometteuses, mais la croissance reste trop faible pour espérer réduire de manière significative la pauvreté », avance-t-il. D’après le Gabonais, qui était récemment à Washington pour faire un point avec le FMI sur la situation dans la zone, les progrès réalisés par les économies de la communauté restent fragiles.

« Les tensions sécuritaires dans le bassin du lac Tchad, au Sahel et en Centrafrique pourraient entraîner la réduction des échanges commerciaux avec le Nigeria et le Cameroun » explique Daniel Ona Ondo

En effet, la convalescence est menacée sur plusieurs fronts politico-­économiques : la crise anglophone du Cameroun, l’endettement du Congo, l’indisponibilité temporaire du président gabonais ou encore le tarissement des champs pétrolifères en Guinée équatoriale.

« La persistance des tensions sécuritaires dans le bassin du lac Tchad, au Sahel et en Centrafrique pourrait entraîner la hausse des dépenses de sécurité, la réduction des échanges commerciaux avec le Nigeria et le Cameroun ainsi que la diminution du recouvrement des recettes fiscales et douanières, en créant aussi un afflux plus important de réfugiés, de déplacés et de rapatriés », complète Daniel Ona Ondo.

Yoyo du pétrole

Mais le risque majeur demeure l’évolution des prix du pétrole, qui font du yoyo, montant à plus de 80 dollars le baril en septembre pour chuter à 56 dollars à la mi-décembre.

Le sommet de l’Opep des 6 et 7 décembre à Vienne a mis en lumière les incertitudes nées de l’affrontement entre les États-Unis, qui veulent faire baisser les cours et inondent de plus en plus le marché avec leur pétrole de schiste, et les autres pays producteurs, qui souhaitent les faire remonter entre 70 et 80 dollars et vont tenter de réduire leur production de 1,2 million de barils par jour dans cet objectif. Pour l’heure, le marché est excédentaire de 2 millions de barils.

Selon le FMI, il manquera 7,6 millards de dollars à la CEMAC pour se remettre à flot en 2020

Il est impossible de savoir comment vont s’équilibrer ces forces contraires, et aucun expert ne prédit un retour à l’âge d’or connu au début de la décennie, quand le baril avait dépassé 110 dollars. Les analystes de la banque UBS estiment que « les cours sont désormais au-dessous du niveau requis pour la plupart des membres de l’Opep ».

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C’est dire que les six membres de la Cemac seraient imprudents de parier sur la manne pétrolière pour gommer leurs fragilités, des fragilités que les illusions de l’or noir ont contribué à créer : absence de diversification économique, mauvaise gouvernance, sombre climat des affaires, faible système bancaire, développement humain médiocre et pauvreté persistante. Que le cours du pétrole monte ou baisse, le FMI a calculé qu’il manquera à la Cemac, d’ici à 2020, 7,6 milliards de dollars pour être à flot.

Deux pays font cavalier seul 

Pourtant, deux pays, la Guinée équatoriale et le Congo, tardent à trouver un accord avec le FMI, qui leur demande des réformes importantes. Font-ils le pari qu’ils pourraient se tirer d’affaire seuls grâce à une remontée des cours du pétrole ? Brazzaville, à qui le Fonds demande d’obtenir de ses créanciers (Glencore, Trafigura, Gunvor, Vitol et des sociétés chinoises) un rééchelonnement de sa dette à leur égard, a en effet mis en exploitation le champ offshore de Moho Nord et espère y produire 100 000 barils par jour à terme.

Platforme pétrolière offshore au large de Port-Gentil au Gabon. © Justin TALLIS/AFP

Platforme pétrolière offshore au large de Port-Gentil au Gabon. © Justin TALLIS/AFP

À Yaoundé, au siège de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), on nous assure que ces deux pays poursuivent les négociations avec le FMI en vue d’un accord.

Car il s’agit là d’une des résolutions prises en décembre 2016 par l’ensemble de la communauté, dont tous les membres s’étaient par ailleurs engagés à mettre en œuvre une vraie discipline budgétaire, à rapatrier les devises d’exportations dans les coffres de la Beac et à veiller à la convergence de leurs politiques économiques.

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